édito

The Air-Conditioned Nightmare

d'Lëtzebuerger Land du 21.08.2020

Début août, Luxair Tours lançait ses nouvelles offres « adults friendly » proposant aux Luxembourgeois de « se reposer au soleil cet été ». Comme slogan de cette campagne, le groupe a choisi « Friday for holidays ». Venant d’un secteur qui, au niveau mondial, contribue à hauteur de neuf pour cent à l’effet de serre, cette invitation au voyage en avion sonne comme une annulation de « Fridays for future », le mouvement de jeunes lancé par Greta Thunberg. Luxair Tours continue de proposer des destinations « all inclusive » de Ténériffe à Louxor, un modèle d’affaires qui, à l’heure de l’urgence climatique, apparaît suranné et très peu « résilient ». Alors que le gouvernement français a conditionné son plan de sauvetage d’Air France-KLM à la suppression des vols intérieurs pour lesquels il existe une alternative ferroviaire permettant de faire le même trajet en moins de 2 heures 30, Luxair continue ses vols vers Paris-Charles-De-Gaulle, malgré la ligne de TGV qui relie Luxembourg à Paris en un peu plus de deux heures.

L’agriculture, un autre secteur économique qui s’oppose traditionnellement aux mesures pour le climat, ploie aujourd’hui sous la sècheresse et la chaleur. Ce mardi, cela faisait trois semaines que le maraîcher Claude Kirsch ne faisait plus ses nuits. Toutes les deux heures, il devait se lever pour déplacer les machines d’arrosage sur ses terres assoiffées. (Kirsch devait attendre le coucher du soleil ; en journée, l’eau s’évapore instantanément.) La coopérative Terra, son voisin sur le Eicherfeld, a dû recourir pour le première fois à des systèmes de gicleurs pour maintenir en vie les plantes ; l’utilisation d’eau aurait donc « augmenté significativement ». Au bout de trois étés caniculaires, son système de goutte-à-goutte bute sur ses limites. Le temps serait peut-être venu de « flirter avec des variétés de plantes plus méditerranéennes », estime Marko Anyfandakis, un des cofondateurs de la coopérative spécialisée dans la permaculture. Même le monde paysan institutionnel et conventionnel expérimente avec des espèces plus résistantes à la chaleur tel que le millet ou le soja.

Entre le 22 mars et le 27 avril, il n’y a quasiment pas eu de pluie. Cette longue période de sécheresse dès le printemps, une énième anomalie météorologique, était passée quasi-inaperçue : le grand confinement avait été décrété le 16 mars et la pandémie occupait tous les esprits. La seconde période de sècheresse, dans laquelle on se trouve actuellement, a brûlé les pâturages, et de nombreux paysans ont dû enfermer leur bétail dans les étables pour les alimenter de compléments, pour la plupart importés. Rentrée ces jours-ci, la moisson d’orge d’hiver aurait chuté de jusqu’à quarante pour cent, expliquait la Centrale paysanne cette semaine à RTL-Radio. En combinaison avec le réchauffement climatique (d’ores et déjà de 1,5 degré Celsius par rapport au Luxembourg du XIXe siècle), l’absence de précipitations a complètement désseché les terres agricoles. 

De ces vagues de chaleur, auxquels la grille de lecture de l’urgence climatique confère désormais un aspect claustrophobe, les consommateurs se prémunissent comme ils peuvent. On peut les voir faire la queue dans les grandes surfaces pour s’y fournir en climatiseurs et ventilateurs plus ou moins énergiphages. Or, au niveau mondial, cette stratégie d’adaptation individuelle ne sera pas accessible à tout le monde. Ainsi en juin-juillet, les températures ont atteint des niveaux records à Bagdad, dépassant les cinquante degrés. Des coupures d’électricité causées par la saturation des réseaux ont plongé des millions de citadins dans un monde invivable. Dans ces conditions, ne pas disposer d’un refuge climatisé signifie s’exposer à un grave risque de santé. Ainsi, en 2015, une canicule dans la ville portuaire de Karachi avait fait un millier de morts, pour la plupart pauvres ou âgés. Heureusement que le Grand-Duché présente une densité en centres commerciaux air-conditionned qui rivalise avec celle des pétromonarchies du Golfe. Érigé au milieu du Ban de Gasperich, le shopping mall rêvé par Flavio Becca et la famille Mulliez (Auchan) apparaît comme grotesquement surdimensionné, « une oasis d’horreur dans un désert d’ennui ». Depuis son inauguration, note Le Quotidien, neuf enseignes ont baissé les rideaux, un vide qui s’ajoute aux six cellules commerciales qui n’avaient pas trouvé de locataires. Lors des prochaines canicules, qui s’annoncent longues et violentes, la potentielle future friche commerciale pourra toujours servir de centre d’urgence climatisé, voire de ferme verticale.

Bernard Thomas
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