Christophe Vincent

L’éclaireur

d'Lëtzebuerger Land du 27.01.2011

Il a déjà fait des centaines de milliers de kilomètres à travers le grand-duché et connaît ce pays comme sa poche. Un jour, il peut être à la recherche d’une route de campagne à côté d’un champ de maïs, le lendemain ça peut être une ancienne boutique qu’il trouve dans la vieille ville et qui fera office de pharmacie viennoise du début du XXe siècle, le temps que le cirque cinématographique passe pour enfanter d’une scène. Cela fait dix ans que Christophe Vincent travaille dans le cinéma luxembourgeois. Au début, rien ne le prédestinait à ce milieu. En tant qu’étudiant français à une faculté de sports, il est en recherche d’un petit boulot qui lui permette de joindre les deux bouts à la fin du mois. Il commence par faire la petite main sur des plateaux de tournage : il fait le café pour les acteurs et l’équipe technique et vide les poubelles à la fin de la journée. Tout ce que le septième art a de moins glorieux mais d’indispensable pour sa survie. De fil en aiguille, il devient le conducteur de Laura Smet et d’Emmanuelle Devos sur La femme de Gilles, se voit promu au rang de régisseur adjoint et commence à faire des repérages. En tant que location scout, il est à la recherche de lieux insolites qui peuvent servir de décors de cinéma. Avec le temps, il s’est constitué une vaste base de données qu’il réactualise en fonction de chaque nouveau projet. Une maison vide repérée il y a trois ans avec l’aide des bâtiments publics peut être démolie l’année d’après. Tout comme le marché de l’immobilier, les décors dénichés sont éphémères et demandent un suivi constant.

Une fois ses propositions soumises au réalisateur et au chef décorateur, c’est à eux de réorienter le location scout en fonction de leurs besoins spécifiques. Si certains réalisateurs sont très précis et ont une vision concrète de ce qu’ils recherchent comme décors, il y en a d’autres qui sont plus évasifs et qui lui laissent une part de créativité. L’important, que ce soit dans les propositions de décors à soumettre ou dans les demandes d’autorisation des lieux à obtenir, est de mettre les gens en confiance et de leur laisser le pouvoir décisionnel. « Tout le monde veut quelque chose et c’est vrai, » nous dit Christophe Vincent qui sait que pour recevoir, il faut toujours d’abord donner quelque chose. Les noms des stars attachées au projet, des places gratuites pour l’avant-première et surtout le dédommagement financier peuvent intéresser les concernés. En cas de refus, il faut nuancer entre les bornés et catégoriques et ceux où les gens ne disposent pas d’informations suffisantes pour faire confiance à la société de production.

Des perles rares comme le hangar de 3 000 mètres carrés qu’il a trouvé à deux pas de Samsa à Bertrange pour une somme très attractive font naturellement monter sa réputation dans le milieu. Mais là encore, ce sont des éclats de lueurs qui durent pendant une production ou deux, puis le propriétaire change et le monde du cinéma doit de nouveau plier ses tentes pour aller s’installer ailleurs. Aujourd’hui, Christophe Vincent nous reçoit dans les anciennes usines de TDK à Bascharage, où un film d’Iris Productions est en train d’être monté. Huit mois sur douze, la machinerie cinématographique est en marche dans ces hangars vides.

Au Luxembourg, la personne qui est chargée de faire les repérages est souvent aussi le régisseur général. Une fois que le travail du location scout est fait, c’est celui qui prend le relais. Il négocie les contrats pendant la phase de pré-production avec les propriétaires des lieux, puis se prend un adjoint et une équipe, constituée souvent de stagiaires. Ce travail est moins solitaire que celui du location scout, il faut savoir gérer une équipe et être à l’écoute des différents départements lors du tournage. Christophe Vincent est passé régisseur général il y a trois ans. Mais ce n’était pas sans difficultés : une période de creux dans le cinéma luxembourgeois en 2005 a fait qu’il a dû changer de travail. Il a failli quitter le monde précaire du cinéma, mais quand on lui a proposé de nouveau un film deux ans après, il a accepté. Ce qu’il aime dans ce cirque folklorique, c’est la liberté de ne pas avoir de CDI qui l’enfermerait trop, de ne jamais avoir de quotidien dans son travail et de pouvoir bénéficier de la richesse des rapports humains contenue dans ce milieu. S’il ne choisit pas ses heures supplémentaires au moment du tournage, ce qui amène à un abandon régulier de toute forme de vie privée, il a le bonheur d’appartenir à une famille collective qui est celle du cinéma, avec toutes les engueulades, trahisons et mariages que le terme « famille » implique.

Thierry Besseling
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