Elle a débuté en décembre dernier, pour le 150e anniversaire de la naissance de l’écrivain ; elle finit ce mois-ci, au moment du centième anniversaire de sa mort. Marcel Proust est né le 10 juillet 1871 dans l’ancien village d’Auteuil où sa mère Jeanne s’était réfugiée dans sa famille ; il est mort le 18 novembre 1922 au cinquième étage du 44 rue Hamelin. L’exposition dont il est question, au musée Carnavalet, a de bonnes raisons de s’intituler : Marcel Proust – Un roman parisien, d’autant plus que pour son organisation elle s’articule suivant la bonne vieille tradition lansonienne, en deux parties, l’homme (ici dans ses environnements parisiens), l’œuvre (et tout le mystère de la transformation d’un écrivain plus ou moins quelconque, voire raté, en un romancier génial). Point de bascule à Carnavalet, la chambre de Proust, son lit en laiton, il y dort le jour, y travaille la nuit, écrivant sur un plateau posé sur les genoux.
On tendrait à refuser pareille division, ou dichotomie, remontant à Gustave Lanson et sa conception de la critique ou histoire de la littérature. Battue en brèche justement par Proust, auteur d’un Contre Sainte-Beuve, refusant de confondre l’homme et l’œuvre, initiant ainsi une autre critique, une critique nouvelle qui s’imposera un demi-siècle plus tard. Seulement, Carnavalet, c’est bien l’histoire de Paris, et son exposition, c’est le vaste tableau de Paris au moment de la vie et de l’œuvre de Proust ; une image dépliée dans toutes ses facettes, dans une extrême richesse de documents, trop foisonnante peut-être dans des salles quand même étriquées, avec en plus un public abondant.
Le Paris de Proust, c’est la rive droite de la Seine, un quadrilatère à la suite des travaux du préfet Haussmann, d’Auteuil au bois de Boulogne, du parc Monceau à la place de la Concorde, de là aux Champs-Elysées. Rien de ce qui appartient à cette aire n’échappe aux pièces exposées, aux textes, aux illustrations ; tout y passe, et le visiteur, rentré à la maison, en continuera l’étude dans l’excellent livre qui accompagne l’exposition (avec les essais de bon nombre de spécialistes). Ah oui, il se sera attardé avant aux figurations de l’écrivain, au portrait le plus célèbre de tous, par Jacques-Émile Blanche, provenant du musée d’Orsay, Proust à l’âge de 21 ans, jeune dandy, une orchidée à la boutonnière. À l’autre extrémité d’une vie, photo d’un anonyme, Proust sur la terrasse du Jeu de Paume, en mai 1921, voire sur son lit de mort, par Man Ray.
Pour comprendre l’homme Proust, et au-delà, il faut lire sa gouvernante, Céleste Albaret. Notamment quand elle rapporte tel retour de Cabourg, en 1914, où sur la route Proust avait manqué d’étouffer : « … c’est fini, je ne ressortirai plus. Les soldats font leur devoir ; puisque je ne peux pas me battre comme eux, le mien est décrire mon livre, de faire mon œuvre. » Huit années d’enfermement dans sa chambre de liège, jusqu’à ce jour de printemps 1922, la grande nouvelle toujours à Céleste : « Cette nuit, j’ai mis le mot fin. » Ajoutant même que maintenant il peut mourir, il le fera quelques mois plus tard.
La seconde partie de l’exposition explore toujours Paris, d’une autre manière, à partir des pages de la Recherche, elles donnent comme un contexte. Et tel clin d’œil arrête à plus d’un point de vue, en premier pictural, évoquons par exemple l’esquisse à l’huile de Gustave Caillebotte, Les Pavés, pour Rue de Paris, temps de pluie, de 1877. Des pavés qui sont assez mal équarris, comme ceux de la cour de l’hôtel de Guermantes contre lesquels le narrateur bute dans le Temps retrouvé. On se souvient aussi des dalles inégales du baptistère de Saint-Marc à Venise. Il n’y a pas que la madeleine.
« Résurrections de la mémoire » que de nombreux cinéastes ont à leur tour voulu susciter sur l’écran, difficilement, de Visconti à Schlöndorff, des fois avec une plus grande subjectivité des visions, comme chez Companeez ou Ruiz. À Carnavalet, tellement on plonge dans Paris, on en oublierait presque ce que nous rappelle Jean-Yves Tadié dans son essai avec la matinée Guermantes et les personnages réunis une dernière fois dans un hôtel parisien : « L’histoire écrase la géographie. Lorsque le roman se termine, il n’y a plus ni parisiens ni provinciaux, il n’y a que des citoyens du temps. » En octobre prochain, la Bibliothèque nationale de France ouvrira une exposition Marcel Proust, la fabrique de l’œuvre.