Rétention de sûreté

Recadrage

d'Lëtzebuerger Land du 14.01.2010

Le ministre de la Justice François Biltgen (CSV) devra sans doute retoucher le projet de loi relatif à la prévention de la récidive chez les auteurs d’infractions à caractère sexuel. Le texte avait été déposé par son prédécesseur Luc Frieden, juste avant les élections en juin 2009 (d’Land du 15 mai 2009) et prévoit la rétention au-delà de la fin de la peine pour des délinquants sexuels « considérés comme dangereux et dont le risque de récidive est manifeste ». La décision de reclasser l’ancien détenu et de le maintenir en rétention pendant deux ans – mesure renouvelable – serait prise par une juridiction spéciale des mesures de sûreté. Un groupe de travail a développé un concept de prise en charge, annexé au projet de loi.

Cependant, un récent arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme condamnant la pratique de la Sicherungsverwahrung en Allemagne1, vient chambouler ces intentions. La décision renvoie dans ses gonds la Cour constitutionnelle fédérale sur laquelle Luc Frieden avait notamment appuyé son argumentaire pour justifier la mesure de rétention au Luxembourg. La question principale est de savoir s’il s’agit d’une peine ou non. La Cour de Karlsruhe avait fait une distinction entre peine et mesure de sûreté et le Luxembourg l’avait suivi pour justifier que la prévention n’était pas soumise aux règles de légalité des peines et au principe de la non-rétroactivité.

Or, dans l’affaire contre l’Allemagne, les juges de Strasbourg ont tranché autrement : « La détention de sûreté prévue par le code pénal allemand doit être qualifiée de ‘peine’ ». Pour en arriver à cette conclusion, la Cour a analysé la situation sur le terrain. Comme la détention de sûreté entraîne forcément une privation de liberté, il ne suffit pas d’incarcérer ces personnes dans des ailes de prison séparées et d’assouplir les conditions de rétention en assortissant leur ré-gime de quelques avantages que n’ont pas les détenus ordinaires. « Il n’existe aucune différence fondamentale entre l’exécution d’une peine d’emprisonnement et celle d’une ordonnance de placement en détention de sûreté, note la Cour. Cette mesure paraît être l’une des plus graves – sinon la plus grave – de celles prévues par le code pénal allemand. »

Au Luxembourg, la situation s’annonce un peu différente, car le ministre compte placer les délinquants sexuels jugés dangereux dans une institution fermée – ce ne sera sans doute pas à la prison de Schrassig –, en vue de leur prise en charge médicale et sociale. On ne peut pas encore lui faire le reproche de ne vouloir instaurer qu’une punition supplémentaire. Mais, c’est comme toutes les bonnes intentions, il faudra voir ce qui se passera concrètement sur le terrain. Est-ce que le gouvernement se donnera les moyens de réaliser cette prise en charge ? Le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants avait souligné que dans ces unités allemandes régnait le sentiment que les activités proposées n’étaient que des stratégies pour passer le temps, sans but réel. Et même si la direction de la prison avait assuré que le personnel appliquait des critères de traitement spéciaux visant la fin du placement, le CPT avait remarqué que « dans la pratique, le personnel (y compris le travailleur social) brille par son absence dans l’unité et les contacts personnel-détenus sont réduits à leur plus simple expression. »

Une autre pierre d’achoppement est la rétroactivité prévue par le projet de loi Frieden selon laquelle la rétention de sûreté sera appliquée rétroactivement à des personnes condamnées pour des faits commis avant la publication de la loi. En France, le Conseil constitutionnel ne l’avait d’ailleurs pas laissé passer lors de l’élaboration de la loi, de laquelle se sont pourtant inspirés les auteurs du projet de loi luxembourgeois. Ceux-ci précisent aussi dans l’exposé des motifs qu’il « n’y a pas de rapport direct avec les faits commis ayant donné lieu à la condamnation ». C’est pour cette raison que les juges ne sont pas obligés de prévoir la rétention de sûreté dans la condamnation. Ce ne sera qu’un an avant d’avoir terminé de purger sa peine que le détenu saura s’il fera l’objet de cette mesure préventive ou s’il y échappera. Cette vision des choses risque d’être incompatible avec l’article 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme, qui impose un lien de causalité suffisant entre une condamnation et le maintien en détention pour éviter une privation de liberté arbitraire.

Quelques semaines après l’arrêt de Strasbourg, la Cour de cassation allemande vient de relaxer un délinquant sexuel, qui a échappé à une rétention de sûreté pour vice de forme. La population est scandalisée. Et la police doit le protéger pour éviter son lynchage.

1 Arrêt du 17 décembre 2009, Affaire M. c. Allemagne, Requête n° 19359/04
anne heniqui
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