Déstabilisations à la radio 100,7

À l’usure

d'Lëtzebuerger Land du 09.12.2011

Restera – restera pas ? Il y a deux semaines, Jay Schiltz, le rédacteur en chef de la radio publique 100,7 depuis dix ans, a annoncé à la direction et à la rédaction qu’il voulait quitter la fonction de rédacteur en chef et intégrer l’équipe en tant que simple journaliste, se limiter à faire des reportages, des commentaires, présenter les journaux. Sous couvert d’anonymat, des journalistes de la radio publique racontent comment la situation s’est envenimée depuis plusieurs années, en gros depuis que la rédactrice en chef adjointe Sophie Morang a pris son premier congé de maternité en 2007 et n’a plus vraiment assumé cette fonction depuis lors, laissant Jay Schiltz seul maître à bord. Entre 2009 et 2011, Jean-Claude Franck a porté le titre et fait le travail de secrétaire de la rédaction, qui consistait, au-delà de la fonction administrative d’organiser les plans de travail et de congés, aussi en une coordination du contenu. Mais, dépité, il jeta l’éponge après moins de deux ans, apparemment las de l’inertie de la direction. Cette fois, c’est le rédacteur en chef lui-même qui, frustré, tire la sonnette d’alarme. Autant de signes d’une désagrégation qui méritent qu’on s’y attarde.

« Je puis vous assurer que le rédacteur en chef ne démissionnera pas, » affirme pourtant le président du conseil d’administration de l’établissement public qu’est la radio socioculturelle, Pierre Gehlen, joint par le Land. Le conseil devait décider lors de sa réunion hier, jeudi 8 décembre, la nomination de deux nouveaux rédacteurs en chef adjoints, qui seraient ancrés dans l’organigramme, et qui viendraient épauler Jay Schiltz pour diriger la rédaction. Même position défensive du côté de Fernand Weides, le directeur de la radio : « Jay Schiltz est notre rédacteur en chef et il le restera, tout le reste n’est que rumeurs ! »

Or, même si la nomination de deux adjoints pouvait convaincre Jay Schiltz de rester à son poste, l’ambiance à la rédaction de la radio est au plus bas depuis plusieurs mois, un profond désaccord sur le profil et l’orientation de ses informations divisant la rédaction, voire opposant les journalistes à leurs supérieurs hiérarchiques. Surtout la jeune garde de journalistes, les François Aulner, Michel Delage, Jean-Claude Franck ou Gil Goebbels, fraîchement diplômés d’universités internationales – et s’opposant à la toute vieille garde de ceux qui ont appris le métier sur le terrain –, s’inspirant des critères de qualité des grandes radios publiques étrangères et à la recherche de scoops et d’informations réellement alternatives (ce qu’ils réussissent de plus en plus souvent), trépignent d’impatience. Mais de plus en plus de journalistes rodés de la rédaction ne comprennent pas non plus qu’une radio publique ouvre son journal avec ce qu’ils considèrent être du domaine du fait divers, comme un mariage princier cet été. Or, au lieu de canaliser cette lutte des courants et en tirer profit, la direction, réticente à prendre des décisions, en a fait une guerre de position.

Le fait que le Land (du 5 août 201) écrive qu’il y avait une « ambiance fin de règne » avenue Monterey, au siège de la radio 100,7, est resté en travers de la gorge de Fernand Weides : « Pas du tout ! dit-il, j’ai encore plein de projets pour cette radio ! » L’ancien journaliste du Tageblatt, arrivé à la direction de la radio publique en automne 1994, a le mérite reconnu d’avoir assuré l’équilibre financier de l’établissement, qui reçoit aujourd’hui une dotation publique annuelle de 4,5 millions d’euros. Il se vante du taux d’audience en hausse constante depuis quelques années, approchant désormais les cinq pour cent, et affirme recevoir beaucoup de réactions extrêmement positives d’auditeurs. Mais il aura 65 ans dans un an – et depuis l’achèvement de ses soixante ans, l’hypothèse de son départ est de toutes les discussions sur la radio, aussi bien en interne qu’à l’extérieur. Les observateurs les plus critiques lui reprochent son immobilisme, une tendance à s’opposer à tout changement des concepts et programmes qu’il juge excellents, jusque après son départ. Une guerre d’usure en quelque sorte. « Je ne veux pas commenter mon départ, » dit l’intéressé lui-même. Mais le président Pierre Gehlen concède que « il est vrai que Monsieur Weides a atteint l’âge où on pourrait commencer à penser à la retraite ».

Si Fernand Weides veut encore achever « plusieurs chantiers », il y en a un grand, immobilier, en train de se concrétiser : fin 2012, la radio déménagera dans le nouveau bâtiment du Fonds Kirchberg, avenue Kennedy au Kirchberg (architecte : Paul Bretz), ce sera le troisième déménagement sous sa direction (après avoir quitté le siège de la CLT pour la route de Longwy, puis pour une somptueuse villa avenue Monterey). Le chantier est encore en cours, mais on spécule que ce serait la dernière grande action de Fernand Weides. Qui, en coulisses, serait également en train de chercher un successeur à proposer. Car, même s’il n’y a plus guère de débat public sur la radio socioculturelle, le bien-fondé de son existence (depuis que le DP a voulu l’abolir mais ne l’a pas fait lorsqu’il était au gouvernement), son orientation idéologique, son programme ou son indépendance politique, les pressions montent en coulisses, par exemple de la part d’acteurs culturels, qui aimeraient y voir un outil promotionnel strictement culturel plutôt qu’une radio généraliste où l’information joue un rôle prépondérant.

josée hansen
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