Une dynamique politique internationale ravive un (léger) souffle d’espoir pour les Palestiniens affamés par le gouvernement Netanyahu

Via Dolorosa

Place Hamilius, mercredi 30 juillet
Photo: DR
d'Lëtzebuerger Land du 01.08.2025

« Gaza, la faim d’un peuple », titre en Une le quotidien genevois Le Temps ce mardi. En photo pleine page, le squelettique Yusuf Abdurrahman Matar, six ans, est porté par sa mère voilée de noir, devant un mur gris. Le même jour, le Guardian illustre avec la même famille en souffrance, l’alerte donnée par la plateforme Integrated Food Security Phase Classification (IPC) : « Worst case scenario of famine unfolding in Gaza  ». Exceptionnellement, le Land publie une photo d’agence en couverture. Elle est tirée de cette série immortalisant la famille Matar réalisée le 25 juillet à Gaza par le photographe Mahmoud Issa. Lundi, l’AFP, Associated Press, Reuters et la BBC ont enjoint le gouvernement israélien d’autoriser « l’entrée et la sortie des journalistes ». Leurs correspondants aussi risquent de périr de la famine.

Les informations qu’ils rapportent et les photos qu’ils diffusent rattachent au reste du monde les deux millions de Palestiniens isolés et affamés dans l’enclave de Gaza. Les os de ces enfants percent leur peau comme ils percent maintenant les consciences du monde occidental. Jusqu’à celle du président américain Donald Trump, heurté par ces images reprises vendredi en une du New York Times. Sur celle du Spiegel (« Gaza, ein Verbrechen ») le même jour, des Palestiniennes, transfigurées par la rage et le désespoir, tendent leurs gamelles à un point de distribution alimentaire. Au Luxembourg, Le Quotidien relaie mardi encore, en couverture également, les actes de sensibilisation des ONG locales à la famine utilisée par Israël comme « arme de guerre ». Est notamment cité le Global Movement to Gaza. Son coordinateur au Luxembourg, Patrick Bosch, rassemble une quinzaine de volontaires (il espère des personnalités publiques) pour rejoindre une flottille de navires affrétés par la société civile internationale. L’objectif : prendre le relais d’une action publique déficiente et briser le blocus imposé par Israël sur l’enclave de Gaza où ont déjà succombé plus de 60 000 personnes sous les bombes israéliennes. Cent mille autres ont été mutilées. D’autres attendent la mort de malnutrition.

En ce début de semaine, la France et l’Arabie saoudite ont réuni au siège new-yorkais des Nations unies quelque 120 pays désireux d’avancer sur « la mise en œuvre de la solution à deux États ». Après une introduction du ministre des Affaires étrangères de la France, Jean-Noël Barrot, qui a insisté sur le droit des peuples à l’autodétermination et rappelé le soutien historique apporté par son pays aux nations israélienne et palestinienne, son homologue luxembourgeois, Xavier Bettel (DP) a listé ses sept déplacements au Moyen-Orient en 18 mois pour justifier son implication. Sous les dorures et le marbre onusiens, le vice-Premier ministre a dénoncé « une situation inexplicable et intolérable ». Dans une intervention à moitié improvisée, il a cité ces membres du gouvernement israélien Bezalel Smotrich, Itamar Ben Gvir et « même » Israël Katz qui voudraient « résoudre le problème du logement en occupant la Palestine demain ». Pour Xavier Bettel le problème serait « surtout » pour Israël d’avoir un « Premier ministre (Benyamin Netanyahu, ndlr) silencieux ». « J’ai été dix ans Premier ministre du Luxembourg. Quand un ministre disait quelque chose d’inacceptable, je le rappelais à l’ordre », a témoigné Xavier Bettel devant une centaine d’émissaires de gouvernements du monde entier.

Xavier Bettel a qualifié le moment « d’important ». « Nous devons donner un espoir à la population palestinienne », a-t-il dit, « car elle risque d’être encore plus vengeresse à l’égard de la population israélienne voisine ». Cela passera notamment par la condamnation des attaques du 7 octobre 2023, l’appel à la libération des otages et au désarmement du Hamas. Tels ont été les critères imposés à l’Autorité palestinienne par une quinzaine de pays occidentaux afin de revigorer la solution à deux États. Le chef de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas s’est engagé à satisfaire aux demandes formulées par le président français, Emmanuel Macron, et ses alliés (dont le Luxembourg) de ne pas militariser la Palestine, de réformer son système d’éducation (de le déradicaliser) et d’organiser de nouvelles élections. En conséquence, quinze pays occidentaux (dont la France, le Luxembourg, Malte et le Portugal, États de l’UE qui n’ont pas reconnu la souveraineté de la Palestine) se sont unis mardi dans le « New York Call », un appel à reconnaître les États palestinien et israélien. Sont rassemblées dans les trente pages de conclusions les intentions des États signataires ainsi que les démarches à accomplir pour ce double state building. Parallèlement à cette initiative, le Royaume-Uni a cette semaine partagé sa décision de reconnaître la Palestine en septembre si Israël ne cessait pas le feu et ne restaurait pas l’aide humanitaire. Une autre manière de faire.

« L’engagement des Palestiniens est énorme. L’engagement des pays arabes, ce sont des choses qu’on n’aurait pas imaginées hier. Donc on ne doit pas rater ce momentum. Aujourd’hui soutenir la Palestine ce n’est pas un acte contre Israël. C’est agir pour un futur en sécurité des générations israéliennes », a conclu Bettel devant ses pairs. Le communiqué officiel formule la position officielle dans un jargon diplomatique laissant la place à un éventuel changement d’orientation d’ici la réunion de l’automne : « Le Grand-Duché de Luxembourg a aujourd’hui la tendance positive de vouloir faire cette marche et de reconnaître l’État de Palestine en septembre. »

Jeudi dernier, Emmanuel Macron avait partagé son vœu de franchir le pas. Le lendemain Xavier Bettel a expliqué sur RTL Télé que, informé en amont par son homologue français, il avait recommandé le matin-même en conseil de gouvernement de reconnaître la Palestine lors du sommet des Nations Unies en septembre. Une manière de transmettre la responsabilité au Premier ministre, Luc Frieden (CSV) ? Lors de deux conférences de presse en fin de semaine, le chef du gouvernement a répété que le pays avançait avec la communauté internationale « vers la reconnaissance de la Palestine dans le cadre de la mise en œuvre d’une paix durable ». Cette semaine, ses services confirment au Land que « le Premier ministre et le ministre des Affaires étrangères sont alignés sur la question palestinienne ».

D’autres pays devraient « s’engouffrer dans l’appel d’air » en septembre, anticipe, dans un entretien avec le Land, Hugh Lovatt, expert du Proche-Orient au European Council on Foreign Relations. Des pays comme la Belgique, qui calque souvent sa politique étrangère sur celle de la France, ou les Pays-Bas, pourraient suivre, bien que les coalitions au pouvoir rendent cette option incertaine. Le Danemark (qui assure la présidence de l’UE jusqu’à la fin de l’année), tiraillé entre les influences batave et allemande, serait un « grand point d’interrogation ». L’Italie et l’Allemagne resteraient contre cette option. Lundi, à Bruxelles, le collège des commissaires a surpris son monde en proposant aux États membres de stopper les financements aux PME israéliennes postulant aux programmes recherche et développement de l’UE pour éviter que l’argent européen ne serve les desseins meurtriers du gouvernement Netanyahu. Hugh Lovatt relève qu’Ursula von der Leyen, membre de la droite européenne qui a souvent repoussé des mesures contre Israël, a donné son « feu vert ». La proposition serait le signe qu’une « dynamique se crée, même si la mesure proposée est la plus petite que l’on pourrait imaginer », commente l’expert. « Et même cela n'est pas encore acceptable pour une grande partie des États membres », poursuit-il. Ce mardi, des premiers « échanges de vues » au comité des représentants permanents révélés par Euronews ont permis d’identifier les forces motrices pour cette révision partielle de l’accord d’association UE-Israël (Pays-Bas, Irlande, France, Luxembourg, Slovénie, Portugal, Malte Espagne), ses opposants (Hongrie, Bulgarie et République tchèque) et des pays demandant du temps de réflexion (Allemagne, Italie), un délai pour voir si les couloirs humanitaires promis par Benyamin Netanyahu à Kaja Kallas (Haute représentante pour la politique étrangère) sont mis en place. Ils avaient été obtenus quand l’UE envisageait de suspendre partiellement l’accord d’association.

Hugh Lovatt constate que le gouvernement israélien relâche son emprise sur le peuple palestinien lorsqu’il est mis sous pression, a fortiori par les États-Unis, par exemple quand Benyamin Netanyahu avait été contraint à un cessez-le-feu en janvier. Cette semaine, Trump s’inquiète de la famine dans la bande de Gaza et Netanyahu laisse passer des convois humanitaires. Il faudrait néanmoins passer des mesurettes à de réelles intiatives. « Pendant des décennies, Israël a pu annexer le territoire palestinien, déplacer la population, se comporter avec impunité tout en renforçant ses liens avec la communauté internationale », relève l’expert. Il conviendrait maintenant d’imposer la menace d’une mise au ban internationale, tel que le boycott infligé à l’Afrique du Sud pendant l’apartheid, pour faire revenir l’opinion israélienne vers un gouvernement privilégiant une solution à deux États. Une voie qui sera longue et douloureuse.

Pierre Sorlut
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