Tambouille politicienne

d'Lëtzebuerger Land du 01.08.2025

Dimanche dernier, lors de son université d’été, Déi Lénk avait invité Philippe Poutou, candidat du Nouveau parti anticapitaliste (NPA) lors des trois dernières élections présidentielles françaises. Avec son front dégarni, sa dégaine de monsieur Tout-le-monde et un franc-parler rare dans ces sphères-là, Poutou est un vrai personnage de la vie politique hexagonale, dont la réputation domine toutefois de loin le poids électoral (1,15 pour cent en 2012, 1,09 en 2017 et 0,76 en 2022).

S’il n’est pas forcément le plus grand théoricien de l’extrême gauche française, l’homme est doué pour le verbe. Ouvrier chez Ford pendant plus de dix ans, aujourd’hui à la tête d’une petite librairie qu’il qualifie de « wokiste » dans sa ville de Bordeaux, Poutou profite d’une répartie percutante et d’une liberté de ton qui désarme ses interlocuteurs. Les Français l’avaient découvert lors du grand débat des présidentielles 2017. « François Fillon, plus on fouille, plus on sent la corruption, la triche, ce sont des bonhommes qui nous expliquent qu'il faut la rigueur, l'austérité alors qu'ils piquent dans les caisses publiques », lançait-il à la tête de celui qui était alors le leader de la droite française et le favori des sondages. Le même soir, il giflait virtuellement Marine Le Pen avec son célèbre « Nous, quand on est convoqué par la police, on n'a pas d'immunité ouvrière, désolé, on y va. » Une bête médiatique était née.

C’est ce militant sans filtre que voulaient découvrir les Luxembourgeois lors d’une table ronde organisée à l’auberge de jeunesse de Lultzhausen, autour du petit livre qu’il a écrit en 2023 avec sa compagne Béatrice Walylo et l’universitaire Julien Salingue (Un « petit »candidat face aux « grands » médias, éditions Libertalia). Assis à ses côtés, David Wagner et Nathalie Oberweis ont pu constater que la presse était bien plus gentille ici. « En France, la plupart du temps, ce ne sont même plus des journalistes que l’on a face à nous, mais des chroniqueurs-animateurs qui aboient. […] À peine ils nous ont posé une question qu’ils nous coupent, en posent d’autres. On n’a pas le temps de répondre, on se perd dans ce que l’on voulait dire… C’est brutal, on en sort frustré. »

Forcément, l’ambiance feutrée des émissions luxembourgeoises détonne. « Il faut dire que nos médias ne sont pas détenus par des milliardaires d’extrême droite qui veulent orienter l’opinion publique, comme en France », fait remarquer David Wagner. « Et puis, vu la taille du pays, tout le monde est pratiquement cousin au troisième degré, ça joue un rôle. »

À la télé, Poutou et Wagner ont toutefois un point commun : leur horreur de la cuisine politicienne. « J’ai été invité sur une émission sur France 5 où l’on devait discuter des recettes que l’on aimait. Alors là, j’ai dit non. Ce n’est pas parce qu’on nous appelle que tous les cinq ans qu’il faut dire oui à tout. Ils ont insisté, en me disant que ce serait super sympa et intéressant. Mais non, pas question ! »
Face aux rires qui fusent dans la salle, David Wagner, penaud, avoue : « Moi, j’y suis allé… J’ai même fait des pâtes au pistou sur RTL ! ». Au tour du Français de se marrer franchement et du Luxembourgeois de se justifier : « J’étais très, très mal à l’aise. En plus, c’était dans ma cuisine, je n’ai vraiment pas aimé… » Dépité, il reconnait que le stratagème qu’il avait mis en place n’avait pas marché du tout. « J’avais prévu des justifications politiques : Quand la journaliste m’a demandé si j’aimais bien cuisiner, je lui ai répondu que ça m’amusait mais qu’il fallait du temps. Et hop, j’ai embrayé sur la réduction du temps de travail. Le problème, c’est qu’ils ont presque tout coupé au montage. » Nouveaux rires de Poutou et de sa campagne, très amusés par l’anecdote.

L’antifasciste français ajoutait avoir vécu un de ses plus grands moments de solitude dans « un restaurant de riches ». « J’ai été invité pour une émission avec d’autres personnes, dont le numéro deux du Medef et Alexis Corbière de La France Insoumise. Je me suis d’ailleurs rendu compte pendant les pauses qu’ils étaient copains. On devait parler alors que le cuistot venait nous servir des plats qui avaient tous l’air super bons. Dans ces émissions, tout le monde est sympa, poli. Mais j’avais l’impression d’être un complice dans cette mascarade. On nous fait faire n’importe quoi, je voyais bien que je servais de caution. C’était horrible. Je n’ai rien mangé. »

Dimanche dernier, il a fini son assiette d’émincé de bœuf aux spätzle et a repris de la salade de fruits.

Erwan Nonet
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