L’Union Européenne cherche à favoriser le financement des PME

La titrisation relancée

d'Lëtzebuerger Land du 06.03.2015

Auditionné par les députés français le 17 février, le néerlandais Jan Timmermans, vice-président de la Commission européenne, a manifesté son désir de s’occuper à nouveau des PME « après dix années où l’Europe leur a fait mal ».

De fait, dès le lendemain était lancée sous l’égide de la Commission une consultation globale avec comme objectif de trouver les moyens de faciliter le financement des entreprises, notamment des quelque 21 millions de PME de l’Union Européenne, pour soutenir la reprise économique qui semble s’amorcer.

Le principal volet de ce « Livre Vert », selon la terminologie bruxelloise, concerne l’union des marchés de capitaux. Aujourd’hui, l’Europe fonctionne avec 28 marchés, car chaque État membre a ses propres circuits de financement. Ce cloisonnement interdit de facto à une entreprise belge, par exemple, d’emprunter de l’argent en Allemagne. Idem d’ailleurs pour un ménage français qui voudrait souscrire un crédit auprès d’une banque italienne pour financer l’acquisition d’un bien immobilier dans son pays.

Il s’agit donc « de supprimer les obstacles à l’investissement transnational » (qui ne sont pas uniquement financiers mais aussi juridiques et fiscaux) un objectif qui, lorsqu’il sera atteint, permettra parallèlement « de faire baisser les coûts de financement au sein de l’UE », au profit notamment des PME du sud et de l’est de l’Europe qui empruntent aujourd’hui à des taux bien supérieurs à ceux consentis dans les pays du nord de l’Union.

Mais c’est un autre volet de la consultation qui a fait couler le plus d’encre. La Commission souhaite en effet relancer la titrisation, dont le volume a diminué de moitié entre 2007 et 2013, à 36 milliards d’euros pour ce qui concerne les créances des PME européennes.

Apparue aux États-Unis dans les années 70, cette technique financière (securitization en anglais) traîne derrière elle une réputation sulfureuse depuis le déclenchement de la crise des subprimes en 2007. Son principe peut être rappelé grâce à une comparaison culinaire. Pour préparer un « quatre-quarts » une maîtresse de maison va mélanger dans un bol des œufs, du sucre, de la farine et du beurre : la pâte obtenue sera versée dans un moule et mise au four, et au bout d’une quarantaine de minutes les invités pourront se partager un délicieux gâteau. De la même manière une banque va réaliser une « pâte homogène » composée de créances de nature généralement identique (comme des prêts immobiliers) mais de conditions et de qualité variables. Les « parts du gâteau» ainsi constitué sont des instruments financiers négociables qui seront vendus à des investisseurs, essentiellement des professionnels comme les gestionnaires d’actifs. Le rendement des titres est déterminé par celui de la créance d’origine, les intérêts payés par les propriétaires dans notre exemple.

Comme disent les Anglo-Saxons, « il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain », ce qui signifie en l’occurrence que ce n’est pas parce qu’une technique financière a connu de graves excès qu’il faut y renoncer définitivement. D’ailleurs elle n’a jamais vraiment disparu, car, pour reprendre les termes de Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France, il existe une « bonne titrisation, quand celle-ci obéit à des règles de clarté ».

Dans le passé, la titrisation a rendu de grands services aux banques en leur permettant d’alléger leurs bilans à une époque où leur refinancement était plus difficile qu’actuellement. L’enjeu est différent aujourd’hui. Malgré l’abondance de liquidités, encouragée par la Banque Centrale Européenne, les entreprises surtout de taille moyenne et petite se plaignent de difficultés récurrentes dans l’accès au financement, aussi bien pour leur trésorerie que pour leurs investissements.

Une des raisons majeures tient à leur dépendance persistante par rapport au secteur bancaire, en dépit des mesures destinées à leur faciliter le recours direct aux marchés financiers. Selon la Commission, les entreprises européennes se financent à 75 pour cent auprès des banques et à 25 pour cent sur les marchés, une répartition qui est longue à évoluer (et qui est par ailleurs l’inverse de celle observée aux États-Unis).

Or, la montée des risques liés à la médiocre conjoncture économique et surtout l’application des nouvelles normes prudentielles de Bâle III ont conduit les banques à durcir leurs conditions de crédit, avec des effets négatifs sur la croissance. En 2013, plus du tiers des PME de la zone euro n’ont pas obtenu tout le financement bancaire qu’elles avaient sollicité. Relancer la titrisation permettrait aux banques de distribuer davantage de crédits aux PME, en sachant qu’elles pourront ensuite les titriser.

Mais voilà qui rappelle furieusement ce qui s’est passé outre-Atlantique entre 2001 et 2007 : à cette époque, les banques, sachant qu’elles pourraient facilement transformer leurs créances immobilières en titres, ont fini par consentir des crédits à des ménages insolvables, avec le résultat que l’on sait. Pas question, pour la Commission de Bruxelles, de reprendre le même chemin. « Nous n’allons pas revenir aux vieux jours des subprimes. Notre porte sera fermée aux instruments de titrisation complexes, opaques et risqués qui ont favorisé la crise », a assuré Jonathan Hill, le commissaire européen aux services financiers.

L’objectif visé est de mettre en place une « titrisation de haute qualité » assortie d’exigences élevées en matière de transparence, de simplicité et de sécurité juridique des produits. Les investisseurs bénéficieraient ainsi d’informations essentielles et fiables sur les actifs titrisés, « notamment dans le domaine des prêts aux PME ». Ces dernières pourraient ainsi mieux se financer, tandis que les banques, en retirant les créances de leurs bilans, retrouveraient de la liquidité et donc davantage de latitude pour prêter à nouveau aux entreprises, tout en mobilisant moins de capital selon les normes de Bâle III.

La Fédération bancaire française, qui, comme l’Association européenne des marchés financiers (un lobby mieux connu sous son sigle anglais AFME), réclame depuis longtemps la création « d’un marché sûr et transparent de la titrisation en Europe » a proposé de compléter le dispositif en « définissant un label commun et en s’appuyant au besoin sur la garantie d’acteurs publics afin d’en accroître l’attrait pour les investisseurs. »

Il reste à savoir si l’encadrement de la titrisation, si souhaitable qu’il fût, ne sera pas finalement dissuasif puisqu’il s’accompagnera inévitablement de conditions et de contrôles très stricts à un moment où « la capacité des établissements financiers à supporter davantage de réglementation est épuisée ».

Comme il n’existe pas une mesure unique capable de résoudre toutes les difficultés de financement des PME et des ETI (entreprises de taille intermédiaire) d’un coup de baguette magique, la Commission fait feu de tout bois et cherche en à outre améliorer leur accès aux marchés financiers à travers la simplification des prospectus lors d’une introduction en Bourse ou de levées ultérieures de capitaux.

La consultation lancée le 18 février est prévue pour durer trois mois. La Commission adoptera ensuite, cet été, un plan d’action définissant une feuille de route et un calendrier pour la mise en place, d'ici 2019, d'une union des marchés des capitaux et des mesures d’accompagnement comme la titrisation. Le projet est sur le long terme « mais dans certains domaines des progrès pourront être accomplis dès les prochains mois », estime-t-on à Bruxelles.

Georges Canto
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