Plan hospitalier

Certitudes incertaines

d'Lëtzebuerger Land du 19.10.2000

1 + 1 = 2, 3 - 2 = 1, etc. Normalement, le calcul est une science exacte, du moins aussi longtemps qu'il n'y a pas de chiffres virtuels ou d'hypothèses de calcul. La réduction des lits aigus, prévue par le Projet de règlement grand-ducal établissant le plan hospitalier arrêté par le gouvernement en Conseil la semaine dernière - qui ne diffère quasiment pas du projet dont a fait état d'Land au mois de juillet (voir d'Land n°31/00) -, donne ainsi lieu à interprétation.

Pris en considération une croissance de la population, « l'évolution des techniques médicales conduira à un abaissement de la durée moyenne de séjour hospitalier, voire rendre celui-ci superfétatoire pour certaines pathologies qui seront prises en charge en ambulatoire. Dans ces conditions un nombre de lits fixe, abaissé suivant les prévisions du [plan hospitalier], restera suffisant pour prendre en charge une population en augmentation constante ». Le gouvernement l'avait annoncé, le ministre de la Santé l'a fait. Le nombre de lits aigus sera ainsi ramené à un taux de cinq pro mille habitants. Cette suppression de lits se ferait proportionnellement pour qu'aucun établissement hospitalier ne soit désavantagé.

Dans la région Centre, le plan hospitalier prévoit ainsi une réduction de 128 lits, dans la région Sud, une réduction de 48 et pour la région Nord, 23 lits en moins. Quasiment tous les établissements hospitaliers doivent revoir leur potentiel en lits aigus à la baisse, à l'exception de l'Hôpital congréganiste du Kirchberg, chapeauté par l'archevêché et défendu bec et ongles par le PCS. Il bénéficiera de quatorze lits supplémentaires. À croire le président de l'hôpital, Dr Raymond Lies, sur les ondes de RTL Radio Lëtzebuerg, son établissement aurait, de loin, dû lâcher le plus de lest. Ses propos se basent sur le nombre de lits, 373, qui ont servi de base de calcul et sur le nombre de lits, 337, prévu pour l'année 2005. Il s'agit en fait de lits virtuels, car n'existant que sur le papier. Si l'on considère comme base de départ les 323 lits que totalisent actuellement les cliniques Sacré-Coeur, Ste Élisabeth et l'Hôpital St François - qui délaisseront leurs immeubles respectifs pour déménager au Kirchberg -, l'Hôpital congréganiste du Kirchberg (HCK) est le seul bénéficiaire de lits supplémentaires selon le présent plan. Au grand dam de la Clinique Ste Thérèse (Zitha) qui devra délaisser 24 lits sur un total de 250 et, surtout du Centre hospitalier (CHL) qui devra ramener son total de 488 lits à 441.

Côté Zitha, pour l'instant, le silence règne. L'Entente des hôpitaux a bel et bien concocté un communiqué, se disant préoccupé « des conséquences » du plan hospitalier, sans donner plus de détails. Les réactions les plus cinglantes proviennent ainsi, sans surprise du CHL. Aussi bien le conseil médical du CHL que l'association des médecins hospitaliers salariés du Luxembourg (AMHSL) craignent un démantèlement du CHL au profit des structures hospitalières médicales privées, c'est-à-dire congréganistes. Le président du Conseil d'administration du CHL, Paul Mousel, a certes pondéré quelque peu ces déclarations en soulignant que le CHL était un établissement public et donc se trouve sous la tutelle directe du ministre de la Santé. Difficile effectivement de s'opposer dès lors aux décisions gouvernementales, mais le statut public du CHL constitue parallèlement pour son président une certaine assurance : le CHL doit assurer une mission publique dont les obligations sont arrêtées par une loi y afférente. Toucher aux services du CHL correspondrait dès lors à agir contre cette loi.

La priorité du CHL réside dès lors, dans un premier temps, à finaliser le rapprochement déjà effectué avec la Clinique d'Eich, reclassé comme hôpital de proximité selon le nouveau plan hospitalier. Une fusion entre les deux établissements est envisagée, avec un avantage pour les deux partenaires : la clinique d'Eich pourra s'appuyer, en ce qui concerne la prestation de services, sur le CHL qui, lui, pourra recalculer le nombre de lits à supprimer. Lors d'une fusion entre deux hôpitaux, c'est l'ensemble des lits qui sera pris en compte. Dans un deuxième temps, une synergie au niveau médical avec un autre hôpital de la région Centre - la Zitha pour ne pas la nommer - est envisagée par le CHL.

Si en termes absolus, trois grands hôpitaux, ou hôpitaux généraux pour reprendre la terminologie du plan hospitalier, ne sont pas de trop dans la région Centre, la concurrence sera cependant rude. A priori, cette concurrence devra se faire par la qualité de la médecine dispensée ainsi que par l'accueil et la qualité du séjour. L'HCK partira avec un certain avantage. L'établissement hospitalier et ses infrastructures médicales, financés par les deniers publics pour plusieurs milliards de francs, dont disposera la Fondation François-Élisabeth sera flambant neuf. Il s'agit-là d'ailleurs d'une nécessité, les Cliniques Ste Élisabeth et Sacré Coeur de même que l'Hôpital St François, faute d'investissements effectués par les congrégations propriétaires, se trouvent actuellement dans un état déplorable. Cette situation a d'ailleurs été mise en exergue dans le cadre de l'affaire de l'hépatite C à la Clinique STe Élisabeth. En ce qui concerne la qualité de la médecine, les atouts semblent cependant, pour l'instant, se trouver plutôt du côté du CHL et de la Zitha qui ont misé sur une politique d'investissement et de développement à long terme.

Le Samu (Service d'aide médicale urgente) pourrait néanmoins devenir un autre critère de rentabilité des différents établissements. Alors que trois hôpitaux généraux fonctionneront dans la région Centre à partir de 2005, le Samu ne sera assuré que par deux d'entre eux. Le projet du règlement grand-ducal établissant le plan hospitalier dit « Le service d'aide médicale urgente (...) sera, (...) après mise en service de l'Hôpital du Kirchberg, assuré en un seul hôpital général par région hospitalière, sauf pour la région hospitalière du Centre, où il y en aura deux qui assureront le service à tour de rôle ». À considérer la formulation de ce passage, il semble que Parti chrétien-social ait réussi à imposer l'HCK comme deuxième prestataire des services du Samu, le CHL étant promu d'office. La Zitha ferait donc les frais de l'opération. Or, le Samu constitue, pour les hôpitaux, une assurance en ce qui concerne leurs activités, mais aussi l'entrée de patients.

D'autres interrogations demeurent. En ce qui concerne, par exemple, l'Institut national de chirurgie cardiaque et de cardiologie interventionnelle (INCCCI). Ce service national sera localisé auprès du CHL. Jusqu'ici, le CHL et la clinique Ste Élisabeth se partageaient - contractuellement - les services médicaux concernés. Or, l'INCCCI, en tant que service national, sera chapeauté par une représentation de tous les établissements hospitaliers. Ce qui facilitera l'ouverture de l'INCCCI vers d'autres hôpitaux, et non pas uniquement l'HCK et ce d'autant plus que l'HCK n'est pas certain de se voir octroyer - sur le plan juridique - le statut de successeur de l'ancienne Clinique Ste Élisabeth comme le prétend la Fondation François-Élisabeth.

Le service national de néonatologie soulève, lui aussi, des interrogations. Un service de néonatologie est nécessaire pour l'HCK pour finaliser l'intégration dans l'hôpital, de la Clinique privée Dr Bohler (accouchement). Or, ne disposant pas des pédiatres nécessaires qui l'accompagneraient au Kirchberg, le Dr Bohler aurait déjà essayé de résilier le contrat signé avec l'HCK et portant sur la somme d'à peu près un milliard de francs. La décision de scinder en deux le service de néonatologie pour le répartir entre le CHL et l'HCK, nécessaire pour l'intégration de la clinique Bohler au Kirchberg, avait d'antan fait jaser le staff médical du CHL. La décision finale de prévoir un service de « néonatologie générale » à l'HCK et de créer un centre national de néonatalogie intensive auprès du CHL n'est que poudre aux yeux. La néonatologie générale ne concerne que les soins dont a besoin tout nouveau-né... et est indispensable pour toute maternité. La création d'un centre national de néonatologie intensive, avec un statut propre, est en soi une mesure superfétatoire : l'on dénombre en moyenne trente à quarante cas par an que le service existant au CHL a su prendre en charge dans le cadre de ses activités normales.

Sinon, les unités de maternité et pédiatriques seront renforcées au CHL, le ministre s'étant engagé à rénover respectivement moderniser les immeubles les abritant. Le CHL devrait aussi abriter l'unité deProcréation médicalement assistée (PMA), prévue par le plan hospitalier.

La construction du Centre national de réadaptation fonctionnelle et de réadaptation (Reha) à Kirchberg - à côté de l'HCK, ce qui a amené d'aucuns à s'interroger sur la réelle indépendance de ce service national - est acquise, de même que l'implantation du Laboratoire national de Santé à Dudelange. La querelle concernant le site du Reha respectivement du Laboratoire n'intéresse ainsi plus que les politiques, le dossier étant clos.

Le plan hospitalier tel qu'il est présenté par le gouvernement prévoit de grands changements pour l'an 2005. C'est à cette date que les réductions de lits devront être effectives, et que les services devront être réorganisés. Le ministre de la Santé dit donner de la sorte du temps aux gestionnaires des hôpitaux pour s'organiser et pour trouver des synergies. Or, les calculs à la base du plan hospitalier version 2000 se fondent sur les données de la première carte sanitaire élaborée en 1999/2000 qui tient compte de l'état des lieux de 1998. Cette carte est appelée à être mise à jour et précisée chaque année. L'on voit dès lors mal les établissements hospitaliers réduire leur nombre de lits ou services médicaux existants avant la date butoir de 2005. Parallèlement, la carte sanitaire a une influence telle sur le plan hospitalier que ce dernier devra s'adapter aux évolutions constatées par cette première. Il ne sera dès lors pas impossible qu'en 2005, ce sera un plan hospitalier modifié qui sera appliqué. Quant au patient, il attend de voir...

marc gerges
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