Série télévisée (Spoiler Alert)

De retour à Twin Peaks

d'Lëtzebuerger Land du 28.07.2017

Émancipé des studios hollywoodiens, David Lynch observe aujourd’hui une solitude créatrice depuis les hauteurs de Mulholland Drive. Adepte de la méditation transcendantale et promoteur indéfectible de la paix dans le monde, Lynch est le dernier moine tibétain de Californie. Reclus dans son atelier, il consacre tout son temps à son activité première de peinture qu’il n’a jamais cessée de pratiquer au cours de sa carrière de cinéaste. Depuis le vertigineux Inland Empire (2007), qui débutait par un adieu à la pellicule argentique, Lynch n’a plus rien tourné pour le grand écran.

C’est dire l’événement que représente la reprise de la mythique série Twin Peaks, 27 années après sa première diffusion télévisuelle sur ABC. La prophétie de Laura Palmer, annoncée au terme de la saison 2, se voit donc accomplie : « I’ll see you again in 25 years, meanwhile... », adressait-elle à l’agent du FBI, Dale Cooper (Kyle MacLachlan). Placée au seuil du premier épisode, la réplique inaugure la troisième saison de Twin Peaks.

Au cours de ce long intermède, on a curieusement perdu toutes traces de Cooper sur terre. On le retrouve là-même où on l’avait quitté, gisant dans l’entre-monde de la « Black Loge », pendant que son double maléfique (l’obscur Mr. C.) sévit dans le monde, à la tête d’une bande de criminels. Un
« troisième Cooper », positif et lumineux cette fois-ci, entre alors en jeu sous l’identité de Doogie Jones. Marié à Janey-E (Naomi Watts), cet employé d’une société d’assurances est atteint d’amnésie et recherché par des malfrats. À travers le dédoublement du protagoniste, dont chaque rôle est interprété par l’excellent MacLachlan, le cinéaste formule une allégorie morale : Face à la menace que représente le Doppelgänger, l’innocence de Doogie parviendra-t-elle à sauver le monde ? Une espérance repose sur la régression infantile de ce personnage, qui chaque jour ressemble un peu plus à l’agent Cooper : même passion pour le café, même réflex de flic devant les situations périlleuses... Doogie devient vraisemblablement ce qu’il était autrefois, à savoir l’impeccable agent Cooper, au service de la vérité et de la justice.

Disposant d’une liberté de création sans égale, Lynch expérimente toutes les audaces narratives et formelles possibles. À rebours des conventions télévisuelles, il prolonge outre mesure la durée de certains plans, multiplie les personnages secondaires, alterne les séquences en couleurs et en noir et blanc. Il n’hésite pas non plus à recourir aux effets spéciaux pour reconstituer l’explosion de la première bombe atomique dans le désert du Nouveau-Mexique (juillet 1945). L’essai militaire, entaché par la musique de Krzysztof Penderecki dédiée aux victimes d’Hiroshima, précède de quelques mois la naissance de l’auteur. Pareilles images apocalyptiques viennent convoquer l’œuvre d’autres cinéastes, de Pier Paolo Pasolini (La Rage, 1963) à Stanley Kubrick (Dr Folamour, 1964), d’Andreï Tarkovski (Le Miroir, 1974) à Bruce Conner (Crossroads, 1976). Générations définitivement marquées par la prolifération des armes atomiques.

À l’instar des premiers fans de la série, les acteurs n’ont pas été épargnés par l’œuvre du temps. Des cheveux gris coiffent, à présent, la plupart des personnages issus des saisons précédentes. Si Cooper a conservé un port élégant, force est de constater que la beauté de Laura Palmer (Sheryl Lee) s’est fanée. De nouvelles recrues apparaissent en outre pour la première fois. Laura Dern prête ses traits à Diane, la secrétaire de Cooper dont on entendait exclusivement la voix. Fabuleux rempart pour Doogie, le jeu vif de Naomi Watts éclate dans l’épisode 6, face à deux escrocs médusés qui en voulaient à son argent. On découvre le fils né de l’union d’Andy et de Lucy (Kimmy Robertson), le jeune Wally, héros romantique à moto, réplique de Marlon Brando dans L’équipée sauvage (The Wild One, 1953). À ces présences attachantes répondent les absences endeuillées. Les premiers épisodes rendent hommage à Catherine Coulson (la « Log Lady ») et à Frank Silva (alias Bob), respectivement décédés en 2015 et en 1995. On ne peut que regretter la disparition de l’acteur Miguel Ferrer (le médecin légiste Albert Rosenfield), survenue au début de l’année 2017. Le troisième épisode lui est dédié.

Présentée dans son intégralité lors du dernier Festival de Cannes (soit, au total, dix-huit heures de téléfilm), la série est diffusée chaque semaine sur Canal +, jusqu’au 3 septembre prochain. Nous en sommes pour l’instant à la moitié du programme. À suivre, donc.

Twin Peaks : The Return (USA, 2017), de David Lynch. À voir sur Canal + Séries et, à condition d’installer un VPN, sur HBO Nordic.

Loïc Millot
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