Milla Trausch

Loopino enchantée

d'Lëtzebuerger Land du 24.01.2014

C’est une jeune femme aux multiples facettes qui entre, enlève son gros bonnet de laine et dépose son sac sur une chaise avec une nonchalance qui donne envie. Souvent rousse, des fois brune, rarement blonde. Toujours belle, les yeux fardés style Hildegard Knef, se cachant volontiers sous une frange épaisse ou derrière une grosse maille. Muriel Trausch dite Milla, actrice, metteure en scène et pédagogue de théâtre, a l’art de la scène dans la peau. Pourtant elle dit : « Pendant longtemps, je n’ai pas compris ce que c’est que le théâtre, ce que peut le théâtre », en se roulant une de ces cigarettes toutes fines. « Maintenant je commence à entrevoir quelle force ce médium contient ». Face aux questions, Milla Trausch se dérobe, regarde de côté comme pour appeler des mots qui ne veulent pas venir. Mais elle n’abandonne pas : tout à coup, elle trouve la formulation, celle qui colle. « Le théâtre est une langue à part entière, une langue propre pour exprimer l’émotion, et l’humanité avec ses nombreuses failles ». La première fois, elle l’a senti clairement au festival d’Avignon, assise dans le public à boire les messages phrasés d’Ostermeier, Stemann ou Marthaler. « Je pense que j’ai depuis toujours été attirée par le théâtre, sans vraiment savoir pourquoi ; probablement parce que j’ai un égo gourmand et un réel besoin de communication et d’interaction. J’ai réalisé au fil du temps que l’essence de la joie procurée par le théâtre ne vient pas du fait d’être sur scène – elle se dégage du public ».

Le public de Milla Trausch est souvent composé d’enfants en ce moment. Après son passage sur les planches des théâtres de la place, par exemple avec la pièce acclamée Je suis Adolf Eichmann de Jari Juutinen (qui avait été sélectionnée pour représenter le théâtre luxembourgeois au festival Off d’Avignon en 2008), ou dans Juliette, Juliette dans le cadre du projet Femmes/Violences initié par Marja- Leenja Junker en 2013, elle s’est arrêtée depuis un moment au spectacle pour les tout-petits. D’abord pour le Traffo, programme des arts et de la scène de l’espace culturel Carré Rotondes destiné aux jeunes publics, où Milla Trausch a été une des mères du projet ID. Le spectacle annuel met en scène des pièces connues avec des adolescents, dont de nombreux élèves issus du régime préparatoire. « Je n’ai jamais cherché l’institution, reconnaît Milla, mais j’ai accepté ce poste avec reconnaissance. Ce travail m’a fait énormément plaisir et j’ai éprouvé une grande responsabilité face à ces jeunes, tous attachants à leur manière. C’est ce travail de pédagogue, où je suis totalement à mon aise, qui m’a permis d’acquérir l’envie et le courage d’aller voir plus loin artistiquement ».

C’est ce que Milla Trausch fait depuis l’année dernière, ayant quitté l’équipe du Traffo et mettant de côté ses doutes (« le doute est mon meilleur ami, ce n’est pas un secret ») pour foncer vers un avenir d’indépendante, prometteur mais inconnu… ou peut-être pas tout à fait. Il y a déjà la Philharmonie et son cycle pour jeunes enfants, dont les spectacles-concerts se jouent à guichets fermés avec Milla en Loopino de la saison 2013/2014 et Ela Baumann en soutien à la conception et à la mise en scène. La recette est unique, invitant des enfants de trois à cinq ans à découvrir la musique classique et autres notes baroques jouées par des musiciens professionnels, souvent ceux qui sont de passage à Luxembourg pour leurs « vrais » concerts. Il y a aussi le projet avec l’Agora Theater de St.Vith, dans lequel Milla Trausch fait une assistance à la régie. « C’est une compagnie que j’adore, qui travaille avec la méthodologie du théâtre autobiographique. J’ai le sentiment d’avoir accosté quelque part, après avoir flotté d’une rive à l’autre pendant des années, même si je n’arrive pas encore vraiment à saisir de quoi est fait ce nouveau rivage », murmure-t-elle en tirant sur ses longues mèches avec des ongles couleur orange. « Mais je commence à accepter que le voyage ne sera jamais vraiment terminé ». Il la mènera peut-être vers une continuation de ses études théâtrales ou, projet par projet, vers le théâtre musical, une combination qui la passionne. Une de ses figures de proue, Dan Tanson, comédien, conteur, n’a pas fini de l’inspirer. « C’est ce genre de personnes qui font que je me sente à l’aise au grand-duché. Je me suis demandé pendant des années si je pouvais arriver un jour à trouver ma place dans le petit monde des arts luxembourgeois. Depuis que j’ai le courage de faire confiance à mon intuition, je suis plus confiante ». La suite sera, au moins, inattendue.

Béatrice Dissi
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