Aides d‘État à France Telecom

Paris doit rembourser

d'Lëtzebuerger Land du 03.12.2009

Le régime fiscal appliqué à France Télécom de 1994 à fin 2002 constitue une aide d’État incompatible avec le droit communautaire, a jugé cette semaine le Tribunal de première instance. Il a ainsi a confirmé la décision de la Commission ordonnant la récupération de ces aides accordées sous forme d’exemption de la taxe pro-fessionnelle, pour un montant compris entre 798 millions et 1,14 milliard d’euros, hors intérêts.

France Télécom (FT) assure tous les services de communication électronique et est en charge notamment du service public uni-versel des télécommunications et des services obligatoires. Par dérogation au régime de la taxe professionnelle affectée aux collectivités locales françaises, elle a été soumise à deux régimes fiscaux successifs : un régime transitoire, applicable du 1er janvier 1991 au 31 décembre 1993, suivi d’un régime définitif, valable du 1er janvier 1994 au 31 décembre 2002. Le premier prévoyait que FT ne devait être soumise qu’aux seuls impôts et taxes effectivement supportés par l’État. En conséquence, la société n’était redevable ni de l’impôt sur les sociétés, ni des impositions locales, dont la taxe professionnelle. Elle devait en contrepartie acquitter une contribution fixée annuellement. Le régime définitif prévoyait que l’entreprise nationale relevait du régime fiscal de droit commun à partir du 1er janvier 1994, à l’exception des impositions directes locales (parmi lesquelles, la taxe profes­sionnelle), pour lesquelles des conditions particulières étaient prévues concernant le taux, la base et les modalités d’imposition. La France n’a pas notifié ce régime à la Commission. Celle-ci, après examen des deux régimes pendant plusieurs années, a conclu en août 2004, que la différence entre l’imposition que FT aurait dû supporter dans les conditions de droit commun et le montant des cotisations de taxe professionnelle effectivement payé constituait une aide incompatible avec le marché commun et donc récupérable. Elle indiquait que le montant exact de l’aide à récupérer serait défini avec les autorités françaises dans le cadre d’une procédure de récupération et qu’il se situait entre 798 millions et 1,14 milliard d’eu-ros, hors intérêts. La France n’ayant pas exécuté sa décision, elle a été condamnée en octobre 2007, sur recours introduit par la Commission, par la Cour de Justice pour non-exécution de la décision de 2004.

Cherchant à faire annuler cette décision, Paris a saisi le Tribunal en octobre 2004. FT en a fait de même en janvier 2005. Elles allèguent que la Commission a mal analysé le régime fiscal appli-cable à l’opérateur français, régime qui se présente, selon eux, non comme deux régimes distincts mais comme un régime global divisé en deux périodes, ce qui justifierait une compensation entre la première période, qui présentait une surimposition, et la seconde.

Le Tribunal ne retient pas cet argument, il considère que c’est à juste titre que la Commission a jugé que FT avait bénéficié, chaque année entre 1994 et 2002, d’une aide d’État. En raison de l’annualité de la taxe professionnelle, l’existence d’une telle aide ne pouvait être constatée que chaque année, et non globa-lement, dès l’entrée en vigueur du régime d’imposition. Il considère que les requérantes n’étant pas parvenues à démontrer l’existence d’un rapport de causalité entre l’instauration d’un prélèvement se substituant à toutes les impositions normalement dues par FT et le régime particulier d’imposition à la taxe professionnelle de 1994 à 2002, il ne peut y avoir de compensation possible entre ces deux régimes.

Il relève ensuite que la France n’ayant pas notifié cette mesure à la Commission avant sa mise en œuvre, elle ne peut pas se pré-valoir du respect du principe de protection de la confiance légi-time. Pour ce qui est du montant de l’aide à récupérer, contesté par les requérantes, le Tribunal estime qu’il peut être calculé sans difficulté et qu’il est au moins égal au minimum de la fourchette retenue par la Commission, soit au moins à 798 millions d’euros.

La juridiction rejette par ailleurs l’argument des requérantes selon lequel l’aide en cause ne pourrait être récupérée en raison du délai de prescription de dix ans, ce délai courant à compter du jour auquel la première aide illégale a été accordée, ce qui correspond au 1er janvier 2004 et non le 2 juillet 1990, date de la promulgation de la loi qui instaure le régime fiscal dérogatoire.

La France et France Télécom peuvent, dans un délais de deux mois, former un pourvoi devant la Cour contre ce jugement.

Sophie Mosca
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