La déplorable séquence offerte la semaine passée par les institutions européennes sur le glyphosate, réautorisé pour dix ans par la Commission après que les États membres se sont défaussés, n’est que l’arbre qui cache la forêt. L’assaut contre l’environnement et la santé humaine, mené à coup de produits chimiques dangereux, problématiques, voire jamais testés quant à leur impact, se poursuit un peu partout. Au Royaume-Uni, où le Brexit a débouché dans ce domaine sur une dérégulation défiant l’entendement, un groupe d’activistes emmenés par le journaliste George Monbiot a décidé de mettre les autorités en demeure de justifier ces pratiques écocidaires, engageant contre elles une plainte dans le cadre d’une campagne baptisée « Fighting Dirty ».
Sur 350 000 substances chimiques synthétiques recensées, un tiers est impossible à évaluer parce que leur composition est soit « confidentielle » soit « décrite de manière ambiguë ». Pour la plupart des autres, la pratique prévalente est de « déployer d’abord, tester ensuite ». Ainsi, poursuit Monbiot, pour 80 pour cent des produits chimiques enregistrés au sein de l’UE, il n’y a pas encore eu d’évaluation.
Au Royaume-Uni, les flux d’excréments humains et d’effluents industriels sont depuis quelques années mêlés en un brouet toxique, auquel s’ajoutent les eaux de ruissellement des routes, chantiers et maisons chargées notamment de résidus de pneus et de PFAS, ces composés fluorés connus sous la douce appellation de « forever chemicals ». Avec candeur, le Département de l’environnement avoue ne pas savoir exactement ce qu’il advient de cet effrayant cocktail à cause d’une « prolifération de courtiers, agents et sous-traitants » qui se chargent de le gérer (merci la privatisation de la gestion des eaux usées, à laquelle les Britanniques doivent aussi leurs plages souillées). Mais il assume qu’une partie significative finit chez les agriculteurs, qui acceptent avec grâce cet engrais gratuit ou bon marché sans trop se poser de questions sur sa composition.
Ainsi, les champs d’outre-Manche ont-ils été arrosés généreusement ces dernières années de produits toxiques, dont « des biphényles polychlorés (PCB), des dioxines, des furanes, des phtalates, des PFAS, des antibiotiques, d’immenses quantités de microplastiques et de nombreux autres substances ». Ce menu peu ragoûtant figure dans un rapport remis au Département de l’environnement en 2017, pour être aussitôt diligemment escamoté, puis déterré en 2020 grâce à une requête FOI de Greenpeace. Depuis, le gouvernement britannique a promis à plusieurs reprises de légiférer, mais n’a pas pris de mesures à ce jour.
Ce qui se passe en Grande-Bretagne est sans doute caricatural, mais, comme le montrent les atermoiements à Bruxelles et ailleurs sur le glyphosate, les néonicotinoïdes et autres nectars issus des laboratoires, le continent n’est pas vraiment en reste. Le mode de vie occidental semble inextricablement lié à la multiplication de produits « innovants » et à leur dissémination incontrôlée sans qu’on ne prenne la peine de connaître leurs effets sur le vivant.