« Un gène brestois aussi, tant qu’ils y sont ! ». Irène (Sidse Babett Knudsen) l’avait pourtant préparée, cette entrevue à l’Affsaps (désormais l’ASNM, l’Agence nationale de sécurité du médicament, gendarme étatique de la pharmacopée). La pneumologue se désespère de tant de mépris, tant du côté du représentant des laboratoires Servier que de ses confrères. À Paris, elle vient plaider la cause de ces quelques cas décelés de valvulopathies dans son hôpital brestois liées à une prise d’un remède anti-diabétique vendu depuis trente ans en France, désormais couramment prescrit comme coupe-faim. Nous sommes alors en 2009 et Irène Frachon se prend la loi des lobbies en plein tête. Depuis quelques mois, elle et son collègue Le Bihan (Benoît Magimel), rejoints par une troupe de soignants enragés et engagés, ont découvert cette corrélation inquiétante. L’inertie des pouvoirs publics la sidère un instant, puis finalement la galvanise. Il n’y a pas encore d’affaire Mediator : il y a des malades, des existences en suspens. Bientôt, un premier décès, une patiente à qui le médecin traitant avait à nouveau prescrit la pilule magique malgré la mise en garde de la spécialiste. Après l’autopsie, de nouveaux débats. Le ton change, la volonté grandit. La pneumologue rue dans les brancards, s’apaise à peine au sein de sa famille pourtant unie et aimante. Elle n’a pas le luxe de pouvoir être à bout de souffle. Son allié Le Bihan estime qu’ils ont remplis leur mission, qu’ils ont alerté les pouvoirs publics. Irène publie alors, en mai 2010, Mediator 150mg. Combien de morts ?. Le sous-titre passe mal, poursuites judiciaires, mise à l’index à l’Ordre des médecins. Elle a peur, elle se fatigue, elle continue. Sa lutte ne sera pas vaine : après des mois d’enquête, étayée par l’étude d’une taupe à la sécurité sociale et le soutien d’une journaliste, le médicament sera finalement retiré du marché. On parlait alors d’une pandémie de 500 à mille décès. Aujourd’hui ce chiffre est constamment revu à la hausse.
Car aujourd’hui encore, Irène Frachon, dont Emmanuelle Bercot retrace le combat dans La fille de Brest, se bat pour les victimes, qui n’ont toujours pas été indemnisées faute de procès au pénal. Dès la publication de son ouvrage, la médecin a reçu bon nombre de demandes d’adaptation de cette folle histoire. Tout y était déjà : l’héroïne à la détermination inébranlable, la cause prise à bras le corps, le pot de terre contre le pot de fer. C’est finalement la réalisatrice de La tête haute (ouverture du festival de Cannes en 2015) qui s’y est attelée, avec ce qu’il fallait de rage et de délicatesse pour porter à l’écran cette « femme ordinaire prise dans une histoire extraordinaire », d’après la propre conclusion de la pneumologue. La danoise francophone Sidse Babett Knudsen (la première ministre de la série Borgen) rend compte du caractère généreux et nonchalant d’Irène Frachon, mais, très bien dirigée, montre aussi les limites d’un tel acharnement, le dégât que l’affaire inscrit sur son corps. Emmanuelle Bercot retricote parfois l’intrigue, crée du conflit là où il n’y en avait pas « en vrai » (comme avec son collègue médecin) pour créer une dynamique, mais reste fidèle aux engagements profondément altruistes de son personnage, parfaitement défini. Car si le film est construit sur la base de fonctionnement d’un thriller, ou convoquant Soderbergh pour ce côté Erin Brockovich, il n’en reste pas moins le portrait sensible d’une femme habitée. La caméra ne la quitte pas, l’inscrit dans les territoires, à l’hôpital surtout, mais aussi dans la ville, dans les réunions, dans sa famille. À chaque fois, la même passion, le même verbe haut, mais aussi les failles.
Même si on peut lui reprocher un certain manque de prise de risque dans sa mise en scène et son langage cinématographique, la réalisatrice de la fiction du réel parvient à montrer le cheminement, celui d’une cause et celui d’une femme, en n’épargnant peu et en ouvrant grand le débat sur la notion de résistance.