Prix de l'Architecture 2011

Grand écart

d'Lëtzebuerger Land du 09.12.2011

C’est quoi l’architecture ? Un Prix de l’architecture illustré d’une vingtaine de photos de projets servirait probablement à répondre à cette question, resterait alors à répondre à la question « c’est quoi le Prix de l’architecture » ?

Les événements et publications autour de l’architecture se diversifient : prix (prix de l’architecture de la Fondation de l’architecture et de l’ingénierie, concours commerce [&] design de l’Union commerciale de la Ville de Luxembourg, Bauhäreprais de l’Ordre des architectes et des ingénieurs-conseils (OAI), Concours construction acier,...), publications (Adato, Revue technique, Archiduc, Wunnen,...), expositions (Carré Rotondes, FAI, Ponts et Chaussées, Forum Da Vinci, Administration des bâtiments publics, Mudam, Ville de Luxembourg, Fonds Belval,...). Parallèlement, l’OAI s’ouvre vers de nouvelles professions comme par exemple les architectes d’intérieur, organise des rencontres et débats au sujet des ingénieurs-conseils (le 7 décembre au Forum Da Vinci).

Tout cela alors que la loi Acdu (Amé[-]nagement communal et développement urbain) revisitée sept années après sa naissance, relance son gag des fameuses listes qui séparent les architectes en architectes de Plans d’aménagements particuliers (PAP) et architectes de plans d’aménagements généraux (PAG), on pourrait continuer avec architectes d’intérieur, etc. Puis, il n’y a pas que les architectes de PAG, il y a aussi toutes les autres « professions-qui-touchent-aux-PAGs », allant jusqu’aux géographes. À côté de ces listes, la loi a élargi le nombre d’études à faire avant, avec, pendant, pour et après le PAG. Comment alors faire pour ne pas se croiser et se recroiser en tant qu’expert et contre-expert dans un si petit pays, garder la distance nécessaire sans pour autant perdre l’humour – et le nord ?

L’architecture dans tout cela se décompose, et avec elle sa profession devient une réduction à la signature indispensable pour l’obtention d’une autorisation de bâtir. Même l’urbanité et l’espace public sont de plus en plus accaparés par des designers industriels, spécialistes de la communication, ingénieurs, curateurs et artistes ; rares sont à l’œuvre ceux qui en savent et s’y connaissent. Tout cela mène à la confusion et rime très bien avec la confusion générale, mondiale, saisonnière, des fêtes de fin d’année.

Il n’y a pas raison de se réjouir pour l’architecture et encore moins pour l’architecte. Le client, une société qui vendra son projet à une autre société, qui exécutera son projet avec d’autres sociétés, avec un peu de chance en lui accordant un suivi esthétique, l’immeuble enfin réalisé, sera vendu en mille morceaux et acheté par d’autres sociétés qui loueront ces biens à encore d’autres sociétés, mais, des fois, aussi à des particuliers. Une douzaine de professionnels seront passés par le projet entre-temps et l’auront modifiés à leur gré et suivant leur expertise. C’est la globalisation chez nous.

La fête c’est le Prix de l’architecture, sa sixième édition (la première coïncidait avec l’année culturelle de 1995, trois années après la naissance de la Fondation). Une des nouveautés de cette édition est qu’il y a désormais quatre domaines : l’architecture, l’architecture d’intérieur, le paysagisme et les ouvrages d’art et structures. Ce qui est important : le prix honoraire (Florent Schroeder), attribué pour la deuxième fois (François Valentiny en 2007), le fait non seulement de reconnaître, mais avant tout faire de connaître ces acteurs de longue durée qui ont façonné notre patrimoine architectural, conscient et inconscient, notre imaginaire construit. Ce qui fait plaisir : pour la deuxième fois également : le prix du public, remporté par l’Atelier d’architecture et de design Jim Clemes pour la Gare Belval-Université.

Ce qui manque crucialement et qui est indispensable, compte tenu du climat actuel, ce sont le prix pour la pensée architecturale ou projet théorique (éditions 1995 et 1998), le prix de la première œuvre (2007), et, le prix de l’architecture. Le, car cette fois, le jury composé essentiellement d’architectes (contrairement à la tradition d’inviter également des membres provenant du milieu de l’art, de la communication et de la théorie, voire de la critique) n’a manifestement pas pu faire un véritable choix de gagnant. (Schemel [&] Wirtz Architectes pour le Château d’eau avec service incendie et service technique à Leudelange ; Diane Heirend [&] Philippe Schmit architectes pour la Villa Vauban) Comment féliciter ? « Ah, félicitations, votre bureau a reçu, eh, la première ou deuxième moitié du Prix de l’architecture ? »

Il vaudrait probablement mieux avoir remporté le Prix spécial du jury (Polaris), car là, au moins, ils étaient clairs. Pourtant, le jury avait de la gueule, plus que d’habitude. En effet dès l’entrée, l’exposition montre clairement: à gauche les gagnants une vingtaine, à droite les autres, une grosse centaine. Oui, la totalité des projets soumis sont exposés et le visiteur sera surpris de compter le nombre de projets que certains bureaux ont soumis, non seulement dans différentes catégories, mais dans une même catégorie. L’on est vite conduit à se demander s’il est effectivement surprenant que le prix de l’architecture soit divisé en deux alors que les architectes eux-mêmes n’arrivent pas à faire le choix dans leur œuvre, ou bien pensaient-ils « plus on en envoie et plus on de chance à remporter » ?

La visite ne sera pas pour autant ni très longue, ni fastidieuse étant donné que l’exposition (comme le catalogue) se limite à des photographies. Peu ou pas de plans, pas de contexte, ni même les meilleurs prises des projets. Pas évident pour le visiteur qui ne connaît pas les projets, impossible pour celui qui voudra comprendre les projets et le choix du jury.

L’exposition du Prix de l’architecture 2011 dure encore jusqu’au 17 décembre à la Fondation de l’architecture et de l’ingénierie, rue de l’Aciérie à Hollerich : ouvert du mardi au vendredi de 14 à 18 heures, le samedi de 11 à 15 heures, entrée libre. Le catalogue de l’exposition est en vente au prix de 30 euros ; www.fondarch.lu. Voir aussi notre édition du 2 décembre.
Shaaf Milani-Nia
© 2024 d’Lëtzebuerger Land