Aux antipodes

Vicky Krieps  en Ophélie moderne
Photo: Mike Zenari
d'Lëtzebuerger Land du 15.12.2023

La publication de son opus Stardust en 2022, révélait qu’Anna Krieps est fascinée depuis son enfance par les avions et l’exploration spatiale. En attestent à la galerie Nei Liicht, des photographies de ses séries Cosmic Dream et Autoaustroporträts. Selon le texte de Fanny Weinquin, la photographe évoque « un rêve cosmique et universel… vers un ailleurs meilleur, peut-être meilleur. » Le titre de l’exposition, In between us serait donc un voyage intergalactique où l’être humain trouverait un monde nouveau et et des « valeurs humaines authentiques », loin de « la planète Terre (qui) se meurt lentement ». Ses proches ; sa sœur Vicky et son frère jumeau, semblent essentiels dans la vraie vie pour Anna Krieps. Ils sont ses modèles, aussi bien Vierge que Christ (curieusement classés dans la série Space Generation), cosmonaute et Petit Prince, d’après l’histoire de l’aviateur de l’Aéropostale et écrivain Antoine de Saint-Exupéry.

Anna Krieps fait voyager le visiteur dans le cosmos, puis revient à la cabane aux parois en cartes postales expédiées du monde entier à sa grand-mère. Ce moyen de communication en voie de disparition et de distribution (comme par Saint-Exupéry) renvoie clairement à un refuge, un rembobinage, de sa vie actuelle de jeune trentenaire à l’enfance.

Anna Krieps a assurément à cœur d’illustrer ce qui ne va pas sur la planète Terre. Sa cosmonaute de sœur se promène dans en tenue hermétique à toute pollution dans un champ de tournesols artificiels qui remplacent les vrais. Des amis costumés en pirates illustrent (toujours selon Fanny Weinquin), « sur le ton de l’humour, les angoisses de certains de se voir colonisés par des réfugiés ». Cette série, Un bon port, est bien sûr un renversement du « bon port » malheureusement pas toujours atteint, par les passagers des frêles embarcations en Méditerranée, incertains de leur sort dans une Europe de plus en plus frileuse.

La distance critique qu’Anna Krieps voudrait mettre dans ses photographies, est court-circuitée par l’esthétique. Ce que nous voyions en réalité, comme cette Modern Ophelie sur son lit de roses brodées main de la série Fashion – elle est habillée par la styliste luxembourgeoise Laurie Lamborelle – ressemble trop à un entre-soi (In between us) à l’obsolescence programmée par l’Histoire avec un grand « H » qui court de plus en plus vite.

Avec Into The Void, l’approche plasticienne de Marc Soisson à la galerie Dominique Lang est tout autre. C’est que l’Eschois, la quarantaine, utilise pour son exploration cosmique de la poudre de suie (on pense aux maisons ouvrières autrefois chauffées au charbon) et de la limaille de fer contenue dans la roche du Sud. Marc Soisson travaille ensuite une pâte à papier teintée dans la masse pour décliner une série d’œuvres à l’aspect brut, physique. Des créations très personnelles, mais doublées d’une connaissance réelle des constellations, des mythes grecs anciens et basées sur des règles mathématiques. Il renoue également avec le land art et, last but not least, il ne manque pas d’humour.

Dès l’entrée de la galerie, voici N.E.B.R.A., composée de quinze disques de freins d’automobiles et d’arcs de cercle dessinés au crayon à même le mur. L’œuvre est la reproduction contemporaine de la plus ancienne représentation des Pléiades datant de l’âge du Bronze et découverte en Sachsen-Anhalt en 1999. Cette « carte » est le point de départ de toutes les déclinaisons plastiques de Marc Soisson au rez-de-chaussée. Ainsi, au revers de la carte des constellations, les minuscules poussières de papier enfilées sur des épingles et leur ombre portée pourraient signifier le cycle, de la moisson au labour, qu’Homère déjà, évoque dans l’Iliade et l’Odyssée. En face, voici les étoiles de la série Perseus en « briquettes » de charbon noir. Marc Soisson, avec cette non-couleur, donne-t-il une chance à celui qui ira au-delà des apparences, soutenir le regard de Méduse, la tuer et accéder à la connaissance ?

Avec la spirale d’Archimède ou la suite de Fibonacci de la série 5 x 4 spirals Marc Soisson s’attache à montrer des règles invisibles et antiques. Ce qui ne l’est pas, c’est son art : la pâte à papier, liquide, imbibée de charbon, est pressée sur des plaques en MDF, puis il travaille la forme des spirales en relief avec les doigts, comme un potier. Ou comme les artistes du land art (lui-même cite Robert Morris et Dieter Roth).

Revenus du cosmos sur terre, on se rendra au premier étage, où le visiteur est attendu par des signes : un ensemble de petits formats, supports de caractères d’écriture au trait noir sur fond de couleurs terre (jaune, rouge, ocre dilués). C’est à la fois une sorte de graffiti contemporain et un retour aux peintures des grottes préhistoriques. Curieux titre donc qu’Into the Void pour des « éléments réinsufflant du narratif, de l’anecdote dans le désert minimal », comme l’affirme Virginie Mossé dans le texte d’accompagnement. C’est assurément le cas des Lebenszeichen, deux très grands formats (300 x 157 cm) travaillés au fusain liquide sur papier. La gestuelle de Marc Soisson manipulant le papier comme on secoue des draps blancs, est à l’origine du tracé des coulures.

Marianne Brausch
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