Max Jacoby

I had a dream

d'Lëtzebuerger Land du 03.12.2009

Si on lui prête difficilement la trentaine, s’il ne se livre véritablement que lorsqu’on l’entraîne sur son terrain de jeu favori – l’histoire du cinéma –, il n’y a qu’en façade que Max Jacoby fasse preuve de réserve. Le caractère affirmé de Dust est en totale cohérence avec le sien, chaque mot étant soigneusement pesé. Max Jacoby : « J’entretiens un fort rapport affectif avec le silence. Je n’aime pas l’idée d’imposer une ligne narratrice, j’aurais l’impression de tuer le mystère. Je préfère en appeler à l’intelligence et à l’imagination du spectateur, lui offrir la possibilité de projeter ses propres sentiments sur les personnages ».

Cette formule, déjà mise à l’épreuve en 2001 via Babysitting – un court-métrage réalisé dans le cadre de son cursus universitaire au sein de la London Film School, avait pris toute sa dimension, en 2003, via The Lodge. Dans cette création, réalisée sous la tutelle de la société Tarantula, il est déjà question d’absence, d’un mystère, de personnages aux prises avec des souvenirs envahissants. Le sens de l’image du chef opérateur Fredrik Bäckar est déjà impressionnant de maturité, chatouillant les focales, assurant les mouvements de caméra avec une aisance quasi-féline, servant le propos de Max Jacoby avec une telle efficacité que l’on peut déjà véritablement parler de duo. Mais la révélation Max Jacoby arrivera deux ans plus tard, avec Butterflies.

Empruntant les pas de Wolfgang Becker, qui avait lui-aussi choisi de mettre en lumière cette nouvelle de l’auteur Ian McEwan, Max Jacoby signe là, chez Samsa, le plus ambitieux court jamais réalisé au Luxembourg, en parallèle de l’autre révélation du moment : Beryl Koltz et son inventif Starfly. Si le Luxembourg a du mal à prendre toute la mesure de Butterflies, la Mostra de Venise ne y’s trompera pas en lui décernant le prestigieux Prix UIP, une nomination aux European Film Awards contresignant l’intérêt international pour l’esthétique singulière de Max Jacoby. Le travail de la lumière, servi par le choix du noir et blanc, la gestion des plans serrés qui ne font que renforcer l’ambiguïté de personnages visiblement enfermés dans une sorte de huis clos physique et psychologique…

On pouvait s’attendre à une reproduction de la formule pour le passage forcément critique au format long. Il n’en fut rien, Dust ne retenant de Butterflies que le choix du cinémascope, format cher au réalisateur. Max Jacoby : « C’est la meilleure qualité d’image disponible. Il s’agit, très clairement, d’un choix de mise en scène opéré en concertation avec le directeur de la photographie. Il y a, dans le cinémascope, une sensibilité visuelle qui me parle, » explique-t-il. Exit aussi les close-ups enchaînés, l’univers de Dust étant pour le moins « végétal », donc aéré. Max Jacoby : « D’une manière générale, je ne souhaitais pas faire du David Fincher, enchaîner les beaux plans comme unique finalité. Je me sens par exemple plus proche d’un Gus Van Sant dans cette esthétique de la narration ».

La maturation du projet ne fut, pourtant, pas simple. Entamée sous l’égide de la société Samsa, la gestation de Dust fut finalement portée à son terme via Red Lion, la société du réalisateur-producteur luxembourgeois Pol Cruchten. Max Jacoby : « Bien que je m’entende parfaitement avec Samsa, nous avions très clairement, au moment des différentes phases d’écriture du scénario, des difficultés à nous comprendre. J’ai des choix qui me sont très personnels et qui ne peuvent être conduits que sous le régime de la confiance. Pour la scène de la partie de pêche de Dust, par exemple, Pol m’a demandé, au moment du montage, où étaient les plans serrés. J’ai dû lui expliquer qu’il n’y en aurait pas ».

Ceux qui ont déjà vu le film ne pourront, effectivement, que se rappeler de ce long moment où les deux personnages sont filmés de dos, en plan large, les sentiments d’intimité et de proximité apparaissant au détriment de tous les codes du genre. C’est dans ce type d’audaces conceptuelles que Max Jacoby fait mouche ou rebute, au choix. Un risque parfaitement assumé, d’autant que Dust a déjà trouvé son public : « J’ai notamment été très surpris par l’accueil du film au Festival de Pusan (Corée du Sud, ndlr.) en octobre dernier. Ils sont allés très loin dans la lecture, ils ont vraiment compris ce que je voulais faire passer, » se réjouit-il, sans se priver de sourire à l’évocation d’analyses parfois trop… abouties : « J’ai eu l’exemple avec Butterflies. Certains voient dans une expression, dans un cadrage, des intentions que nous n’avions pas. Mais cela fait aussi partie de la magie du cinéma, on y met ce que l’on veut. L’origine de Dust, c’est un rêve fait il y a de longues années, à la suite d’une discussion avec un ami. Je me suis demandé ce que je ferais si je me retrouvais seul au monde. Ce fut le plus beau rêve de ma vie ».

Alexis Juncosa
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