La musique est un art invisible, la peinture la fait voir : Une exposition de groupe chez Zidoun & Bossuyt

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d'Lëtzebuerger Land du 17.02.2023

I’m not there – The invisible influx of music on art, actuellement à la galerie Zidoun & Bossuyt, est un panorama d’artistes des années 1980 à aujourd’hui, inspirés par la scène pop-rock et punk allemande. C’est Filip Markiewicz, peintre luxembourgeois et aussi musicien, qui a connu le curateur, Max Dax à Berlin.

Né en 1969 à Kiel, Max Dax est curateur, écrivain et journaliste, fondateur du magazine Spex, l’équivalent allemand des Inrocks français. Organisateur de deux grandes expositions à Hambourg en 2019 et à Rotterdam en 2020, l’exposition à Luxembourg est nécessairement plus restreinte, vu les dimensions de la galerie au Grund.

Il y montre des icônes de la peinture pop, rock et punk, comme Isa Genzken (née en1948). Ses photographies New York, 1981, à l’esthétique minimaliste, ont été prises lors d’un concert du groupe CBGB. Ce sont des C-prints instantanés où Isa Genzken ne saisit que les éléments techniques, baffles, micro devant un ampli, pied du musicien sur une pédale wah-wah. C’est l’instant de la performance. L’image iconique sur laquelle ouvre l’exposition est Autobahn, une peinture à l’huile sur toile de 2020 grand format par une autre star de la scène pop allemande. Emil Schult né en 1946, cet élève de Gerhard Richter, Joseph Beuys et Dieter Roth fut le créateur officiel du groupe Kraftwerk. Il reprend ici la pochette qu’il créa en 1974 pour le premier album officiel du groupe de Düsseldorf. On se souviendra du morceau phare de l’album éponyme, de la musique « motorik », où l’on entend des pneus sur le bitume de l’autoroute. S’y croisent une Coccinelle et une berline Mercédès dans un paysage vallonné, derrière lequel se lève un soleil radieux Un avion vole haut dans le ciel. Aujourd’hui, avec le recul, on se remémore la société des loisirs et de révolte des années post-1968. Aussi que le nom même du groupe, Kraftwerk, évoque le nucléaire qui achemine l’électricité via les poteaux à haute tension que l’on voit dans le tableau...

I’m not there – The invisible influx of music on art est remarquablement mis en espace, avec à côté d’Autobahn, la Nano Gitarre (2011) de Thomas Scheibitz (né en 1968). Plus loin dans l’exposition, on verra Peace (2018). Ces deux sculptures schématiques (ou abstraites, le sigle « peace » se lit ici comme une guitare dans un cercle), rendent hommage de manière lisible au hard rock et au heavy metal. Mais Thomas Scheibitz, comme l’indique le titre Nano Gitarre, est aussi fasciné par les avancées scientifiques sophistiquées des nano-technologies à partir de la fin des années 1990. On change de registre, les scientifiques utilisèrent un exemple musical via un laser jouant d’une nano-guitare. Même Emil Schult, dans Typical angels, un jet d’encre sur papier de 2014, passe à une autre dimensions, la 3D dessinée sur ordinateur.

Face à ces pièces très colorées, voici Radenko Milak, né en 1980 en Bosnie-Herzégovine, dont Max Dax propose sept aquarelles sur papier, dédiées ou dédicacées aux icônes musicales. Leur rapport à la politique (Bob Dylan and Barack Obama, Donald Trump and Kanye West, 2022), l’éternel espoir de « peace and love » de Yoko Ono et John Lennon (War is Over). La série Musical Trascendences a été réalisée pour l’exposition par celui qui est un peu le « bébé » de Max Dax. Les aquarelles de Radenko Milak ont le rendu clinique de la copie photographique. Madonna y embrasse Britney Spears à pleine bouche et le groupe Laibach s’y produit en Corée du Nord. Les artistes et leurs œuvres sont engagés : juste à côté, voici le dessin au crayon sur papier de Filip Markiewicz Copyright Copy de 2015, sur une chanson de Trent Reznor « I’m just a copy of a copy of a copy ». Pour Markiewicz, dont la famille est immigrée polonaise installée au Luxembourg, la question des droits d’auteurs illustre l’enseignement dans l’ex-bloc soviétique où la pop et la consommation de l’autre côté du rideau de fer étaient des ennemis de classe.

On retrouve Markiewicz dans la salle du fond, avec une confondante grande huile sur toile Rehearsal for a still life. Les éléments très colorés et réalistes de cette « esquisse » toute récente pour une nature morte, fait le pendant à une huile sur toile de Henning Strassburger, Switchblade/Possible Psycho Surf Songs (Tack XI), le plus jeune artiste de l’exposition de groupe. Ces deux pièces sont, il nous semble, le plus en rapport avec l’histoire de la peinture : Vierges baroques (psychédéliques) et Vanité chez Markiewicz, Kandinsky et Klee chez Strassburger, dont la délicatesse des touches est par ailleurs un contre-point à la puissance d’expression très colorée de Markiewicz.

Le lien le plus lisible peinture-musique est dans les touches noires du piano et le métronome du Klavier (2019) et de Track (2022) de Thomas Scheibitz Ce sont pourtant des peintures abstraites. Car voici, pour finir, une sorte de sommet de l’expression libre, qu’exprime le mieux The sound of silence de Simon et Garfunkel. Sur les trois très grands formats (Untitled, Discovery, Lieder in Vakuum et What other people can’t, 2018), Max Frintrop, né en 1982, travaille des purs bleus sur toile, à l’encre, l’acrylique et aux pigments purs. Gestuelle et rythme font les trois pièces voisines, de Bettina Scholz (née en 1979). Les très grands formats Disappearence/Reappearence, Firestarter et Qualm de 2019, 2020 et 2022, à l’acrylique et peinture en bombe sur MDF et sur verre, sont un travail de pure sensation à l’écoute de la musique.

I’m not there – The invisible influx of music on art,
est à voir à la galerie Zidoun & Bossuyt, 6 rue Saint-Ulrich, Luxembourg-Grund, jusqu’au 4 mars

Marianne Brausch
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