Chœur sensible

d'Lëtzebuerger Land du 11.10.2024

Dans son livre Musicophilia (Éditions du Seuil, 2007), le neurologue Oliver Sacks évoque le « véritable feu d’artifice cérébral » que provoque le fait de chanter en groupe ; une activité qui sollicite toutes les aires du cerveau et favorise la sécrétion d’endorphines, l’hormone du bonheur. On n’en doute pas un seul instant lorsque l’on observe les chanteurs de la chorale Melodic Vibrations. Grands sourires sur le visage, ils se lancent une dizaine d’ardents « bonjour ! » à la suite... Il ne s’agit pas des symptômes d’une surdose d’endorphines, simplement du premier exercice d’assouplissement vocal qui ouvre leur répétition hebdomadaire. Parmi la quinzaine de choristes amateur réunis ce lundi au Sang a Klang, à Luxembourg, Giedrus est nouveau. Venu de Lituanie, il chantait à l’église et recherchait une chorale pas trop axée sur la technique, plutôt sur le plaisir. « Ce que j’aime, c’est me sentir porté par les voix du groupe », explique-t-il.

En prévision de leur concert au Marché de Noël, les membres de Melodic Vibrations travaillent sur Daddy Cool, le tube disco de Boney M. En cercle, ils se balancent de droite à gauche, comme s’ils s’apprêtaient à esquisser quelques pas de danse sur la piste. « Ça permet surtout de garder le rythme » précise Nelly Pereira, qui se décrit comme une « guide » plutôt qu’une « cheffe de chœur ». « Mon rôle est de les aider à atteindre ce moment où les voix se rassemblent, explique-t-elle. Je ne donne pas de cours de chant, à quinze c’est un peu compliqué, l’objectif c’est le fun avant tout... avec un minimum de challenge, mais ça fait partie du plaisir ». Pour les paroles des chansons comme pour échanger, ici c’est l’anglais qui domine : Italiens, Allemands, Luxembourgeois, Britanniques, Irlandais, Portugais et même Chinois se côtoient régulièrement au sein de Melodic Vibrations. « Un reflet du Luxembourg », commente Nelly. La moyenne d’âge se situe entre trente et soixante ans : institutrice de maternelle, architecte d’intérieur, retraitée de la logistique ou ex-chef d’entreprise... très majoritairement des femmes ; on ne compte que deux messieurs. Nelly ne se l’explique pas. Peut-être l’image du groupe de filles en « backing vocals » a-t-elle la vie dure.

Le répertoire de Melodic Vibrations est éclectique mais se distingue par son côté plutôt « good vibes » : No Woman no cry de Bob Marley, Let it be des Beatles ou encore Hallelujah de Leonard Cohen. De quoi s’amuser, mais « il faut de la discipline », rappelle Julie, vocaliste expérimentée qui en est à sa quatrième saison au sein de la chorale. « Quand on chante Daddy Cool, ce n’est pas une reprise de Boney M, c’est nous ! Progressivement on voit la chanson prendre forme, c’est très exaltant ». Catherine confirme : « c’est vraiment de la création ! ». Melodic Vibrations s’adresse à « tous ceux qui aiment bien chanter, sans connaissances musicales particulières » comme précisé sur son profil Facebook. Plusieurs participantes avaient déjà chanté dans d’autres groupes un peu trop stricts à leur goût, et qui nécessitaient de savoir lire la musique. Ici, on fonctionne davantage au feeling. Une fois les voix bien échauffées, le chœur prend de l’ampleur, les paroles entêtantes de Boney M résonnent avec force et clarté dans la petite salle. « La chanson a une fréquence, on peut s’y fondre, remarque Renée. Je ressors d’ici plus décontractée ! ».

Melodic Vibrations fait partie des quelque soixante chorales amateur recensées par l’Institut européen du chant choral au Luxembourg. Elle se produit lors de Jardins en musique, du Marché aux fleurs ou du marathon nocturne. Nelly, elle-même chanteuse soul-jazz, prépare un répertoire pour leur permettre de répondre à d’autres sollicitations. « Pendant nos concerts, il y a une vraie osmose avec le public, qui se met souvent à chanter avec nous, raconte-t-elle. La chorale est un instrument à part entière, populaire, qui a évolué en même temps que la musique, depuis les églises jusque chez Queen ou Led Zeppelin ». La répétition s’achève. On retrouve notre ami lituanien, qui semble effectivement plus détendu qu’à son arrivée. « C’est ça que je cherchais ! On s’amuse et ce n’est pas trop sérieux. Je vais revenir, pour chanter ; et aussi pour aller boire un verre après ». Les bienfaits du chant choral sont décidément multiples.

Benjamin Bottemer
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