La police n’a plus le droit d’aller consulter les banques de données pour poursuivre des petites infractions sanctionnées d’une peine de prison de moins de deux ans. Le pays est scandalisé, les forces de l’ordre paralysées, ça doit être pire que le millennium bug. Le ministre de la Justice Luc Frieden (CSV) se défend en insinuant que c’est la faute aux députés qui ont torpillé son projet de loi relative à l’accès des magistrats et officiers de police judiciaire à certains traitements de données à caractère personnel. Ils ont eu en effet l’audace de limiter ce droit d’accès. Ce fut l’occasion pour le député libéral Xavier Bettel de l’interroger mercredi sur son âme et conscience dans une question parlementaire : « Sachant que la version originale du projet de loi ne prévoyait aucune restriction en ce qui concerne l’accès à des données à caractère personnel, j’aimerais également savoir de la part de Monsieur le Ministre, s’il juge superfétatoire de telles restrictions ? » Question rhétorique ?
Vu sous un autre angle, le fait que la police soit paralysée par cette disposition dans la loi est somme toute une bonne nouvelle. Cela montre bien qu’en général, les agents sont essentiellement occupés par des broutilles et ne sont pas submergés par de grandes enquêtes sur des réseaux mafieux internationaux, des responsables politiques corrompus, des terroristes oeuvrant dans l’ombre ou des bandes de dangereux gangsters préparant leur prochain coup. Le citoyen peut dormir sur ses deux oreilles en se posant la question pourquoi le gouvernement a fait voter dans l’urgence une nouvelle loi permettant d’embaucher 500 nouveaux agents de police.
Surtout qu’ils se verront bientôt prêter main forte par les agents municipaux. Le ministre de l’Intérieur Jean-Marie Halsdorf (CSV) et le ministre de la Justice viennent de déposer un projet de loi à la Chambre des députés sur l’élargissement des compétences des Pecherten. Au lieu de se limiter aux avertissements taxés pour des mauvais stationnements, ils devront veiller au respect des règlements communaux de police. C’en est fini de la « non-poursuite des incivilités et des petits troubles à l’ordre public et de l’impunité des fauteurs de petites infractions qui en résulte », précise l’exposé des motifs. Armés de leurs petits ordinateurs-calculettes, les agents municipaux sillonneront les rues pour veiller à ce que les propriétaires de chiens enlèvent les excréments de leur bête, à ce que les tondeuses à gazon chôment les dimanches et jours fériés, à ce que les jeunes filles n’aient pas trop le nombril à l’air, ce qui pourrait donner lieu à scandale. Et puis, ils pourront veiller à ce les commerçants du square Jan Pallach soient enfin débarrassés des jeunes squatteurs bruyants faisant fuir les clients, car « devant la recrudescence des incivilités et des petits troubles à l’ordre qui contribuent au développement d’un sentiment diffus d’insécurité dans la population, les élus locaux se sentent désemparés », poursuit l’exposé des motifs. C’est la raison pour laquelle les bourgmestres veulent du renfort.
Cette idée n’est pas nouvelle, elle avait déjà figuré dans l’accord de coalition du gouvernement CSV/DP d’août 1999. Mais ses opposants avaient surtout critiqué le fait qu’une nouvelle police serait créée par une extension des missions des agents municipaux – le moment était mal choisi pour produire un nouvel organe de sécurité, juste après la fusion des corps de police et de gendarmerie. Avec le souci sécuritaire comme priorité absolue, le gouvernement continue sur sa lancée après avoir renforcé la surveillance par caméras sur le territoire de la capitale, augmenté les effectifs de police, notamment à cause de l’effet dissuasif de la présence sur le terrain des forces de l’ordre. Le même argument vaut pour les agents communaux qui seront chargés de « patrouilles ou de missions statiques afin d’empêcher par leur présence certaines infractions de se commettre ». Ils auront aussi le droit de demander à voir des pièces d’identité – un refus sera considéré et puni comme un acte de rébellion – ou de surveiller des immeubles pour éviter les graffitis, des actes de vandalisme ou des cambriolages. La commune de Kayl pourra donc en principe mettre fin à son contrat avec la société privée de sécurité.
Ces agents pourront également être réquisitionnés par la police pour lui prêter main forte lors de grandes manifestations comme des matchs de foot ou des concerts. Ils côtoieront à ce moment-là aussi les gros bras engagés par les entreprises privées.
Le projet de loi insiste sur le fait qu’ils doivent éviter les situations à risque, car il est hors de question qu’ils soient armés – c’est en fait ce qui les distingue de leurs collègues policiers, tout comme les uniformes différents. Or, même si les citoyens aiment la sécurité, aucun d’eux n’aime se faire tirer les oreilles et chaque réprimande peut provoquer des agressions. Dans ces situations délicates-là, les agents communaux en détresse pourront toujours appeler la police.