Sous Serge Wilmes, la protection de l’environnement devient une variable d’ajustement de la simplification administrative

Alibi béton

Claude Meisch et Serge Wilmes lors de la présentation  du paquet  de mesures
Photo: Sven Becker
d'Lëtzebuerger Land du 25.10.2024

« Méi bauen, méi schnell », avec le visage du futur Premier ministre en grand sur les bords de routes. On se souvient de l’affiche mise en place par le CSV avant les élections législatives. Très vite, dès le mois de juin dernier, trois ministres répondaient à l’invective et présentaient un vaste plan pour la simplification administrative visant à faciliter la construction de logements. Lors d’une conférence de presse qui avait précédé la présentation du projet à la Chambre – ce qui avait ulcéré les Verts –, Léon Gloden (CSV), Claude Meisch (DP) et Serge Wilmes (CSV) faisaient feu de tout bois avec un slogan réactualisé, « Méi, a méi séier bauen ».

Si le volet environnemental est un aspect important du projet, le ministre Wilmes n’est pourtant pas celui qui s’est mis le plus en avant. L’essentiel de la promotion du paquet a été porté par Léon Gloden, qui avait pris la parole tellement longtemps à la commission jointe Environnement, Logement et Affaires intérieures du 24 juin que Claude Meisch n’avait pu présenter son point de vue. Les députés n’avaient eu le temps de poser qu’une ou deux questions et les députés verts Sam Tanson, Meris Sehovic et Joëlle Welfring avaient immédiatement demandé la tenue d’un autre rendez-vous, finalement fixé au 6 novembre. Contacté par le Land, Serge Wilmes fait savoir qu’il ne répondra à aucune question sur cette thématique avant que le nouveau projet de loi ne soit discuté dans la même commission.

Il a pourtant déposé le projet de modification de la loi sur la protection de la nature et des ressources naturelles le 16 octobre à la Chambre. Celui-ci confirme la volonté du gouvernement de restreindre nettement la protection de l’environnement, particulièrement en milieu urbain. « Abandon de l’obligation de compenser certains types de biotopes à l’intérieur de la zone urbanisée ou destinée à être urbanisée » ; « élargissement des possibilités de déroger à la protection des espèces animales et végétales qui sont soumises à une protection au niveau national » ; « abandon de l’obligation de solliciter une autorisation pour certaines actions » ; « abandon du principe de la compensation écologique pour les arbres routiers et les arbres sur des places publiques »… voilà quelques-unes des modifications annoncées dès l’exposé des motifs.

Un des points centraux du paquet est la remise en cause de la protection de biotopes en milieu urbain. En 2023, la ministre de l’Environnement, Joëlle Welfring (Déi Gréng), avait transposé dans un projet de loi le concept de nature temporaire existant déjà aux Pays-Bas. Elle partait du principe qu’il valait mieux beaucoup de nature temporaire (« Natur auf Zeit ») que pas de nature du tout. Des promoteurs possédant des terrains dans des Baulücken ou des zones artisanales préféraient régulièrement raser toute la végétation plutôt que de voir celle-ci se transformer en biotope et devoir payer des compensations lorsqu’ils les développeraient. L’idée était de déterminer un temps « T » à partir duquel le principe de nature temporaire s’appliquait. « Tout ce qui existait avant demeurait protégé, mais pas les biotopes qui seraient apparus après l’accord signé entre le développeur et l’ANF (Administration de la nature et des forêts) », explique Welfring.

Selon le projet de loi porté aujourd’hui par Serge Wilmes, non seulement tous les biotopes urbains pourront être détruits pour construire des logements, mais plus aucune étude ne sera menée pour déterminer leur richesse. « Il n’existe pas d’inventaire écologique de ces lieux, relève l’ancienne ministre écologiste. Nous avions décidé que l’ANF se chargerait d’en dresser un, mais ce ne sera donc pas le cas. Nous sommes en train de prendre des décisions sur des sujets que nous ne connaissons pas. »

Alors que les études démontrent les unes après les autres le déclin de la biodiversité, la volonté du ministère de l’Environnement de ne pas renforcer le monitoring des espèces dans les zones où le déficit de nature est le plus important peut étonner. Il y a deux semaines, un rapport du WWF affirmait par exemple qu’en cinquante ans, les populations de faune sauvage avaient décliné de 73 pour cent.

Le Luxembourg ne fait pas exception, les trois quarts des espèces protégées au niveau européen sont menacés et la moitié des habitats protégés se trouvent dans un mauvais état de conservation. Ce bilan a d’ailleurs été critiqué par la Commission européenne dans son rapport sur la mise en œuvre des mesures environnementales publié en 2022 : « Bien que le Luxembourg ait l’un des taux les plus élevés de zones terrestres protégées dans l’UE, la proportion d’habitats et d’espèces en mauvais état de conservation a augmenté. Les autorités luxembourgeoises devraient continuer à prendre des mesures réglementaires pour renforcer la biodiversité. Elles devraient également intégrer davantage les questions de biodiversité dans d’autres politiques, en particulier pour réduire les pressions exercées par l’agriculture sur l’environnement. » La prochaine édition du document sera publiée dans les prochains mois. Rien n’indique que la tendance s’inversera.

Joëlle Welfring reconnaît le besoin de simplification administrative. Elle estime que les efforts menés par son gouvernement n’ont pas été suffisamment notés, comme ceux qui avaient été votés à la Chambre le 21 juillet 2023, à quelques mois des législatives. Non seulement pour le principe de nature temporaire, mais également, par exemple, pour autoriser les travaux d’assainissement thermique. Ce texte facilitait encore l’installation de clôtures, de panneaux photovoltaïques ou d’abris pour le bétail.

« Il faut simplifier, il n’y a pas de tabou, affirme-t-elle. Mais il faut aussi regarder les chiffres et les faits. Protéger l’environnement n’est pas un luxe, c’est une nécessité. Il est toujours possible de trouver des solutions pour connecter les besoins de chacun. Il y a une analogie dans la façon dont le gouvernement traite ce dossier et celui de la protection du loup. Il y a une sorte d’activisme malsain qui cherche des réponses à de mauvaises questions. Dans un cas comme dans l’autre, le système fonctionnait, il suffisait de bien l’utiliser. »

Car au fond, le sujet essentiel de ce dossier est de savoir si, oui ou non, la réglementation environnementale a un impact négatif sur la construction de logements. Certes, le pays en a besoin pour accueillir tous les nouveaux arrivants (plus 42 pour cent d’habitants entre 2004 et 2022), mais aucun des trois ministres n’a avancé de chiffres démontrant que ce sont précisément les règles visant la protection de la nature qui sont la cause du déficit de constructions d’habitations. D’ailleurs, l’Obervatoire de l’Habitat et celui du Développement spatial confirment au Land qu’ils n’ont jamais étudié cette thématique.

On pourrait voir là une certaine croisade idéologique de la part de la coalition en place, et aussi le moyen d’offrir un joli coup de pouce aux promoteurs immobiliers, dont on se souvient du repas pris en commun dans un restaurant de Mondercange, à quelques jours des élections législatives. Car finalement, l’adaptation de la loi va surtout leur permettre d’économiser les frais des études environnementales et de compensations.

Si la volonté était de réellement créer de nouveaux logements, pour le coup, des experts ont déjà proposé des pistes. Car en définitive, avec 4 300 hectares de terrains constructibles (un chiffre stable), ce n’est pas le foncier qui manque au Luxembourg. C’est plutôt sa mise à disposition par le tout petit pourcentage d’habitants qui en concentre la plus grande partie. La moitié de ces terrains se trouve en effet entre les mains de 0,5 pour cent de la population. La spéculation et le désintérêt de la chose publique sont les deux principales causes de cette rétention. Les chercheurs de l’Observatoire de l’habitat préconisent à ce titre la création d’un impôt de mobilisation des terrains pour les 3 000 familles en possédant le plus, ainsi qu’un impôt sur les plus gros héritages en ligne directe. Pour ces scientifiques, la fiscalité serait le levier le plus efficace pour débloquer la situation, ce qui aurait non seulement l’avantage de loger davantage de monde, mais aussi de faire baisser des prix artificiellement maintenus à des niveaux exorbitants. Mais est-ce vraiment ce que recherche le Gouvernement ? La simplification administrative a peut-être bon dos.

Erwan Nonet
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