Voilà six ans que le pianiste, improvisateur, compositeur et grand vulgarisateur de la musique classique, Jean-François Zygel est en résidence à la Philharmonie de Luxembourg. Un cas unique qui fait presque de ce Parisien, un Luxembourgeois d’adoption. Au point que, avant de revenir la saison prochaine pour une septième année de résidence, il sera de retour au Kirchberg le 16 mai avec un nouveau programme intitulé « Mon Luxembourg à moi »
Vous êtes devenu artiste en résidence à la Philharmonie en 2015. Quelle était votre connaissance à l’époque du Luxembourg et de sa scène artistique ?
Jean-François Zygel : J’avais été invité à un festival de cinéma (le DirActors en 2009, il avait accompagné au piano la projection à la Cinémathèque de L’Argent (1928) de Marcel L’Herbier, ndlr). J’avais profité de cette occasion pour visiter un peu le Luxembourg. J’avais été frappé par le fait que le lieu est difficile à définir. C’est comme un mille-feuilles d’identités, de traditions, d’époques, de styles et presque même de géographies. C’est vraiment particulier. Je vois ça comme un kaléidoscope. Après, je suis venu faire un concert (Dating : Mozart avec l’Orchestre Philharmonique du Luxembourg, sous la direction d’Antonio Méndez, le 21 mai 2014, ndlr). J’avais donc déjà découvert la Philharmonie et son équipe. C’est d’ailleurs à l’issue de ce concert que la Philharmonie m’a proposé d’entrer en résidence pour poursuivre la série « Dating », mais aussi pour revenir en tant qu’artiste, compositeur, improvisateur, et toute ces casquettes.
Qu’est-ce qui vous a donné envie, à l’époque, d’accepter cette collaboration ?
Une proposition de résidence à la Philharmonie de Luxembourg, je connais peu de d’artistes qui refuseraient ça ! La Philharmonie de Luxembourg c’est une des grandes maisons pour la musique classique en Europe. Je crois, pour être honnête, que je ne me suis même pas posé la question. Les questions que je me suis posées étaient sur la direction à donner à cette présence. Restaient, ensuite, à ce qu’on soit d’accord sur le projet…
Depuis votre premier Dating, vous avez donné 47 concerts à la Philharmonie. Il y a eu les Dating – un programme idéal pour votre profil de vulgarisateur, même s’il me semble que vous n’aimez pas ce mot, de la musique classique à travers vos émissions – mais avez aussi participé aux lunch concerts, à la série Chill at the Phil, aux ciné-concerts, vous avez organisé une masterclass d’improvisation, mais aussi créé votre propre série Les Dimanches de Jean-François Zygel. Tout est possible pour vous à la Philharmonie ?
Je me demande même, vu que certains concerts ont été doublés, si on ne va pas au-delà des 47 concerts, ce qui, effectivement, est sans doute le record de la maison. En ce qui concerne la vulgarisation, ce n’est pas le mot qui me gêne, c’est seulement que, si on dit ça, on se situe à côté du concert, comme si la seule chose réelle était le concert sans parole et par ailleurs la vulgarisation, la pédagogie, la médiation. Je récuse cette dichotomie ! Si vous allez dans un restaurant et que le chef, au fur et à mesure qu’il vous sert les plats, vous explique comment il les a composés, ça reste un dîner. Mon idée est que le concert doit porter sa propre médiation. Le fait de donner quelques exemples, d’expliquer le contexte ou la partition, ça fait partie du concert. Quand la Troisième Symphonie de Brahms a été donnée pour la première fois, elle a été donnée deux fois lors du même concert, avec des explications entre les deux. Ce qui est important est que la musique arrive jusqu’au cœur et à l’esprit des gens. Il n’y a donc aucune raison pour qu’un concert soit muet. Ça me paraît tellement naturel de parler d’une œuvre. Pour revenir à la question si tout est possible ici : c’est exactement ça. Nous réfléchissons ensemble, avec l’équipe de la Philharmonie, à comment inventer le concert du 21e siècle : son programme, sa durée, son horaire, sa retransmission ou non en streaming, le fait qu’il soit précédé ou non d’une rencontre ou d’un atelier, s’il est avec ou sans parole, s’il doit mélanger des formations différentes… On est trop habitués à des concerts avec uniquement un quatuors à cordes, uniquement un piano solo, uniquement un orchestre, mais quand on regarde dans le passé, il y avait un mélange incroyable. Le concert du 22 décembre 1808 de Beethoven est resté célèbre, il proposait deux extraits d’une messe, deux symphonies qu’il venait de composer, son Quatrième concerto, une demi-heure d’improvisations, un air de concert… Autrement dit, un mélange d’opéra, de musique sacrée, de musique de chambre, de récital de piano et de symphonie.
On peut donc être précurseur tout en revenant à une certaine tradition ?
Oui. L’innovation est souvent un retour. On veut réfléchir à ce qu’est le concert en se demandant comment ça se passait par le passé. Comment mélanger les arts, les disciplines, les styles, comment proposer des concerts théâtralisés, des battles de piano avec des jazzmen, des ciné-concerts sans cinéma... Inventer de nouveaux projets de concerts c’est une des choses qui me passionne le plus.
Après Voulez-vous faire l’humour avec moi, en mars, vous reviendrez le 16 mai avec Mon Luxembourg à moi. Parlez-nous en de votre Luxembourg à vous. À quoi ressemble-t-il ?
J’aime la Philharmonie. J’aime le Grund, où je trouve qu’il y a une atmosphère très particulière. Mais pour dire la vérité, lors de ma prochaine venue je vais venir quatre jours avant le concert justement pour voir d’autres endroits de la ville et du pays. J’aimerais approfondir ma connaissance du Grand-Duché, j’ai déjà noté quelques endroits à voir, mais je ne sais pas encore s’ils seront finalement présents dans le concerts. L’idée est de mettre la ville, voire le pays, en musique.
Que ressentez-vous de particulier quand vous vous baladez au Luxembourg ?
Il y a une ambiance toute particulière. C’est plus disparate que d’autres villes. Plus inattendu aussi. Plus poétique. Moins affirmatif. Comme s’il fallait toujours aller derrière les apparences.
Et comment allez-vous traduire tout ça en musique ?
Mon idée c’est de faire un peu comme Les Tableaux d’une exposition de Moussorgski. Personnellement, je suis atteint de synesthésie dans le sens où quand je vois quelque chose, j’entends de la musique, toujours. Depuis tout à l’heure je regarde cette pointe (il montre le clocheton de la verrière du Mudam, ndlr) et j’entends un accord de sol mineur. Je vais donc essayer de transcrire en musique le palais Grand-Ducal, telle ou telle église, telle ruelle, tel château, tel paysage, tel lac...
Ce sera donc un concert de musique composée, pas seulement des improvisations ?
Oui. Je présenterai mes compositions et j’improviserai aussi dessus. Ce sera une visite auditive du Luxembourg. En sachant que le public connaîtra les lieux, ou pourra aller les visiter par la suite.
Le public, justement, quel rôle joue-t-il dans tout ça ?
Le public c’est l’équivalent de la réverbération. En tant qu’improvisateur, ça m’inspire énormément. Je suis incapable d’improviser dans le vide. Pareil pour la prise de parole. J’ai besoin du public. Il y a une expérience fondamentale qui s’établit entre l’artiste, le lieu et le public. Ça ne veut pas dire que les œuvres n’existent pas en elles-mêmes, surtout les grandes œuvres du répertoire, mais il y a quelque chose de particulier lors d’un concert. Nous, les musiciens, nous avons besoin de ce retour. On sent par différents signes le retour du public et ce que nous avons nous-mêmes envoyé, nous revient.
Et le public luxembourgeois ?
C’est un public très mélomane. Bien plus qu’en France, qui est un pays plus littéraire où la musique n’est pas évidente pour la plupart des gens. Ici le public écoute vraiment, il a une habitude du concert. C’est aussi le cas en Allemagne ou en Angleterre. Avec cette double grâce, en ce qui me concerne, que le public luxembourgeois est non seulement mélomane, mais en plus, il parle français..