Qu’a-t-il été faire dans cette galère en acceptant de passer en direct sur la chaîne de télévision française France 2, alors qu’il avait décliné le même jour l’invitation, pour ne pas dire la « sommation », des Français et des Allemands à prendre part à une réunion pour lutter contre les paradis fiscaux ? « L’absence de Jean-Claude Juncker, président de l’Eurogroupe et Premier ministre, a mis en lumière la division européenne sur le sort des paradis fiscaux », analyse un observateur français. La voix de celui qui peut parler au nom de tous les ministres des Finances de la zone euro se tait lorsqu’il faut évoquer la morale financière et le secret bancaire, poursuit le commentateur.
Ni le passage et les invectives de Jean-Claude Juncker à la télévision française devant la « France qui se lève tôt », ni son intervention tout aussi musclée quelques heures plus tôt à la Chambre des députés, n’ont en tout cas aidé la cause des défenseurs du secret bancaire. Les prestations ont même eu un effet contre-productif, surtout en France où le Premier ministre, piégé par un reportage aussi partial que « primaire », de la chaîne publique (qui a d’ailleurs dû s’excuser après coup), ont plutôt donné l’image d’un dirigeant européen aux abois.
Non pas d’ailleurs que les arguments du Premier ministre sur les « vertus » du secret bancaire manquaient de pertinence. On ne l’a tout simplement pas écouté, comme si les jeux étaient faits d’avance et que la crise financière, venue des États-Unis, avait besoin d’un exutoire commode en désignant le secret bancaire comme le responsable de la débâcle des banques.
Jean-Claude Juncker a raison de faire la démonstration de l’absurdité de l’amalgame entre secret bancaire, paradis fiscaux et crise des marchés financiers. Il n’a pas tort non plus de dire à ses détracteurs qu’ils se trompent de cible en pointant du doigt les produits financiers luxembourgeois pour leur absence de régulation ou de transparence. Car c’est précisément parce qu’ils sont régulés selon des standards internationaux, ce que ne sont pas leurs équivalents dans les juridictions comme les Iles Caïmans, que les Hedge Funds ont trouvé un pied-à-terre au grand-duché. Idem pour les fonds immobiliers, autres produits d’appel de la place financière luxembourgeoise.
Le problème n’est cependant pas là. Tant le reportage de France 2 que les « sorties » des dirigeants européens contre les prétendus paradis fiscaux au cœur de l’Europe, montrent combien les clichés ont la vie dure et qu’ils peuvent ressurgir à la moindre occasion. Les dirigeants luxembourgeois se sont un peu trop vite réjouis des accords européens de Feira en 2000, qui ont permis d’aboutir trois ans plus tard à la directive européenne sur la fiscalité de l’épargne, ancrant, assuraient-ils, la légitimité du secret bancaire en Europe. Il a fallu une crise financière pour faire voler cette assertion en éclats et faire perdre une partie de ses versatiles alliés au Luxembourg. Tout ça malgré les millions tirés de la vente des actions Arcelor et injectés dans la promotion de l’image de marque et la création de l’agence Luxembourg for Finance.
Jean-Claude Juncker assure que tant le Premier ministre français François Fillon que le président Nicolas Sarkozy ne visent pas le Luxembourg lorsqu’ils pointent du doigt les paradis fiscaux. Le Premier ministre luxembourgeois pratique pourtant la politique depuis suffisamment longtemps pour douter de la sincérité des promesses de dirigeants politiques démagogiques, davantage préoccupés par leurs cotes de popularité nationale que par les avancées de l’intégration économique européenne.