Une mission parlementaire luxembourgeoise pourrait faire prochainement le déplacement à Paris et à Berlin pour tenter de convaincre des « vertus » du secret bancaire les députés français et allemands et porter ainsi sa contribution au redressement de l’image de marque du centre financier, mis à mal ces dernières semaines par de nombreux dirigeants européens. Les détails de l’expédition devraient être fixés ce vendredi 31 octobre entre les membres de la commission des finances de la Chambre des députés et le ministre CSV du Trésor et du Budget Luc Frieden, qui est aussi l’homme de la promotion de la Place financière au gouvernement. Face à l’offensive franco-allemande contre les paradis fiscaux, mieux vaut accorder ses violons et ne pas contre-attaquer en ordre dispersé.
Le député CSV et président de la commission des finances Laurent Mosar se défendait à l’avant-veille de la réunion de tout amalgame avec la mission parlementaire française constituée par les socialistes français Vincent Peillon et Arnaud Montebourg, qui s’étaient rendus à Luxembourg les 10 et 11 février 2000, y avaient notamment rencontré Laurent Mosar, alors président de la commission juridique et accouché ensuite d’un rapport au vitriol intitulé Le Luxembourg : un paradis bancaire au sein de l’Union européenne, obstacle à la lutte contre le blanchiment. Le pays en était resté KO pendant longtemps. Le rapport, sous l’angle luxembourgeois, avait ravivé de vieilles rancœurs contre cette arrogance franco-française d’une élite toujours si prompte à casser du sucre sur le dos des petites nations. Il ne faut pas voir dans les intentions des députés luxembourgeois une sorte d’expédition Montebourg à rebrousse poil. « Je n’aime pas l’expression, car les méthodes Montebourg ne m’inspirent pas », affirme Laurent Mosar. Pour lui, il s’agit d’une excursion à caractère pédagogique « pour expliquer à nos voisins nos soucis et leur dire comment fonctionne la place financière de Luxembourg ». Loin des clichés de la lessiveuse d’argent sale que des journalistes forcément « malveillants » lui collent volontiers et que les dirigeants politiques européens, à la recherche de bouc-émissaires un peu trop commodes à la crise financière, lui attribuent avec autant de mauvaise foi.
Le reportage de France 2 de mardi 21 octobre, qui avait piégé en direct le Premier ministre Jean-Claude Juncker, a braqué les projecteurs sur l’ignorance des Français des réalités économiques luxembourgeoises : « Nous avons eu l’impression, à travers ce reportage de France 2 que même les gens censés avoir certaines compétences, sont très mal informés de la situation fiscale au Luxembourg ». Ce que la directrice de l’information de la chaîne publique française qualifierait peut-être « d’insuffisance professionnelle » ? Les Allemands ne sont sans doute pas en reste dans le degré zéro de connaissance des ressorts de la place financière luxembourgeoise. Ils en retiennent eux aussi l’image d’Épinal d’un centre financier qui a souvent servi de sanctuaire aux fonds occultes de dirigeants d’entreprises les plus en vue.
Il n’est toutefois pas question que les députés de la commission des finances aillent jouer les francs-tireurs, ni faire les Zorro dans les capitales voisines, en avant-garde des dirigeants de l’agence de promotion de la place financière, LuxembourgForFinance (LFF). L’agence n’a sans doute pas pour mission première d’aller prêcher la bonne parole à l’étranger aux gens qui n’ont pas les moyens d’entretenir un compte au Luxembourg. Son travail doit avant tout rapporter en termes commerciaux, c’est d’ailleurs pour cette raison que les opérateurs de la place financière ont accepté de mettre leur écot dans le pot commun avec le gouvernement, qui subventionne en grande partie le train de vie de LFF avec l’argent qu’il a récupéré lors de la fusion entre Arcelor et Mittal Steel en 2006. Les préoccupations d’image de marque et de réputation, au-delà du cercle fermé des investisseurs internationaux, passent donc à l’arrière-plan et c’est probablement un des points faibles de l’offensive de charme que les Luxembourgeois ont faite à l’étranger.
Ils ont fréquenté les hôtels de luxe, pris des options sur des salles prestigieuses pour y réaliser des présentations assez formelles des activités de la place financière avec un public acquis d’avance à la cause et largement converti aux valeurs du secret bancaire, à la solidité et au sérieux du centre financier et aux trésors d’inventivité que déploient ses acteurs pour y optimiser les rendements de l’argent. Les pays cibles sont les marchés lointains, notamment moyens-orientaux et asiatiques, encore assez mal desservis par l’offre financière et les produits multi passeports. C’est bien sûr là que sont les principaux débouchés commerciaux du centre financier grand-ducal.
On ne peut pas reprocher à l’agence d’avoir accompli ce travail, mais on peut tout de même lui faire grief d’avoir totalement négligé l’opinion publique européenne, l’homme de la rue qui prend pour de l’argent comptant ce qu’un présentateur-vedette lui sert au journal télévisé de 20 heures.
Les dirigeants luxembourgeois ont complètement sous-estimé le risque de réputation auprès du public lambda, celui qui vote et qui fait ou défait des majorités politiques en Europe. En méprisant les attaques répétitives qui venaient de ses détracteurs habituels, en tentant de les marginaliser, les faisant passer pour des dilettantes – ce qu’ils sont d’ailleurs pour la plupart –, le Luxembourg s’est enfermé dans l’autisme, avec des supporters de moins en moins nombreux alors que ses détracteurs dans l’UE montaient en puissance. Il n’y a désormais plus que l’Autriche, adepte comme lui du secret bancaire, à se montrer « solidaire », après que la Belgique se soit dissociée du duo, en promettant de passer bientôt au système d’échange d’informations et d’abandonner à son sort la retenue à la source de 20 pour cent actuellement et bientôt 35 sur les revenus de l’épargne. La Suisse évidemment fait partie du dernier carré des tenants du secret bancaire. La confédération helvétique ne joue toutefois pas dans le cercle vertueux de l’UE.
Les attaques contre le secret bancaire et les difficultés qui émaillent la transmission d’informations fiscales d’un pays à l’autre ne viennent pas seulement de trublions alter mondialistes ou gauchisants. L’OCDE, dans le cadre du Forum mondial sur la fiscalité visant l’établissement de « règles du jeu équitables », épingle régulièrement le Luxembourg qui donne uniquement accès aux informations bancaires pour répondre à une demande d’échange de renseignements dans les affaires fiscales de droit pénal. Le pays reste en revanche opposé à la levée du secret bancaire pour « toutes les affaires fiscales » qu’elles relèvent d’une nature civile ou pénale. Ce qui équivaudrait de facto à sa suppression. Le Fonds monétaire international conserve lui aussi le grand-duché sur sa liste des 46 centres offshore de la planète (le Forum de stabilité financière en a recensé 42) aux côtés de juridictions comme Andorre, Aruba, Belize, Malte ou les Antilles néerlandaises.
Les dirigeants luxembourgeois ont donc beau jeu de faire croire que la question du secret bancaire avait été liquidée une fois pour toute avec les accords qui avaient abouti, en 2005, à la directive sur la fiscalité de l’épargne. Or, il n’en fut rien. À la faveur de la crise financière, qui a plus d’un an et demi désormais derrière elle, et à mesure de l’appauvrissement d’une certaine frange d’Européens, ceux qui se fendent en quatre pour payer un nouveau cartable à leurs enfants scolarisés et se battent contre la précarité, la Commission de Bruxelles a exhumé plus tôt que prévu, à la demande de certains États membres, la question d’une renégociation de la directive sur la fiscalité de l’épargne, remettant en cause le système de la retenue à la source qui a permis le maintien du secret bancaire.
Il y a au moins aussi préoccupant : les opérateurs de la place financière n’ont jamais voulu faire leur introspection. Un exercice que n’ont pas fait non plus les dirigeants et hommes et femmes politiques liés de près ou de loin à la place financière. Alors que le Premier ministre Jean-Claude Juncker jouait, finaud, à « je t’aime, moi non plus » avec les banquiers, tout en étant bien obligé, à Luxembourg du moins, de les caresser dans le sens du poil, son dauphin Luc Frieden, aux commandes du Trésor et du Budget, a eu l’immodestie de faire croire qu’il avait réglé pour un bon moment leur compte aux détracteurs du secret bancaire. Les victoires arrachées de haute lutte lors des conseils européens n’étaient que provisoires. La Commission européenne s’est empressée à la première occasion, sous l’aiguillon de capitales comme Berlin ou Paris, de remettre en jeu ce que les Luxembourgeois avaient vendu au national comme un ancrage du secret bancaire dans le patrimoine culturel des Européens. Personne ne pouvait se méprendre sur le caractère provisoire des accords européens valables jusqu’en 2011.
Nul ne peut cependant oublier que l’exiguïté du Luxembourg fait sa force mais constitue aussi un talon d’Achille. Il y a beaucoup d’argent au mètre carré. Le rapport entre la force de frappe de la place financière, septième mondiale dans la gestion de fortune et seconde dans l’industrie de la gestion collective et les moyens déployés pour la surveillance et l’intégrité de ces activités relève parfois de l’indigence. On n’insistera pas sur les carences de la magistrature et de la police judiciaire qui manquent si cruellement de ressources et de gens de qualité, si on les rapporte à la taille des actifs sous gestion.
C’est peut-être le lot d’une place financière internationale d’avoir des « affaires » et des « scandales », même lorsqu’elles sont bien surveillées. Mais c’est autre chose d’avoir la volonté et le courage de mettre aux commandes de certaines administrations les pointures à la hauteur des enjeux du centre financier et de leur donner vraiment les moyens de faire leur travail, d’appliquer les lois. Si le secret bancaire est justifiable, l’impuissance, ou à tout le moins les diffiultés, de certaines administrations à faire appliquer la règlementation, faute de moyens ou de personnel suffisants, le sont moins.
Il y a encore au Luxembourg trop de réflexes provinciaux et de jeux de pouvoir entre les gens issus du sérail. Il n’est pas question, alors que la rationalité le voudrait pourtant, de mettre dans un même moule la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF), le Commissariat aux assurances et même la Banque centrale du Luxembourg. On s’offusque au moindre signal qui donnerait la primauté de l’un sur l’autre, comme ce fut le cas cet été où par imprudence, la Chambre de commerce, dont le naturel pencherait davantage du côté de Jean-Nicolas Schaus (CSSF) que de celui d’Yves Mersch (BCL), a écrit sans aucune ambiguïté dans un avis parlementaire que la BCL avait de l’ascendant sur la Commission de surveillance. Les banquiers ont dû corriger le tir.
Comme le relève le consultant Jérôme Turquey, ce n’est pas le secret bancaire qui pose en lui-même problème, mais l’usage dévoyé qui en est fait et qui renvoie à la permissivité, avatar du pragmatisme luxembourgeois. Le jeune journaliste de France 2 n’a rien inventé ni bidonné lors de l’interview qu’il fit d’un dirigeant d’une « fiduciaire » du centre ville, spécialisée dans les montages offshore. Son discours se révèle des plus poétiques lorsqu’il s’amuse à galvauder l’adage selon lequel « trop d’impôt tue l’impôt ». Ainsi, à la question du journaliste qui lui demande si ce n’est pas choquant, en pleine crise financière, de domicilier, à partir du Luxembourg, des sociétés dans des juridictions exotiques où personne n’a de comptes à rendre, il répond avec aplomb : « Ça peut choquer d’avoir des prélèvements fiscaux en France qui pénalisent l’économie et de ce côté-là, le Luxembourg est très pragmatique ». L’homme qui était interviewé est inscrit à l’ordre des experts-comptables depuis 2005, relevant de ce fait d’une profession réglementée. De quel côté vient l’insuffisance professionnelle ?