Adolescence

De Lëmmelsalter

d'Lëtzebuerger Land du 11.06.2009

« Un adolescent, c’est un peu comme un aveugle qui se meut dans un milieu dont les dimensions ont changé. » Cette citation d’un collègue français a permis au médecin psychanalyste français Alain Braconnier de résumer les fondements des difficultés rencontrées par les jeunes âgés de douze à 19 ans. Il s’adressait à un public de professionnels du secteur psycho-socio-éducatif, d’enseignants et de parents lors d’une conférence mercredi, organisée par le CPOS, le Centre de psychologie et d’orientation scolaires.

Pour illustrer les différences de comportements des jeunes, il reprend des observations scientifiques réalisées pendant la prise de repas en famille pour en déduire que le langage du corps prend une place essentielle dans la communication du jeune, qui a de plus en plus de difficultés à s’exprimer verbalement. Au départ, vers douze ans, les adolescents commencent à parler beaucoup moins qu’avant. Plus tard, ils manifestent leur opposition en faisant des moues. Ensuite, vers quatorze, quinze ans, ils essaient de prendre leurs repas à part pour ne pas devoir entrer en communication. Pendant toute cette période, le corps, le regard des autres et le regard sur les autres se transforment et « tout ce qui est de l’ordre du corps a du sens » : la manière dont ils s’habillent, dont ils se coiffent (ou ne se coiffent pas), leur hygiène. Pour un adulte, le défi est de décrypter ces messages et ces actes, faute d’explications orales.

Au niveau du comportement, le corps peut par exemple être utilisé pour exprimer son mal-être par des troubles alimentaires ou des actes à risque comme l’utilisation de drogues et l’aspect le plus inquiétant : les tentatives de suicide où le corps est utilisé comme un outil, parfois d’appel ou même de chantage. Le jeune peut aussi se réaliser de manière plus positive par des activités artistiques comme la musique, le théâtre ou le sport – qui sont à cet âge-là bien plus que de simples activités de loisir, mais qui permettent de se réaliser, d’entrer en compétition, de rivaliser et d’être avec les autres. Le décodage de tous ces actes n’est certes pas facile, maintient le psychanalyste, mais il est d’une importance primordiale. 

C’est pourquoi les sociétés dites primitives se servaient de rites d’initiation qui marquent le passage de l’enfance à l’âge adulte, précise Alain Braconnier. Aujourd’hui, le dernier vestige en est le passage du permis de conduire, ajoute-t-il un peu provocateur. C’est là où l’adulte accompagne le jeune et l’aide à se préparer pour devenir lui-même acteur et finalement devenir capable de conduire ses parents. 

L’adolescence, c’est l’âge des premières fois et c’est aussi le moment de l’existence où tout devient possible et où tout se passe dans l’actuel – c’est pourquoi les adultes peuvent mieux se souvenir des moments de l’enfance que de leur adolescence. «  Il faut que ça s’exerce, ça se ressente, se mette en action et que ça se pense, insiste Alain Braconnier, ce qui n’est pas aussi simple que ça. » C’est selon lui la troisième caractéristique de l’adolescent : il prend conscience de ce qui se passe, de ce qui lui arrive. Mais il ne réussit pas toujours à l’exprimer par les mots. 

Le psychanalyste en déduit quatre problématiques. D’abord, le changement et la résistance au changement. Un autre paradoxe est le désir d’autonomie et la dépendance des parents – le besoin de limites aussi de la part de leurs parents, quitte à devoir encaisser les pires scènes et provocations. « À cette période, c’est ce dont on a le plus besoin qui vous menace le plus », ajoute Alain Braconnier, ce qui signifie que l’adolescent a besoin d’aide, de soutien, d’être accompagné, tout en étant obligé de se démarquer, de prendre ses distances. Et de conseiller aux professionnels de ne jamais dire du mal des parents d’un jeune, quoi qu’ils aient fait, tout simplement parce que « les adolescents aiment leurs parents, mais ils montrent le contraire. Il faut comprendre ce mécanisme, sinon on fait des erreurs. » C’est pareil pour le parent qui dit du mal de l’autre.

Ensuite, le paradoxe entre l’idéalité et la réalité. Les adolescents ont besoin d’idoles et de figures d’identification, mais en même temps, ils cherchent l’authenticité. C’est aussi pourquoi un enseignant par exemple, ne doit pas se déguiser en adolescent, « il faut être ce qu’on est ». C’est aussi le moment où des ordres ou des interdictions doivent être fondés et expliqués.

Tout cela coûte énormément d’énergie pour ceux qui sont confrontés à des crises, des scènes, au chantage et à des provocations. Mais, en citant le pédiatre et psychanalyste britannique Donald Winnicot, « grandir est un acte agressif », Alain Braconnier souligne qu’il est essentiel « d’accompagner cette tentative de grandir » et de ne pas s’effondrer face aux attaques des adolescents. Car, en terminant sur une note positive, même si les médias relèvent surtout ce qui va mal – les craintes des jeunes, la violence, le sida, la drogue – la plupart s’en sortent bien. « L’adolescence c’est un moment, ce n’est pas un destin », maintient-il en se référant ensuite aux résultats d’un sondage sur l’image qu’ont les adolescents d’eux-mêmes et celle que s’en font leurs parents. 70 pour cent des adolescents disent qu’ils sont satisfaits de leur vie, alors que seulement 27 pour cent des parents pensent que cette phrase s’applique à leurs jeunes. Tout est une question d’image.

anne heniqui
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