Xénophobie au Luxembourg

Ferme

d'Lëtzebuerger Land du 08.03.2013

Jean-Claude Juncker (CSV) avait lancé une mise en garde il y a trois ans, lors de son discours pour le trentième anniversaire de l’Asti : le danger d’une radicalisation de l’extrême-droite est réel, le terreau est là, il ne lui manquerait plus qu’un homme fort, un leader, pour que le mouvement devienne encore plus menaçant. Une menace que la politique devrait, selon le Premier ministre, prendre extrêmement au sérieux et la contrecarrer pour assurer une survie du modèle du vivre-ensemble luxembourgeois. Peu après, le président de la Chambre des députés, Laurent Mosar (CSV), se dit tout aussi inquiet du phénomène d’une banalisation du discours xénophobe, véhiculé surtout par les forums Internet et les réseaux sociaux, promettant, lors de son discours d’ouverture de la session parlementaire, que les députés allaient s’y consacrer.
Mais aussi bien le pouvoir exécutif que le pouvoir législatif – et leurs prolongements que sont les partis politiques –, ont échoué en la matière, fermant discrètement les yeux vis-à-vis d’épiphénomènes comme les procès en diffamation lancés en guise d’intimidation à l’encontre de journalistes, les manifestations contre le logement de demandeurs d’asile dans les communes – Pétange, Kehlen, Junglinster –, la virulence des discours haineux sur Internet, la création de nouvelles associations – Lëtzebuerger Patrioten, Luxembourg Defence League – arborant fièrement les insignes et couleurs nationaux et prônant la priorité nationale à l’emploi ou le protectionnisme économique. Le LSAP, lui, a pris le contre-pied en proposant, subrepticement, l’introduction du droit de vote des étrangers aux législatives, comme pour faire preuve d’une ouverture d’esprit toute cosmopolite.
C’est donc le troisième pouvoir qui remet les pendules à l’heure et statue, dans plusieurs jugements récents, quelles sont les limites entre liberté d’expression et incitation à la haine raciale. En février, quatre internautes ont été condamnés à des peines de prison assez substantielles – trois fois six mois avec sursis et une fois, par contumace, à six mois fermes –, pour leurs commentaires sur le site Facebook de RTL en juin 2012 sous l’information concernant l’installation d’un foyer pour demandeurs de protection internationale à Kehlen, des commentaires que les auteurs semblaient prendre à la légère, mais dont les juges estimaient qu’ils représentaient justement une incitation à la haine raciale.
Ce mercredi, le tribunal correctionnel de Luxembourg a condamné Pierre Peters, le fondateur du parti d’extrême-droite National-Bewegong (en 1987), à six mois de prison ferme pour incitation à la haine, suite à la publication de dépliants envoyés en été 2012 à des agriculteurs dans lesquels il proposait ses services tout en s’indignant du traitement de faveur qui serait accordé aux étrangers au Luxembourg. L’homme avait déjà été récemment condamné à des peines de prison avec sursis pour des faits similaires ou adjacents : trente mois avec sursis en mai 2012 à Luxembourg (pour des dépliants similaires distribués dans le Sud du pays, affaire dans laquelle l’Association de soutien aux travailleurs immigrés s’était portée partie civile) et six mois avec sursis à Diekirch fin février (pour diffamation à l’encontre du maire d’Eschweiler et d’une notaire). À ce troisième procès en moins d’un an, et suite aux récidives de l’auteur des dépliants, les juges ont probablement estimé qu’il était temps de statuer de manière forte. Pierre Peters a annoncé qu’il ferait appel.
Car on est ici sur le terrain du symbolique : Pierre Peters est désormais complètement isolé, sans organisation ni communauté derrière lui – bien que son site Hemecht-an-natur.org, plusieurs fois fermé par la Justice, soit à nouveau en-ligne. Il est devenu l’incarnation de la haine raciale au Luxembourg et s’érige lui-même en martyre, victime d’un procès politique. Sa condamnation ferme est aussi une condamnation sociétale de son discours et d’une idéologie que la grande majorité de la population rejette virulemment.

josée hansen
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