Élections municipales en France 

Le pari du Front national en Moselle

d'Lëtzebuerger Land du 21.03.2014

À deux mois des élections européennes, l’extrême-droite a l’occasion de conforter son ancrage territorial. Le Front national mise notamment sur la Moselle, un département où il fait de bons scores aux scrutins nationaux.

Au vu des 596 listes déposées par le Front national, Marine Le Pen a déjà remporté un premier pari : implanter son parti localement après son score de 18,3 pour cent à l’élection présidentielle de 2012. Non seulement le parti dépasse son record historique de 512 listes en 1995, mais surtout, il affiche un maillage territorial quasi complet.

Après avoir fait du Nord, du Gard, du Vaucluse et des Bouches-du-Rhône ses bastions, le Front national investit la Moselle. Aucune liste aux dernières élections municipales de 2008, douze en 2014. Sur le papier, la progression du Front national en Moselle semble fulgurante.

Interrogé par d’Lëtzebuerger Land, le spécialiste de l’extrême-droite Jean-Yves Camus relativise : « 2008 et 2001 furent de mauvaises années pour le Front. Les caisses étaient vides suite aux défaites aux élections présidentielle et législatives de 2007. Moins de finances, moins de listes. 1995 est un meilleur repère ». Lors de cette année où le FN a conquis les villes de Toulon, Marignage et Orange, le parti avait aligné huit listes en Moselle.

Le secrétaire départemental Thierry Gourlot se réjouit. Lui-même se présente à Metz, en deuxième position. « Les sondages nous donnent onze pour cent comme en 1995, mais je pense qu’on peut avoir un score historique comme vingt pour cent. On peut espérer décrocher deux ou trois villes en Moselle ». À Metz, la liste FN est menée par Françoise Grolet, une conseillère régionale qui avait devancé l’actuel maire Dominique Gros (PS) au premier tour des cantonales en 2011.

Les regards se tourneront inévitablement vers Forbach, capitale de la Moselle-Est, où la tête de liste FN n’est autre que le vice-président du parti, Florian Philippot. Cet ancien bassin minier de 22 000 habitants affiche un taux de chômage de quatorze pour cent, un centre-ville déserté et une importante population issue de l’immigration. « Il incarne la nouvelle génération du Front national. Sa victoire serait chargée de symboles, il est monté très vite au sein du parti », analyse Jean-Yves Camus. Parachuté à Forbach, Florian Philippot, 32 ans, a fait 42 pour cent au second tour des élections législatives de 2012.

Le numéro deux du FN entend profiter de la division de la droite locale et de l’impopularité de la gauche au niveau national pour détrôner le maire socialiste. Signe que sa candidature inquiète au PS comme à l’UMP, Manuel Valls et Jean-François Copé ont fait chacun un déplacement à Forbach.

Autre symbole, autre scrutin à surveiller : Hayange. Dans cette ville de la vallée de l’acier, le gouvernement de François Hollande n’a pu empêcher la fermeture des derniers hauts-fourneaux ArcelorMittal. La crise et le sentiment d’abandon ont fait progresser les idées de l’extrême-droite chez les 15 000 habitants. Face au maire socialiste sortant, le FN est emmené par Fabien Engelmann, ancien délégué syndical à la CGT converti au bleu-blanc-rouge. En 2008, il fut candidat Lutte ouvrière à Thionville. « Je n’aurais pas adhéré du temps de Jean-Marie Le Pen. À son époque, le parti ne cherchait pas à s’implanter localement, c’était une erreur. Si on ne gagne pas des communes, on aura au moins des conseillers municipaux ». Il est là l’objectif de Marine Le Pen : placer un millier de conseillers municipaux à travers la France.

« Le FN a un stratégie à moyen et long terme. Ils ont conscience qu’ils ne pourront pas prendre trop de villes car le parti n’a pas assez d’expérience en terme de gestion. L’objectif est d’avantage de former un tissu d’élus locaux sur lesquels capitaliser à l’élection présidentielle en 2017 », décrypte le sociologue Sylvain Crépon.

Pour multiplier les listes, encore faut-il les remplir. Si les électeurs frontistes ne se cachent plus comme autrefois, certains militants sont encore réticents à figurer sur une liste, surtout les femmes. « Je n’ai pas eu de mal à trouver 33 colistiers », affirme Fabien Engelmann. Jusqu’à la clôture du dépôt des listes, le Front national annonçait 22 listes en Moselle.

« Florian Philippot n’aurait pas été tête de liste du temps de Jean-Marie Le Pen. Les gens acceptent de s’engager, car la charge de négativité n’est plus aussi forte. Ils n’ont plus peur d’être stigmatisés », avance Jean-Yves Camus. Marine Le Pen mène depuis 2011 une politique de normalisation du parti qui commence visiblement à payer.

Le FN tente aussi sa chance à Thionville, 40 000 habitants, où il ne s’était pas présenté depuis 1995. Dans une commune qui vit au rythme des déplacements des transfrontaliers, la tête de liste Hervé Hoff aura probablement du mal à convaincre de la pertinence de fermer les frontières. Dans le département voisin, Nancy a vu le FN, également absent depuis 1995, revenir rangé derrière un étudiant de 23 ans, Pierre Ducarne.

En Moselle, le FN a toujours fait de bons scores. Comme dans le Nord, la sociologie cadre avec la cible du Front. « Sur ces vielles terres industrielles qui ont subi de plein fouet la désindustralisation, les catégories populaires ne se reconnaissent plus ni dans la gauche ni dans la droite », pointe Jean-Yves Camus. Une différence toutefois : si le Nord possède une tradition de vote à gauche, la Moselle est une terre de vote gaulliste. « La droite est très implantée dans la région. Le FN y fait de bons scores nationalement, mais n’a jamais décollé aux élections locales », relativise Sylvain Crépon.

Mais le FN sait ratisser large en captant le rejet de la politique. À Hayange, Fabien Engelmann capitalise sur son passé trotskiste. « Ma liste rassemble des électeurs du FN, de droite et de gauche. Ça les rassure que je sois un ancien de gauche. Il faut récupérer ces électeurs qui se sentent déçus et trahis ».

Marianne Rigaux
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