La réforme de la Carte scolaire française devait favoriser la mixité. Elle n’a pas fait de miracle

La mixité ne profite qu‘aux bons élèves

d'Lëtzebuerger Land du 23.09.2011

Comment éviter que les écoles dans les quartiers socialement défavorisés se transforment en usines d’où sortent les chômeurs de demain ? Comment améliorer la mixité afin que les écoles ne soient pas à l’image du « ghetto » comme on décrit ces cités urbaines, le plus souvent en périphérie des grandes villes, où s’accumulent tous les problèmes d’insertion ou ascension sociales et tous les dangers de dérive vers l’échec scolaire, voire la délinquance ? La République française a toujours compté sur l’école publique comme un gage d’une meilleure égalité. Il est devenu presqu’une tradition que chacun des nombreux ministres laisse sa trace avec une réforme allant dans ce sens. Et pourtant, tout reste à faire ou presque.

La question de la mixité sociale est au centre de ces débats depuis le [-]début des années 1960. C’est à ce moment-là aussi qu’ont été construites – généralement à la va-vite – ces « villes nouvelles » dans les agglomérations qui devaient accueillir les familles d’immigrés. On sait aujourd’hui que le concept n’avait de révolutionnaire que le nom. Les dégâts par contre sont considérables pour la société où des couches populaires entières se retrouvent dans une situation de ségrégation, amplifiée par les années de chômage de masse et la perte d‘espoir dans un avenir meilleur. Les écoles dans ces quartiers n’ont pas été épargnées par cette dynamique infernale, elles se sont dégradées dans le même temps que l’habitat et le marché du travail. Ceux qui peuvent s’en vont. Surtout les familles un peu plus aisées, un peu plus françaises. Celles disposant de relations, genre « pistons et tuyaux », font tout pour inscrire leurs enfants dans des établissements scolaires publics ou privés à l’extérieur du « ghetto ». Il en va de l’avenir de leurs fils et filles.

Depuis 1963, la « Carte scolaire » devait justement interdire ce « tourisme scolaire » des uns et des autres. Elle devait en contrepartie aussi garantir que tous les élèves puissent trouver leur place et bénéficier pleinement de leur droit à l’éducation dans l’école de leur secteur. Aussitôt, des familles ont protesté que leur progéniture était lourdement handicapée par l’obligation de fréquenter des classes surchargées, mais surtout ayant des taux très élevés d’enfants issus de familles tout juste arrivées en France, avec des parents analphabètes ou connaissant mal le système éducatif français.

Dès lors, le débat a fait rage afin de savoir si cette Carte scolaire devait être assouplie, pour laisser aux meilleurs (ou plus fortunés) des élèves une chance de faire leurs études dans des conditions plus avantageuse que celles du le secteur correspondant à leur domicile. Nicolas Sarkozy avait même fait de la suppression de cette Carte scolaire une promesse électorale avant 2007. Une fois élu, Sarkozy a seulement assoupli d’avantage cette Carte scolaire, en facilitant aux bons élèves boursiers l‘accès aux établissements les plus renommés. D’après les enseignants, les résultats sont plutôt mitigés.

En effet, selon une étude réalisée pour le ministère de l’Éducation, dont les résultats (qui sont restés cachés dans un tiroir ministériel) ont été publiés par un syndicat des directeurs des établissements scolaires, la réforme de la Carte scolaire a eu des effets pervers. Elle fait fuir les élèves : quarante pour cent des établissements déjà en difficulté, classés « Réseaux ambition réussite », sont depuis moins fréquentés, dix pour cent d’entre eux on même vu partir jusqu’à un quart de leurs jeunes. C’est-à-dire au lieu d‘augmenter la mixité, l’isolement et la tendance à la ghettoïsation ont été renforcés. Les syndicats des enseignants parlent d’une « polarisation » inquiétante – exactement le contraire de ce qu’on a voulu faire. L’école de la République qui devait donner accès à tous les postes et carrières aux plus méritants bétonne et amplifie ainsi les différences existantes.

L’OCDE le confirme, les inégalités scolaires se sont au contraire accrues depuis 2000. Aujourd’hui, la réalité n’est guère différente de celle constatée en 2006 (avant la réforme de Nicolas Sarkozy) dans les 109 collèges de Paris : En sixième (première année du collège) les élèves issus de familles aisées représentaient 46 pour cent dans les 58 meilleurs établissements, 18 pour cent seulement de familles modestes (ouvriers, chômeurs). Par contre, dans les 17 établissements les moins bien considérés, on ne trouvait que sept pour cent de jeunes appartenant aux classes aisées (cadres, entrepreneurs et commerçants, professions libérales), mais 51 pour cent avaient des parents ouvriers ou chômeurs. À la clé, ces derniers avaient beaucoup moins de chance d’accéder aux Grandes écoles qui forment l’élite de demain et de réussir aux concours pour certaines filières (médecine, Sciences-Po, écoles de commerce etc.). La question de la mixité sociale reste donc primordiale. Sauf que ni l’application stricte de la Carte scolaire, ni son assouplissement n’ont jusqu’ici vraiment changé la donne. C’est ce que confirment d’ailleurs les études d’Agnès van Zanten et Jean-Pierre Obin (« Choisir son école » et « La Carte scolaire »). S’agit-il d’une « fausse bonne idée », une de plus ?

Et si une partie au moins du problème et de sa solution étaient ailleurs, du côté de la qualité de l’enseignement et de la formation des enseignants ? Le socialiste Manuel Valls s’est récemment étonné à la télévision qu’à Evry, en banlieue parisienne, avec ses zones sensibles et prioritaires en terme d’éducation, à chaque rentrée, il y avait un nombre invraisemblable d’enseignants débutants au lieu de profs expérimentés. Faudrait-il aussi une sorte de Carte scolaire pour le personnel pour éviter que les « bons » profs fuient les quartiers défavorisés ? Certes, Nicolas Sarkozy avait un moment parlé de « discrimination positive », mais c’était avant son élection, donc à une autre époque. L’actualité est tout autre en temps de crise : Comme en 2010, le personnel de l’Éducation nationale a été une nouvelle fois réduit de 16 000 postes en 2011. Cette saignée n’épargne pas les écoles en zone « prioritaire », elle y anéantit bien des efforts réalisés pour améliorer le niveau.

Pour revenir à la question du choix de l’école, la sociologue Agnès van Zanten décrit une autre méthode que celle de la Carte scolaire française. En Grande-Bretagne, on donne aux directeurs établissements scolaires autant d’autonomie et d’obligations à respecter : « Chacun est libre de choisir son école, mais les établissements doivent respecter des quotas : un tiers de bons élèves, un tiers de moyens et un tiers d’élèves en difficultés. » Mais cela ne garantit en rien l’égalité d’accès aux études. Tant qu’il existera de telles différences entre les quartiers comme en France, les quotas et secteurs ne pourront guère faire des miracles.

Rudolf Balmer
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