Entretien avec Marc Linster, rédacteur en chef de 100,7

Du recul

d'Lëtzebuerger Land du 15.06.2000

d'Lëtzebuerger Land : Après avoir travaillé durant seize ans pour une radio généraliste privée et commerciale, vous venez de transiter vers une radio de service public. Est-ce que votre approche des informations a changé ? Est-ce que vous vous êtes imposé un autre angle ?

 

Marc Linster : Si différence il y a, elle se trouve dans le détail. Une rédaction de service public a autant la mission d'informer le public qu'une radio privée. Je ne vois pas vraiment de différence fondamentale entre les deux, nous cherchons tout aussi bien à traiter les informations nationales, régionales, européennes et internationales, dans les domaines politique, économique, social et culturel... une des différences pourrait seulement être l'absence de rédaction sportive. Si le contenu ne change pas vraiment, je vois plutôt une distinction dans la manière de traiter l'information, mais elle n'est pas due au fait que nous sommes une radio de service public. 

 

À quoi cette disctinction serait-elle due alors ? 

 

Nous avons choisi d'aller en profondeur de l'information, un reportage chez nous dure entre trois et quatre minutes en moyenne, alors on peut forcément approfondir. Nous avons un autre rythme, nous offrons une information plus calme, avec un certain recul. Il est clair qu'on retrouvera souvent les trois ou quatre mêmes sujets dominants du jour dans un journal de RTL et de la Radio socioculturelle, seulement nous, nous aurons alors peut-être plus de temps pour les traiter. En même temps, nous sommes bien sûr conscients qu'une radio ne peut jamais scruter un sujet jusque dans le moindre recoin.

 

Est-ce que, en tant que rédaction, vous avez défini une ligne commune qui exclue un certain type d'informations ? 

 

Dans le passé, la rédaction avait comme guideline de ne pas traiter les faits divers et je dirais que nous allons la garder. Il faut toutefois clairement définir ce qu'est un fait divers : voyez la prise d'otage de Wasserbillig par exemple, ce n'était plus un fait divers, mais l'événement qui a marqué et intéressé le public ce week-end-là. Donc nous avons nous aussi mobilisé nos équipes sur place et avons, pour la première fois de l'histoire de la radio, fait des bulletins actuels toutes les heures durant la journée. À l'interne, nous discutons à chaque fois pour définir les limites à partir desquelles un fait divers comme un accident routier mortel ou un braquage de banque devient assez important pour que nous en parlions. Je dirais qu'à partir du moment où un fait divers devient un phénomène de société, il nous intéresse.

La même question se pose par exemple dans le domaine du sport. Nous n'allons certainement jamais commencer à annoncer les résultats sportifs, ce n'est pas notre mission, mais je suis d'avis que le sport est aussi un phénomène de société, donc tout ce qui a trait à ces aspects trouvera une place chez nous : l'intégration des clubs de football portugais dans la FLF, le doping, l'Euro 2000, les jeux olympiques... Cette année par exemple, et pour la première fois, nous avons décidé de passer les résultats des matchs de l'Euro 2000, parce que nous étions en majorité d'avis que cela intéresse aussi nos auditeurs et que nous ne pouvons pas parler des hooligans d'un côté et faire de l'autre comme si le football n'existait pas.

Une différence bien claire et définie par rapport à nos confrères commerciaux est par contre que nous avons pleinement intégré l'information culturelle dans nos blocs d'informations - comme notre nom l'indique d'ailleurs.

 

Comment se défaire des réflexes et des schémas de lecture acquis durant votre expérience professionnelle dans le privé ? Comment allez-vous éviter de faire de la Radio socioculturelle une sorte de RTLbis ou les reportages dureraient simplement le double du temps ? Est-ce qu'il est seulement possible de faire des informations radiophoniques différentes ? 

 

Je ne peux, bien sûr, que parler de mon expérience à moi : J'ai écouté durant six mois très intensivement la Radio socioculturelle avant de commencer à ce nouveau poste le 2 mai et je peux dire que je la connais très bien. Il n'y a aucun doute que malgré son jeune âge de sept ans seulement, cette radio a défini ses propres structures et marqué son identité, que je défends. 

Contrairement à nos confrères, nous n'avons ici ni la pression ni l'ambition du scoop, de devoir à tout prix être les premiers à lancer une information. C'est vrai que j'avais acquis un certain nombre d'automatismes d'un journalisme « chaud », de radio, mais ici, ma mission est différente : en tant que rédacteur en chef, il me revient maintenant de faire des choix, de définir les grandes lignes de nos informations. Je crois que les améliorations possibles se situent là : une meilleure coordination, une ligne éditoriale clairement définie avec des accents visibles, une approche plus active, partir à la recherche de l'information plutôt que d'être dépendants des conférences de presse et autre briefing, oser les choix en revendiquant le droit à l'erreur, rythmer les bulletins d'information... Je crois tout simplement que ma mission sera de donner plus de profil à nos informations.

 

Vous travaillez avec une équipe assez réduite - huit journalistes fixes et quatre free-lance - qui n'a pas été augmentée proportionnellement au nombre d'heures d'émissions en 1997, lorsque la radio a commencé à émettre à plein temps. Même phénomène du côté du budget, qui n'est que de 95 millions de francs cette année... 

 

C'est un de nos problèmes majeurs, une sorte de cercle vicieux. Nous manquons de journalistes engagés à plein temps, donc, pour remplir nos trois journaux quotidiens, plus les dossiers et magazines d'informations, nous devons souvent avoir recours à des free-lance. Non qu'ils fassent leur travail moins bien, mais dès qu'on engage un free-lance, nous dépassons tout de suite notre budget. Nous travaillons quasiment tous à nos limites, tous les jours.

 

Comment définiriez-vous le créneau de la Radio socioculturelle dans le paysage radiophonique libéralisé, entre RTL, DNR, Eldoradio, Ara etc. ?

 

Une chose est sûre : je refuse catégoriquement le préjugé selon lequel nous serions la radio des profs et des instituteurs ! Même si, évidemment, je suis content de les compter parmi nos auditeurs. J'espère que nous pourrons augmenter notre auditoire, sans avoir jamais l'ambition de vouloir imiter RTL. De l'autre côté, radio Ara répond certainement mieux aux attentes de publics ciblés que nous, et je ne crois pas que notre mission soit de faire une radio pour minorités, nous sommes une radio généraliste. 100,7 doit offrir des informations fondées, exigeantes, plus calmes, pour un maximum d'auditeurs.

 

Il y a un an, lorsque les libéraux sont arrivés au pouvoir, la Radio socioculturelle était sérieusement remise en cause, comme le PDL avait plusieurs fois plaidé pour son abolition. En 1996, l'actuelle ministre de l'Éducation nationale Anne Brasseur avait même déposé une proposition de loi allant dans ce sens. L'accord de coalition d'août 1999 précise toutefois que « la radio socioculturelle sera maintenue dans l'intérêt du pluralisme de l'offre radiophonique »... Il est vrai que l'idée même d'une radio de service public émanait plutôt du spectre politique de gauche - l'ancien ministre de la culture socialiste Robert Krieps comptant pour le père spirituel de la radio... Qu'en est-il de votre realtion au pouvoir politique actuel ? Vous trouveriez-vous dans la position cocasse d'une radio de service public à sensibilité de gauche, donc plutôt proche de l'opposition ? 

 

Non, nous ne sommes ni la radio du POSL, ni la radio de l'opposition... Chez nous, tous les partis sont traités de la même façon, nous leur donnons tous la parole, et je n'ai pas encore rencontré le moindre problème avec un parti politique... pas avec le parti démocratique non-plus.

 

josée hansen
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