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De Laber-Podcast

d'Lëtzebuerger Land du 29.08.2025

Lorsque Ben Hammersley écrit sur la « audible revolution » à venir, le 12 février 2004 dans le Guardian, il se demande comment on allait appeler cette nouvelle pratique : « Audioblogging ? Podcasting ? GuerillaMedia ? ». À la mi-août 2025, le site Podcastindex.org répertorie 4,64 millions de podcasts sur les différentes plateformes, soit 25 000 nouveaux épisodes par jour. Dans sa récente étude sur les « Tendances audio-vidéo 2025 », le régulateur français des médias Arcom constate que plus de la moitié, 56 pour cent, des 15-24 ans écoutent des podcasts, la plupart du temps sur leur portable. C’est mobile, léger et disponible à la demande.

En l’absence de données chiffrées sur le Luxembourg, une étude empirique bien superficielle permet de constater que 1° les podcasts natifs éphémères inondent les plateformes et les réseaux sociaux luxembourgeois, que 2° ils sont souvent à visée commerciale (vendre des voitures ou un produit bancaire via des histoires personnelles à forte charge émotionnelle) ou éducative (apprendre le luxembourgeois avec un/e expatrié/e anglophone qui s’acharne à tenter de prononcer Gromperekichelchen ou Schueberfouer ; promouvoir la recherche scientifique…), que 3° il y a quelques rares exemplaires, comme ceux de Radio 100,7, qui sont bien faits et changent la donne journalistique ou 35M Elevator Pitch qui prend le temps nécessaire pour laisser parler les invité/es, mais que 4° les pires sont les « Laber-Podcasts » (merci à l’historien d’art allemand Wolfgang Kemp, qui forge le terme dans son petit fascicule hilarant Irgendwie so total spannend, paru chez zu Klampen).

Le concept du Laber-Podcast est simple : deux à trois copains (souvent de jeunes hommes, en effet) hyper-décontractés et sûrs d’eux-mêmes, investissent dans deux ou trois micros et se donnent rendez-vous à rythme irrégulier pour partager leur philosophie de comptoir et leur vue du monde avec leurs proches, via une plateforme de streaming. Depuis la démocratisation des moyens de production et l’avènement d’internet, il n’y a plus de gatekeepers qui contrôleraient l’entrée à l’espace-temps jadis précieux des antennes. Le Laber-Podcast permet de dire n’importe quoi n’importe quand, sans règle, sans contrôle de véracité, sans éthique et sans scrupules. Le seul mot d’ordre est : il faut être super-décontracté, rigolo et surtout ni préparé, ni compétent. « Im Podcast wird aus casual ein Gesamtprogramm », écrit Kemp.

Ici, aucune règle journalistique ne s’applique. Alors, il se peut tout à fait que les animateurs se fassent aussi annonceurs pour une société d’assurance (Gëlle Fro) ou qu’un des comparses, furieux d’avoir dû freiner à l’entrée d’une autoroute, s’emporte que le mec dans la voiture devant lui était « forcément un Noir, parce que, je ne sais pas pourquoi, les Noirs ne savent pas conduire » (épisode 119 de Erklär & Laach du 8 juillet, autocensuré depuis). 80 pour cent des créateurs de podcasts n’ont jamais eu de carte de presse, toujours selon l’Arcom. Du haut de ses vingt ans, l’univers du podcast célèbre le First Amendment à pleins poumons : ici, pas besoin de mettre en garde qu’un contenu est sponsorisé, pas besoin de prouver une affirmation, garder une distance objective et encore moins de respecter la langue employée. Au Luxembourg, le Laber-Podcast, c’est le médium des libertariens de province.

Mais le temps étant une crapule baveuse, il suffit en règle générale d’ignorer ce phénomène, qui se perd par usure : trop lourd à préparer, trop peu de public (contrairement au « broadcast » de la radio, les podcasts sont du « narrowcast »), trop peu d’écho, plus envie de payer les frais de l’hébergement… et c’est la fin. Le Luxembourg avait connu un même engouement pour la télévision après la libéralisation de l’audiovisuel avec la loi de 1991, les quelques chaînes lancées par des enthousiastes qui voulaient contrer le monopole de RTL ont disparu depuis (la dernière, .dok TV, a arrêté sa diffusion fin 2023). La réforme de la loi sur les médias électroniques est dans les tuyaux du ministère des Médias ; elle doit aussi élargir les compétences du régulateur Alia sur les nouveaux médias et donner un cadre aux influenceuses et aux jacasseurs.

josée hansen
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