Les réfugiés, cet « unexplored market ». Dans la « pitch room » de Luxexpo mercredi, un réfugié politique iranien, Rooh Savar, présente sa banque « pour les newcomers en Europe ». Sur la scène éclairée au milieu de la salle obscure, l’entrepreneur et son associée, Caroline Span, conjuguent ambitions humanistes et financières pour convaincre le jury et d’éventuels investisseurs du bienfondé de leur projet : fournir des services bancaires aux personnes immigrées.
Les deux cofondateurs de cette entreprise référencée au Refugee-led Innovation Fund des Nations unies font valoir un portefeuille de 2 000 clients payants en 18 mois d’exercice. L’objectif : un million d’ici 2027. Cela passera par les marchés allemand et luxembourgeois. « We know Luxembourg loves fintech and we’d like to have a European license here», continue Caroline Span. Le jury interroge sur les impératifs de connaissance de la clientèle (know your customer), point sur lequel le régulateur financier est un brin tatillon. « On fonctionne en B to B to C » (pour business to business to customer), répond Rooh Savar, précisant que ses utilisateurs finaux sont introduits par des organismes, les souscripteurs, comme la Croix-Rouge, lesquels ont déjà collecté les documents d’identité. « Une partie du KYC est externalisée et nous réduisons du même coup le CAC (client acquisition cost) », poursuit l’entrepreneur avec son bonnet fétiche vissé sur la tête.
Un duo de jazz installé à côté de l’estrade joue une courte mélodie pour marquer la fin du temps imparti aux startupers et au jury. Une soixantaine se sont succédé sur scène ces mercredi et jeudi, des sessions Fit4Start consacrées à la levée de fonds pour jeunes entreprises (venture capital ou capital risque). « Empowering startup founders. Connecting investors », promettait le slogan de l’événement.
Une plateforme d’échanges organisée en quatre lieux : le bruyant hall où a été installé le catering et où se sont croisés les presque 2 000 inscrits, puis trois salles de conférences dont une offrant un bar cosy. Au milieu, des dizaines de serveurs apprêtés. Les organisateurs, Luxinnovation et la LPEA (Luxembourg Private Equity Association), ont mis les petits plats dans les grands. Le coût pour Luxinnovation : 230 000 euros. Les Luxembourg Venture Days sont l’un des deux événements tech dans lequel le GIE de promotion économique s’implique. L’autre est Nexus2050, organisé pour la première fois en juin par un autre GIE, lequel associe l’agence marketing The Dots (Kamel Amroune) et l’agence comm’ et média Maison Moderne (Mike Koedinger). Cet événement prenant le relais de l’ICT Spring se focalise sur la « tech » et vise davantage l’échange d’idées tout en faisant valoir l’écosystème national. Luxinnovation a payé 70 000 euros l’an passé. Des négociations sont en cours entre le GIE Nexus2050 et les partenaires institutionnels pour (via un partenariat pluriannuel) pérenniser « cet outil stratégique pour le Luxembourg », selon les termes de Mike Koedinger, contacté par le Land. Nexus2050 a couté 1,5 million d’euros en production pour réunir 5 600 participants de cinquante pays et 320 conférenciers, selon les chiffres des organisateurs. Sur scène, le Grand-Duc héritier Guillaume avait dialogué avec un robot.
Ce jeudi, c’est le Lieutenant-représentant Guillaume qui était attendu pour la cérémonie de clôture des Venture Days. Comme un symbole pour la maitresse d’ouvrage, Sasha Baillie. La directrice de Luxinnovation est pressentie comme maréchale de la Cour début 2025, une année qui devrait être marquée par le changement sur le trône. Comme l’annonce Reporter, le prince jusqu’à maintenant principalement attaché au business assumera les pouvoirs de Grand-Duc en octobre 2025. Cette deuxième édition des Venture days devait rencontrer un certain succès pour ancrer l’événement dans le paysage entrepreneurial du pays et laisser la trace de celle qui a présidé le GIE pendant six ans. Sasha Baillie ne confirme pas son départ à la Cour (aucune annonce officielle n’est encore intervenue), mais elle partage sa « grande satisfaction », notamment d’avoir fédéré plusieurs parties-prenantes de l’entrepreneuriat et « optimisé les moyens autour d’événements clés ». Cet « ecosystem event » permet en principe de promouvoir le soutien offert aux entrepreneurs par les différents organismes (étatiques ou patronaux), l’environnement institutionnel (financement et régulation) pour attirer des start-up étrangères et générer de l’activité.
Sur la « discovery stage » dédiée aux « sessions informatives », un représentant du European Innovation Council (EIC), présente mollement ce programme de la Commission qui « promotes breakthrough innovation with scale-up potential at the global level » (selon le site internet). Un employé de la Banque européenne d’investissement introduit le fonds de l’EIC dont il a la charge : 3,5 milliards d’euros à investir dans la deep tech, soit des start-up exploitant une technologie disruptive (comme la conduite autonome). Ceux qui donnent des sous sont moins exigeants sur leur présentation que ceux qui en demandent. Un conseiller de Luxinnovation s’excuse : « Nous n’avons pas d’argent pour vous mais peut-être d’autres choses utiles . »
S’ensuit un exposé sur l’allocation des financements publics en Union européenne, une étude inédite qui sera présentée dans quelques semaines. Selon les chiffres rassemblés et analysés par Dealroom, l’UE a alloué 225 milliards d’euros à l’innovation depuis 2007. Douze pour cent de cette somme sont allés vers les PME et cinq pour cent vers les start-up. L’étude recense 13 600 jeunes pousses qui ont levé 70 milliards d’euros parallèlement aux fonds publics. Ensemble, elles pèsent 560 milliards en valeur. Yoram Wijngaarde, CEO de Dealroom, s’enthousiasme devant un graphique montrant que les start-up qui ont reçu des fonds européens ont un graduation rate (entreprises qui ont finalement été capitalisées par des investisseurs institutionnels) bien plus élevée que les autres.
Qu’en est-il de la bonne allocation des fonds publics luxembourgeois en matière d’entrepreneuriat, principalement aiguillés par Luxinnovation ? Selon son rapport d’activité, le GIE a soutenu 126 candidatures pour des aides nationales l’année dernière, 118 pour des subsides européens. 61 millions d’euros de Horizon Europe Funding ont été obtenus. Luxinnovation a par ailleurs accompagné l’arrivée de huit entreprises internationales et aidé à la création de 45 start-up. Le GIE emploie 87 personnes et a un budget de 13,5 millions d’euros (dont presque 90 pour cent sont financés par l’État).