L’hébergement touristique sera réglementé jusqu’au nombre de crochets dans les sanitaires. La ministre Françoise Hetto-Gaasch (CSV) a élaboré un projet de loi avec les principaux intéressés

Guerre des étoiles, moisson d’épis

d'Lëtzebuerger Land du 09.12.2011

Le Tour de France, l’aubaine ! Non seulement l’image de marque du grand-duché est refaite au polish grâce aux sympathiques coureurs Frank et Andy Schleck, mais en plus, ça attire des touristes au pays. L’année dernière, le ministère du Tourisme avait même fait partie de la caravane du Tour pour promouvoir un secteur dont l’impact économique est estimé à 4,6 pour cent du Produit intérieur brut du pays – avec plus de 14 000 emplois à la clé1.

C’est la raison pour laquelle la ministre du Tourisme, Françoise Hetto (CSV), voudrait se concerter avec le ministre des Sports Romain Schneider (LSAP) pour renégocier une étape au Luxembourg en 2014 avec les organisateurs de la Grande Boucle. Car, selon Robert L. Philippart, le directeur de l’Office national du Tourisme (ONT), l’augmentation des nuitées à Vianden par exemple est montée en flèche, depuis que les cyclistes sont passés par Luxembourg, même si c’était en coup de vent. Au niveau national, après une déprime de huit pour cent en 2009 – où le secteur envisageait de baisser ses prix –, le taux des nuitées dans l’hôtellerie s’est stabilisé en 2010 pour ensuite augmenter de 7,3 pour cent. Ces actions s’inscrivent dans les efforts de promotion grand public à l’étranger, même si le ministère du Tourisme souhaite aussi attirer une clientèle nantie, en encourageant par exemple le tourisme d’affaires et de congrès ou qu’il participe aux investissements dans les espaces wellness des hôtels. Lors d’une conférence de presse lundi, Françoise Hetto s’est réjouie que de plus en plus de touristes venaient de loin, de l’Asie par exemple et que de grandes compagnies offran,t un tour de l’Europe étaient prêtes à inclure le grand-duché dans leur programme.

Sur le terrain, le pays compte plus de 400 établissements dans le domaine de l’hébergement. La durée moyenne de séjour est de deux jours pour l’hôtellerie et d’un peu plus de cinq jours pour le camping. Cependant, celui-ci est tributaire des conditions météo qui, cette année, ont fait diminuer les nuitées de cinq à dix pour cent. C’est aussi la raison pour laquelle la demande pour des mobil homes est en constante augmentation.

Cependant, le secteur luxembourgeois de l’hébergement ne dispose pas d’une classification réelle et transparente. Des étoiles qui apparaissent ça et là sur les façades ne renseignent pas vraiment sur la qualité des hôtels. C’est pourquoi la ministre a déposé le mois dernier un projet de loi qui s’inspire du système de classification développé par l’association européenne Hotrec et qui s’est imposé dans dix pays européens – germanophones, de l’Europe du nord et de l’est. Il prévoit trois différentes classifications obligatoires pour les secteurs hôtels (motels, auberges, apparthôtels), gîtes (chambres d’hôte, meublés de tourisme, gîtes pour groupes) et auberges de jeunesse. Les campings ne seront pas inclus dans cette nouvelle législation. Selon l’exposé des motifs, « le statut d’hébergement touristique est garant d’une concurrence loyale entre les établissements, qui sont tous évalués selon les mêmes critères au sein d’une catégorie d’hébergement et permet d’éviter qu’un établissement puisse induire en erreur le consommateur en utilisant des dénominations et des signes de qualité (étoiles etc.) ne correspondant pas à la réalité. »

Cependant, les égards envers le consommateur s’arrêtent là, les textes du projet de loi et des projets de règlements grand-ducaux portent clairement la signature des organisations Horesca et de l’Association pour la promotion du tourisme rural (APTR). Et la ministre ne s’en cache pas – ces fédérations feront aussi partie des commissions chargées des évaluations et de l’attribution des écussons. Un catalogue de critères très précis a été établi, que les établissements seront obligés de respecter pour pouvoir obtenir les étoiles (pour la catégorie hôtels), épis (gîtes) ou standards (auberges de jeunesse). Les contrôles de la part des autorités publiques ne seront pas systématiques, le projet de loi dit seulement que « le ministre ou ses délégués sont autorisés – mais pas obligés – à inspecter les établissements d’hébergement ». Le système s’appuie donc sur l’autoévaluation du secteur.

Les hôtels sont classés par étoiles, allant jusqu’à cinq étoiles supérieur (la limite des apparthôtels est fixée à quatre étoiles supérieur). Les établissements de tourisme rural seront triés par épis, avec un maximum de cinq épis. Les auberges de jeunesse sont cataloguées par standards : standard simple, moyen ou élevé. Le patron d’un hébergement doit donc répondre à une liste détaillée comprenant des services et des équipements nécessaires ou optionnels de leurs établissements. Chaque case cochée comporte un certain nombre de points qui seront additionnés. La somme de ces points établira le nombre d’écussons obtenus au final, « le cumul de points doit être supérieur ou égal au nombre de points nécessaires pour la catégorie visée. Il n’est par conséquent pas suffisant de remplir les critères obligatoires, mais en plus un certain nombre de critères facultatifs est nécessaire pour atteindre le score minimal ».

Pour les hôtels (qui ont plus de 270 cases à cocher), le critère le plus important est la surface mise à disposition pour les sanitaires (25 points pour trente mètres carrés) et le petit personnel : quinze points pour le voiturier, le doorman, le concierge ou le groom. Par contre, l’aménagement pour les personnes handicapées ne vaut que huit points et la moitié des chambres réservées aux non-fumeurs ne rapporte que trois petits points. Le cultissime bonnet de douche est à un point, trois points pour la cireuse de chaussures et deux pour le judas de porte. Les établissements qui se soucient du client en traitant systématiquement les réclamations obtiendront trois points et cinq points s’ils effectuent des enquêtes de satisfaction systématiques. C’est plutôt maigre, du point de vue du consommateur.

Le secteur hôtelier est dispensé des préoccupations de développement durable. Aucun critère ne touche le respect de l’environnement, l’économie d’énergies ou des ressources naturelles. Ces aspects concernent par contre davantage le tourisme rural et les auberges de jeunesse où – même s’ils ne rapportent pas tellement que les fleurs aux fenêtres ou la décoration florale autour de la maison (deux points) – ils figurent au moins sur la liste des critères : un point pour le tri des déchets et un autre pour le compostage, deux pour l’alimentation biologique et régionale. L’accent y est mis sur l’apparence soignée des locaux avec un maximum de sept points possibles.

Les auberges de jeunesse ont davantage à gagner si elles ont des chambres avec six lits au maximum (quatorze points) et peuvent gravir les échelons pour des considérations écologiques et l’utilisation des produits du commerce équitable. Le traitement systématique de l’avis des clients et des réclamations constituent d’autres atouts, rémunérés de quatre, respectivement de trois points.

L’offre touristique est en train de se diversifier et les investissements sont rémunérateurs. Cependant, le talon d’Achille du Luxembourg est la médiocrité de son accessibilité : le touriste doit compter plus de trois heures de train en venant de Bruxelles, le TGV-Est prend une heure de Metz jusqu’à la gare de Luxembourg, les vols de la compagnie aérienne nationale aux coûts dissuasifs – le grand-duché n’est pas encore arrivé au XXIe siècle. Finalement, le moyen de locomotion le moins cher et le moins lourd reste la voiture – option inintéressante pour les touristes venus de très loin. Il est donc tout à fait logique que le secteur pense à attirer une compagnie aérienne low cost vers le Luxembourg. Or, sur ce point-là, il ne faut pas toucher aux vaches sacrées et la ministre a retenu la leçon, après avoir été contrainte de publier un rectificatif mercredi, précisant que l’idée de l’implantation d’une compagnie à bas prix ne venait pas de son ministère, mais qu’il s’agissait d’une « suggestion formulée par les acteurs touristiques ». Voyager au grand-duché doit donc toujours se mériter, soit il faut mettre le paquet pour pouvoir se payer l’avion, soit le touriste doit s’armer de beaucoup de temps et de patience.

1 selon les estimations du WTTC, World travel and tourism council
anne heniqui
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