La fraude fiscale qui touche la banque suisse UBS et mobilise le FBI peut-elle faire des dégâts collatéraux au Luxembourg ? À première vue, non. L’affaire devrait se limiter à un niveau bilatéral à la Suisse, qui va devoir accorder l’entraide administrative au fisc américain, l’Internal Revenue Service, et aux États-Unis, qui s’interrogent sur l’ampleur et le nombre de citoyens qui ont pu dissimuler leurs fonds hébergés à l’étranger, violant ainsi les accords fiscaux entre les deux juridictions. Les éventuelles retombées sur les places dites offshore, compris dans le sens où elles attirent l’argent des non-résidents, dépendront sans doute des résultats de l’enquête des Américains qui cherchent à identifier auprès de l’UBS, seulement, leurs concitoyens qui ont ouvert des comptes auprès de l’établissement sans l’avoir déclaré à l’IRS.
La banque UBS est dans ses petits souliers depuis que l’un de ses anciens collaborateurs, l’Américain Bradley Birkenfeld a reconnu devant un juge fédéral de Floride avoir aidé des clients américains à détourner des millions de dollars d’impôts. Les documents de la procédure sont publics, comme c’est toujours le cas outre-Atlantique. Le banquier américain a fait la navette entre 2001 et 2006 entre les deux rives de l’océan pour placer les fonds de ses clients en Suisse, à l’abri du fisc et au mépris des accords qui prévoient un système de prélèvement ou de communication visant les contribuables US qui ont des comptes en dehors de leur pays. Les banques, qui ont accepté de jouer le jeu en faisant les intermédiaires entre leurs clients et l’IRS, sont liées à des accords ditS Qualified Intermediary, QI dans le jargon juridico-financier. Ce qui leur donne des devoirs spécifiques, notamment en matière de reporting financier.
Le chiffre de vingt milliards de dollars placés sur des comptes auprès de l’UBS, est avancé. Une somme suffisamment significative pour que le FBI s’en mêle à son tour. Le bureau fédéral d’investigation a introduit fin juin une demande officielle pour se rendre en Suisse. De son côté, le ministère suisse des Finances a confirmé à la presse avoir reçu pour le 11 juin dernier une demande de collaboration de la part de l’IRS. Les autorités s’attendent maintenant à une demande d’entraide administrative qui, si elle est avalisée, ouvrirait les portes de la banque suisse aux limiers du fisc US.
La question déterminante est de savoir si la fraude des citoyens américains s’est cantonnée à une seule banque, l’UBS – laquelle a d’ailleurs promis des « mesures disciplinaires adaptées » – et à une seule juridiction, en l’occurrence la Suisse, qui est attendue au tournant pour montrer sa véritable volonté de coopérer dans un cadre de la « fraude fiscale » ? Mais a-t-elle le choix ?
Question d’échelleÀ une échelle infiniment plus petite et sur des montants extrêmement modestes, cette affaire à l’UBS a des airs de parenté, même si les liens sont un peu lointains, avec un litige qui oppose des intermédiaires financiers à la justice luxembourgeoise suite à une violation des dispositions fiscales sur les Qualified Intermediary entre le Luxembourg et les États-Unis, entrées en vigueur en janvier 2001. Des accords d’ailleurs identiques à ceux qui lient la Suisse ainsi que pas mal de banques d’autres juridictions en Europe. Le dossier n’a pas pris l’envergure qu’il a en Suisse, mais bien des ingrédients sont identiques, notamment la recherche par un contribuable américain d’échapper aux dispositions fiscales sur les QI avec la complicité d’un banquier et celle d’un avocat qui en ont dissimulé l’identité avec des certificats bidonnés. Les deux complices auraient ainsi mystifié les établissements financiers luxembourgeois en signant de faux certificats de bénéficiaire économique des comptes d’un obscur holding. C’est en tout cas la théorie officielle, car les banques et employeurs de deux des prévenus ne seront pas inquiétées, comme si l’accident de parcours relevait de la seule responsabilité de leurs gestionnaires apparaissant comme des électrons libres dans l’entreprise.
Le procès au printemps dernier en première instance devant le tribunal correctionnel n’a pas mobilisé les foules. Et il a laissé visiblement insensibles les autorités américaines.
Elles ont forcément été informées de l’affaire dans le cadre de l’entraide judiciaire qui fut sollicitée par le Luxembourg au début de l’affaire pour éclaircir certains points aux États-Unis, notamment les accusations qui pesaient sur le client à l’origine de tout, un certain Leonard Bramson. Mais mis à part un échange très formel de coopération, les hommes du FBI n’ont pas quitté leurs charentaises, ni cherché à en savoir plus sur le cas Bramson, du nom d’un homme d’affaires américain qui traînait déjà derrière lui aux États-Unis un passé criminel avec une condamnation pour fraude fiscale. Les enquêteurs US ont encore moins voulu savoir comment les établissements financiers luxembourgeois, mis en cause dans cette affaire, ont pu manquer de vigilance à ce point pour laisser leurs employés modifier à leur gré l’identité des bénéficiaires économiques et faire ainsi échapper un Américain à l’impôt dans son pays. La question est de savoir si le cas de Leonard Bramson était isolé ou non ? Les Américains ont dû juger au pifomètre que c’était le cas. On n’en restera donc là, sur le terrain purement local.
L’affaire ne mérite pas moins un petit retour en arrière. Précisons toutefois que le jugement de première instance (prononcé en audience publique le 17 avril, mais dont le Land n’a obtenu une copie que très récemment), condamnant chacun à six mois de prison avec sursis pour faux et usage de faux et amendes l’avocat et le banquier du ressortissant américain, a été frappé aussitôt d’appel. Les préventions de blanchiment, qui avaient été initialement retenues par l’enquête et même par le juge d’instruction, dans le chef de l’avocat, avaient sauté en cours de route.
Retour sur imageOn ne sait pas qui de l’avocat ou du banquier a tiré le premier et lequel des deux a eu l’idée de confectionner une fausse déclaration de bénéficiaire économique qui devait permettre à Bramson de contourner la législation US sur les QI. Leurs déclarations se sont contredites à mesure de l’avancée de l’enquête. On sait que l’enquête est partie d’une déclaration de soupçon intervenue à la mi-août 2002 d’une banque on ne peut plus traditionnelle après un virement en dollars provenant d’un des comptes personnels de l’avocat ouvert sur une base inexacte. C’est ensuite que la piste est remontée jusqu’à Bramson, qui avait assurément des choses à cacher. Mais au Luxembourg, les enquêteurs n’ont pas pu prouver que l’avocat connaissait l’origine criminelle des fonds appartenant à son client US. Il aura en tout cas fallu quatre mois aux enquêteurs et plusieurs rappels à l’ordre pour que la banque accepte de lever le secret sur l’identité du bénéficiaire économique d’un holding par lequel toute l’affaire a commencé. Peu après l’entrée en vigueur des QI en 2001, le nom de son véritable propriétaire sera remplacé par celui de l’avocat qui servira de prête-nom à Bramson.
Le jugement du 17 avril indique en outre que l’avocat du cadre bancaire mettra beaucoup d’insistance lors d’une des auditions de son client à faire acter qu’il n’était pas mandaté par la banque et n’en représentait pas les intérêts, manière pour l’établissement de se dissocier de son ex-salarié.
Conclue avec les États-Unis, l’accord QI fait des banques luxembourgeoises qui l’ont signé des « intermédiaires autorisés » pour prélever l’impôt américain et pour ce faire identifier les bénéficiaires économiques de revenus de source américaine. S’ils veulent conserver l’anonymat, les contribuables américains voient alors le prélèvement fiscal doubler. Le prix à payer du secret bancaire. À charge ensuite aux banques luxembourgeoises de faire les restitutions à l’IRS.
En mars 2003, lors de son premier interrogatoire, l’avocat prévenu de faux et usage de faux a reconnu que sa déclaration auprès de deux banques où il apparaissait comme le bénéficiaire économique ne correspondait pas à la réalité. Il se défaussa ensuite sur l’employé de banque qui lui aurait, assure-t-il, soufflé à l’oreille la combine pour faire disparaître d’un trait de plume dans les livres de la banque, l’identité de Bramson. Une information judiciaire sera ouverte en septembre 2003 à l’encontre de l’avocat et de deux gestionnaires de deux banques différentes. L’un d’eux a été blanchi à l’issue du procès. Il racontera d’ailleurs que même en novembre 2001, donc après le durcissement des conditions d’ouverture de compte et d’identification des clients suite aux attentats du WTC, les conditions d’ouverture de compte auprès de son établissement se révélaient « peu sévères » en raison de la faiblesse (102 000 dollars) des montants en jeu. Le gestionnaire plaidera sa bonne foi en assurant avoir toujours ignoré que l’avocat avait un faux nez et qu’il prêtait son nom au personnage douteux de Leonard Bramson. Combien de Bramson ?
Combien y a-t-il eu de Bramson et combien d’intermédiaires peu scrupuleux prêts à interchanger l’identité réelle de leurs clients contre rémunération pour leur faire contourner les accords sur les QI ? Quel fut le degré de duplicité des établissements financiers ? Ce n’est sans doute pas le procès en appel qui lèvera le mystère.