Plan hospitalier & Politique de Santé

Nouveau départ

d'Lëtzebuerger Land du 23.03.2000

Les contraintes actuelles du système luxembourgeois de protection sociale sont caractérisées par l'affiliation obligatoire de la population et le conventionnement automatique des prestataires de soins avec l'Union des Caisses de maladie (UCNM) ainsi que la prise en charge à cent pour cent par l'État et par l'UCM des infrastructures hospitalières. Une nouvelle donne viendra bientôt s'ajouter sous forme de l'ouverture des frontières suite aux arrêtés Kohll-Decker mettant un terme au protectionnisme de la médecine luxembourgeoise.

La planification du secteur hospitalier reste donc indispensable même avec un ministre libéral de la santé. Les objectifs de Carlo Wagner se résument par « plus de qualité et plus d'efficience ». On ne fait bien que ce qu'on fait souvent. Un seuil minimum d'activités dans un service médical est nécessaire pour assurer la qualité des soins. L'efficience concerne la relation qualité/prix. D'où l'objectif de regrouper les services médicaux spécialisés à faible activité pour en faire des services plus performants et plus rationnels.

La méthode utilisée par le ministère de la Santé pour atteindre ces objectifs se base actuellement sur plusieurs piliers dont : 

- l'établissement d'une carte sani-taire qui fournit une photographie de l'infrastructure hospitalière, des ressources humaines, des pathologies traitées, des statistiques d'occupation des lits et de l'utilisation de l'infrastructure médico-technique. Sur ces bases les besoins réels pourront être définis ;

- la recherche de synergies entre les services médicaux en vue d'éliminer les redondances, de stimuler la spécialisation et d'augmenter le débit des patients et le volume d'activité par service ;

- l'encouragement des gestionnaires à développer des organes d'exploitation et de gestion communes et des médecins à collaborer activement à ces restructurations

Le ministre attendait pour le mois de février des propositions concrètes de la base. Le résultat est mitigé. Dans la région sanitaire Nord aucun rapprochement entre Ettelbruck et Wiltz n'a été possible. Dans le Sud la fusion entre l'hôpital de la Ville d'Esch (HVEA) et celui de Dudelange (HVD) est sur la bonne voie. Par contre aucun rapprochement entre l'hôpital d'Esch et l'HPMA de Differdange n'a été possible et la rupture avec la clinique Ste Marie paraît consommée. Au centre, le Centre hospitalier de l'État (CHL) a signé une convention de collaboration avec la clinique d'Eich qui prévoit une exploitation et une gestion communes des deux établissements dans les cinq ans. Parallèlement ces deux établissements ont signé avec la clinique Ste Thérèse (Zitha) une déclaration d'intention en vue de collaborer à l'avenir. La Zitha sort donc de son isolement et fait un choix important pour l'avenir du paysage hospitalier luxembourgeois. Sans oublier la fusion entre les cliniques Ste Élisabeth et Sacré Coeur au sein de la Fondation François Élisabeth au Kirchberg.

Pourquoi gestionnaires et médecins ont tellement du mal à se mettre ensemble alors qu'il n'y a pas d'alternative à la restructuration des services hospitaliers ? 

Il y a les statuts juridiques, les statuts de propriété, les tutelles : Les propriétaires sont l'État, les communes, les congrégations, les fondations, des personnes privées qui tous ont des intérêts, des sensibilités, un historique fondamentalement différents. Sans oublier l'honnêteté et la confiance réciproques qui ne sont pas monnaie courante dans le milieu.

Il y a le statut des médecins hospitaliers qui, au moment de leur agréation, ont fait un choix fondamental d'exercer à l'hôpital en tant que médecins libéraux ou en tant que médecins plein temps salariés. Des considérations philosophiques, scientifiques et économiques quant à l'exercice de la médecine ont déterminé ce choix. Les médecins du CHL insistent ainsi sur trois attributions en partie légales qui leur sont propres : la recherche et le travail scientifique, l'enseignement et un rôle important et désintéressé de service public notamment dans le domaine social. Cela se traduit, par exemple, par la prise en charge périnatale des familles socialement à risque, de l'enfance maltraitée, …

Il y a les grands établissements, avec une offre de services et de spécialités pratiquement complète et il y a les plus petits avec une offre seulement partielle. Les services nationaux pratiquent déjà des synergies régionales, supra-régionales, voire transfrontalières avec le but principal de la recherche d'une meilleure qualité. Les bases du concept du services nationaux ne résident pas seulement dans un équipement cher et unique mais aussi dans le volume de l'activité et surtout dans les structures et l'organisation qui l'entourent. Il est donc normal que la plupart des services nationaux sont localisés au CHL.

Il y a la méfiance dans les politiques qui prônent un soi-disant équilibre entre les hôpitaux soi-disant publics et privés ne suivant en rien des objectifs de qualité et d'efficience mais bien au contraire favorisant la redondance des services spécialisés. Dans un esprit de concurrence, cette rivalité pourrait être bénéfique mais avec l'ouverture des frontières, la concurrence ne se situe-t-elle pas plutôt au niveau de la grande région ? 

Quel sera le nouveau plan hospitalier ? Confirmera-t-il le partage du pays en trois régions et pourquoi ? Comment planifier avec un maximum de consensus et un minimum d'autoritarisme étatique ? 

La solution ne peut être qu'un nouveau concept centré sur l'intérêt du patient en développant un nouveau modèle de sa prise en charge à l'hôpital. En fonction de sa pathologie, le malade pourra suivre un programme comprenant des niveaux de prise en charge variables en fonction de la complexité et de l'évolution de la maladie.

Le malade cardiaque par exemple ne peut avoir besoin que d'une prise en charge de base par le généraliste ou le spécialiste. Les cas plus complexes nécessiteront l'intervention du cardiologue spécialisé pour les troubles du rythme, pour la médecine nucléaire, pour la rééducation cardiaque, etc. À un degré encore supérieur dans la technicité la cardiologie interventionnelle respectivement la chirurgie cardiaque peuvent devenir nécessaires. De façon simplifiée le programme de cardiologie comprendrait ainsi trois niveaux de prise en charge dont la plus simple pourrait être assurée dans chaque hôpital, le deuxième type uniquement au niveau d'un service spécialisé, et le niveau le plus compliqué serait réservé à un service hautement spécialisé unique pour le pays.

Ce concept des programmes de soins est actuellement développé en Belgique. Il est applicable à toutes les pathologies et spécialités médicales. Il n'y aura plus de classification des hôpitaux en fonction de leur taille et du nombre de services, mais il y aura une classification en services de base, services spécialisés et services nationaux. Moyennant convention, les différents types de services collaboreront ensemble dans l'intérêt des patients et le médecin compétent d'un service de base pourra accéder au plateau technique du service spécialisé ou même du service national.

Ce concept permettrait à l'ensemble des hôpitaux aigus de continuer à fonctionner d'abord comme hôpital de proximité avec un service de base de médecine interne et de chirurgie. Les petits hôpitaux comme Dudelange et Wiltz ont la vocation d'offrir aux populations qu'ils desservent une polyclinique médico-chirurgicale équipée d'un plateau médico-technique permettant la petite chirurgie, les analyses de laboratoire et les examens radiologiques courants.

Les grands hôpitaux régionaux, CHL, Kirchberg, Esch, Ettelbruck hébergeront en plus les services spécialisés. La clinique d'Eich et la clinique Ste Marie à Esch sont prédestinées à se mettre ensemble avec le CHL respectivement l'HVEA. 

Un cas particulier est constitué par la clinique Ste Thérèse à Luxembourg et l'hôpital Princesse Marie-Astrid à Niederkorn. Dans le cadre des programmes de soins, ils devront collaborer moyennant convention avec les hôpitaux régionaux. L'HPMA de par sa situation géographique devrait bénéficier d'un statut spécial, soulignant sa bi-appartenance aux régions sanitaires du Sud et du Centre lui permettant des synergies dans les deux directions. Quant à la Zitha, elle devra trouver sa place au sein du grand groupement qui l'associe au CHL et à la clinique d'Eich.

Finalement, la situation particulière du CHL en tant qu'Établissement de Recherche et d'Enseignement prévu par la loi devrait être confirmée par le plan hospitalier. Le Luxembourg a besoin d'une institution hospitalière de pointe liée aux milieux universitaires pour favoriser le développement scientifique au niveau médical et des autres professions de santé.

Ainsi le nouveau plan hospitalier devrait définir les besoins en lits, en infrastructures, en services de base et en services spécialisés sans oublier les services nationaux. Il devrait laisser aux hôpitaux la liberté et le temps d'organiser eux-mêmes leurs collaborations tout en leur imposant objectifs et délais.

 

* L'auteur est député du parti libéral et directeur médical du CHL. Le texte ci-reproduit reprend les lignes générales de son intervention à la Chambre des députés à l'occasion de l'interpellation du gouvernement concernant le plan hospitalier mercredi dernier.

 

Marco Schroell
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