Le magicien d’OX

d'Lëtzebuerger Land du 22.12.2023

Îlot d’art contemporain singulièrement implanté dans le quartier populaire des Allemands, à Metz, Le Mètre carré consacre une exposition à OX, l’un des pionniers du street art français. Conçue par Bernardo di Battista, la manifestation repose en apparence sur un paradoxe, celui d’enfermer entre quatre murs les réalisations d’un artiste œuvrant principalement en plein-air. Ce serait oublier toutefois que les arts urbains font exception dans le paysage institutionnel en étant toujours peu représentés, comme si ce type d’expression était un sous-genre, un art mineur. Les raisons de ce snobisme académique ? Le décloisonnement opéré par cet art de rue peut être perçu comme une menace pour l’establishment – une ouverture publique, sauvage, irréductible par définition. Éphémère, et davantage tourné à ses débuts vers les revendications politiques que vers le business, le street art constitue un dépassement de la galerie comme lieu d’exposition privilégié de l’artiste. Pour autant, les ventes astronomiques réalisées ces dernières années par Banksy montrent qu’il est tout à fait possible de concilier l’espace urbain avec les cimaises des musées et des galeries. Faut-il voir dans Banksy l’arbre qui cache la forêt ou l’annonciateur d’une plus large reconnaissance des arts urbains ?

Retournons à Paris, au début des années 1980, lorsque tout commence dans le champ du graffiti hexagonal. La capitale est alors une immense jungle encore vierge, un terrain de jeu où tout reste à faire, à apprendre, à occuper d’une présence rebelle, quoique déjà nourrie du long héritage offert par les fresques médiévales et mexicaines. Car il n’y a qu’un pas entre le célèbre Diego Rivera et le méconnu Juan Rivera, qui fut le compagnon de Keith Haring en même temps que son assistant sur le vaste chantier entrepris en 1987 à l’hôpital Necker (Tour Keith Haring, Paris), où l’on soigne des enfants – magnifique don de l’artiste, mort du sida trois ans plus tard. Il se trouve que OX a été profondément marqué par la présence de Keith Haring à Paris. Le plasticien assiste, en 1984, à la première exposition de Haring en France, intitulée Tendances à New York. Dans une vidéo visible dans l’exposition, une photo montre la troupe des Frères Ripoulin (collectif parisien composé, entre autres, de Jean Faucheur, Claude Closky et Pierre Huyghe) posant fièrement au côté du jeune maître américain. Et il y a de quoi : de passage à leur atelier, Haring vient de peindre une grande affiche qu’il s’empressa de coller dans le métro parisien, à la station Dupleix. L’autre fait marquant dans la carrière d’OX tient à sa rencontre avec Jean Faucheur, qui l’initie au collage d’affiches sur les panneaux publicitaires. Une révélation : « Ces espaces d’affichage publicitaires sont comme d’immenses fenêtres, des tableaux surdimensionnés, suspendus dans la ville », confie-t-il dans le catalogue OX : Affichage libre. Ces placards lui procurent tout à la fois un cadre, un support, et un contexte urbain à partir duquel concevoir des formes. OX délaisse la photocopie et la sérigraphie pour adopter ce nouveau mode opératoire, devenu fédérateur parmi les Frères Ripoulin.

Malgré la dissolution du collectif en 1988, OX continue à recourir à ce procédé au gré de ses pérégrinations. Invité pour l’exposition messine, le plasticien, aujourd’hui âgé de soixante ans, en a profité pour recouvrir un panneau publicitaire à Florange, non loin de l’ancien complexe sidérurgique dont il s’est inspiré pour y greffer son propre réseau de lignes et de directions. À Metz, on peut encore contempler un collage anarchique rue des Augustins – d’abstraites coulures blanches sur un fond uni reprenant la teinte orangée de la pierre de Jaumont. Paradoxe de cette entreprise plastique : son caractère éphémère, aussitôt menacé de disparition après son exécution – « Jusqu’à maintenant, je n’ai pas laissé beaucoup de traces de ce que j’ai fait », ironise ainsi l’artiste. Pour l’espace du Mètre carré, des œuvres de tout format et de tout prix (de 100 à 5 000 euros) ont été réunies. Un petit nuage, intitulé Blister (2023), détourne en toute simplicité les contours d’un célèbre motif de l’industrie du plastique. Poétique. Également convoquée dans l’exposition, une affiche de grande dimension permet de voir de près son travail à ciel ouvert ainsi que la méthode du « pochoir inversé » qu’il applique depuis – un système de lignes colorées superposées les unes aux autres répétant abstraitement les contours d’un même motif. Au centre de ce canevas a été ajoutée une sculpture en bois, jouant à la façon de Frank Stella du contraste entre surface et volume, entre les couleurs vives de l’affiche et le noir et blanc de la sculpture. Le châssis, qu’il fabrique lui-même en bois, occupe un rôle majeur dans ses récentes créations, à l’instar de 2 Quarts de tranche (2022) par exemple ; le support y est partiellement rendu visible et concourt à la composition d’ensemble au même titre que les couleurs ou que les espaces laissés vides. Ailleurs, OX courbe le châssis, l’émancipant ainsi de son traditionnel corset rectiligne. Jusqu’à donner l’impression, dans Stretched Cloud (2015), que le cadre s’est contorsionné sous la pression des sangles qui l’enserrent. Soit une autre façon d’investir les marges de l’art pour les remettre au centre de la cité.

Loïc Millot
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