Elle : Agnès Varda (89 ans), réalisatrice mythique de la Nouvelle Vague ou plutôt du cinéma de la Rive Gauche, ainsi que l’écrivain Richard Stanley Roud distinguait les cinéastes comme Resnais, Marker ou donc Varda pour marquer une différence sociologique, politique et artistique avec des réalisateurs comme Godard, Truffaut et Chabrol. Lui : Jean René, « JR » (34 ans), photographe, artiviste, dont la marque distinctive est le collage de portraits géants sur des bâtiments ou tout autre élément du paysage urbain pour rendre attentif aux histoires et conditions de vie de leurs habitants.
De leur rencontre, initiée par Rosalie Varda, la fille d’Agnès Varda, naît l’idée d’un documentaire pour lequel la réalisatrice veut faire sortir JR du milieu urbain afin de lui faire découvrir les petits villages magiques de la campagne française. Le projet Visages, Villages, été accueilli avec scepticisme, d’abord parce deux artistes aussi établis ont cherché son financement à travers une plateforme de crowdfunding et ensuite parce l’œuvre de JR n’est pas sans diviser les critiques, certains considérant son approche comme démagogique, loin de l’esprit initial du graffiti et de l’affichage sauvage.
Et c’est effectivement un sentiment que l’on peut avoir dans des moments comme celui où les deux artistes vont dans une petite ville ouvrière du Nord où ils rencontrent une dame âgée, dernière résistante à la démolition des maisons de sa rue. Après avoir collé son portrait en format géant sur sa maison, ils l’accueillent sur le trottoir en face pour lui faire découvrir l’image. Submergée par l’émotion, la dame fond en larmes en répétant qu’elle ne sait pas quoi dire. Agnès Varda lui répond alors : « On est amies maintenant ! ». Ce moment pénible d’émotion facile, qui n’est pas sans rappeler les émissions tire-larmes dans lesquelles des familles sans moyens se font rénover leurs maisons gratuitement pour zoomer ensuite sur leur visage en pleurs, n’est heureusement pas la norme pour l’intégralité du documentaire et les longues pauses de tournage entre les différents déplacements dans le camion photo de JR, dû à l’âge d’Agnès Varda, ont laissé le temps de réfléchir à la direction d’un film sans canevas précis.
Au fur et à mesure que le duo improbable investit ses propres émotions et souvenirs dans le film, celui-ci gagne en authenticité et en originalité. Leur œil indubitable pour l’image poétique se révèle véritablement lorsque qu’un lotissement abandonné en pleine construction est orné des portraits d’habitants des villages avoisinants, qui investissent ensuite le lieu le temps d’une fête ou à travers le portrait d’un facteur devenu à la fois confident et homme à tout faire pour les citoyens de son petit hameau.
Lorsque les sujets prennent de l’envergure, le temps imparti s’avère insuffisant et le discours reste superficiel. C’est le cas par exemple pour cette double escale chez des éleveurs de chèvres. L’un, coupant les cornes aux animaux afin d’éviter d’en perdre dans les bagarres habituelles entre les bêtes, est jugé trop focalisé sur la rentabilité. L’autre, refusant d’enlever les cornes aux animaux et trayant à la main, est érigée en héroïne. Or, le fait que la traite systématique et journalière des animaux est déjà un processus forcé et pas naturel en soi n’intéresse pas les réalisateurs.
Il en est de même pour ce petit détour exceptionnel accordé à JR par sa complice en milieu urbain. Sur les quais du Havre, les artistes veulent rendre hommage à trois femmes de dockers. L’interview que mène Agnès Varda avec les épouses des ouvriers semble viser à leur extraire des témoignages d’une vie éprouvante. Heureusement, l’une d’entre elles s’avère alors être chauffeur de poids lourds, un métier certes assez rare pour une femme, donnant l’occasion d’introduire quelques plans de coupes où elle monte dans son 45 tonnes. Lorsque la même femme déclare être toujours derrière son homme pour le soutenir, Varda la corrige : « A côté de votre homme »... suite à quoi celle-ci répète la phrase sagement.
Pour Visages, Villages, les réalisateurs ont accepté « d’engager le hasard comme assistant » pour citer Agnès Varda. Cette manière de travailler crée trois types de moments dans le film. Ceux où ils sont à la hauteur des gens et leur rendent hommage en toute dignité. Ceux, plus pénibles, où ils imposent leurs vues, parfois un peu dépassées, de la petite France, par leur importance d’artistes connus et les moments plus autobiographiques et honnêtes, comme cette rencontre prévue avec Jean-Luc Godard, permettant une belle fermeture de boucle à la fin.