Le jeune député-paysan, Luc Emering (DP), veut lutter contre « les jaloux ». Un portrait

« Dat Normaalst »

Luc Emering (DP)
Photo: Olivier Halmes
d'Lëtzebuerger Land du 06.09.2024

Ses collègues et concurrents politiques le décrivent comme « ambitieux », comme « sûr de lui », voire « trop sûr de lui ». D’autres soulignent ses positionnements clairs. « Il n’est pas de cette sorte de politiciens qui veulent seulement plaire avec des déclarations conformistes », dit Gusty Graas. Comme elle-même, il pourrait être caractérisé d’« électron libre », estime Barbara Agostino. (Un terme qu’elle entend « dans un sens entièrement positif. ») Le député néophyte Luc Emering (DP) nous reçoit ce mardi à la ferme familiale, sur les hauteurs de Sprinkange (Dippach). Au-delà des poulaillers, champs et forêts, on aperçoit la cheminée de l’usine de verre à Bascharage. La gare de Schouweiler se trouve, elle, à dix minutes à pied. (Le trajet en train vers Luxembourg-Ville prend seize minutes.) C’est le Sud chic et rural, coincé entre un Minett post-industriel et une capitale dominée par la finance. Aux élections législatives, Luc Emering y a fait le plein en termes de voix. Ses scores dans les communes nanties (et très luxembourgeoises) de Kehlen, Reckange-sur-Mess ou Garnich, sans oublier sa commune natale de Dippach, où il venait de succéder à Max Hahn comme échevin, lui ont permis de se classer quatrième sur la liste DP de la circo Sud. À 28 ans, Luc Emering entre par la grande porte dans la Chambre des députés, et ceci au premier coup d’essai. Dans les semaines qui ont suivi son exploit électoral, il dira avoir été initialement réticent à l’idée de se porter candidat, et qu’il avait fallu une entrevue et plusieurs appels téléphoniques de Xavier Bettel pour le convaincre.

Luc Emering est un libéral de droite (wirtschaftsliberal, en allemand) qui s’assume. Il est au diapason avec la nouvelle majorité de Luc Frieden qu’il désigne comme « onse Premierminister ». Gouverner à deux serait « plus simple » qu’à trois, déclarait-il la semaine dernière sur Radio 100,7. Sans sentimentalisme, le DP a fermé le chapitre de la coalition sociale-libérale, pour se mettre au service de la coalition la plus business-friendly depuis Joseph Bech. Le jeune député a intégré les vieux mots d’ordre patronaux. Dans une vidéo postée sur Facebook quelques jours avant les législatives, il s’en prenait aux fraîchement diplômés « déi wëllen dem Patronat erklären, wéi ee Betrib fonctionéiert ». La promesse socialiste d’une réduction du temps de travail l’aurait « énormément énervé », se rappelle-t-il. « Dat reegt mech och haut nach op ». C’est que toutes les personnes travaillant à sa ferme voudraient « travailler plus ». Certains, dit-il, auraient même demandé de venir les samedi et dimanche « de manière bénévole ». Plus tard dans l’interview, il précise que sur les huit personnes travaillant à la ferme, quatre sont des membres de la famille, à savoir son père, sa sœur ainsi que sa tante et son oncle.

Marc Emering, le père de Luc, a fait preuve de beaucoup de flair, et d’une certaine tolérance au risque. Sa conversion au bio, il la fait dès 2000 ; huit ans plus tard, il décide d’abandonner l’exploitation laitière. Il est le premier au Luxembourg à se lancer dans la production bio de poulets et d’œufs, créant une nouvelle niche. En 2013, les Emering lancent une fabrique artisanale de nouilles, transformant la matière première directement sur place. Aujourd’hui, l’exploitation agricole engraisse 20 000 poulets par an, tient 6 000 poules pondeuses et produit entre 150 et 200 tonnes de pâtes par an. Le dernier projet en date : Sur les trois hectares entourant les poulaillers, Luc Emering fait installer des panneaux solaires en-dessous desquels les poules pourront courir.

Emering a passé sa Première au Lycée Michel Rodange, avant d’étudier l’agronomie à la TH Bingen. Mais il estime avoir « plus appris chez les Jongbaueren que dans n’importe quelle école ou université ». Avec un millier de membres, l’Asbl est un étrange mélange entre lobby et club des jeunes. En assumer la présidence confère une belle visibilité médiatique. Trois de ses ex-présidents récents viennent ainsi d’accéder à des mandats nationaux. Luc Emering et Jeff Boonen (CSV) ont décroché des sièges au Krautmaart, tandis que Christian Hahn vient de prendre la tête de la Chambre d’Agriculture, évinçant les anciens bonzes de la Centrale paysanne. Durant sa présidence (novembre 2020 à juillet 2023), Emering avait réussi à mobiliser la base, notamment via l’« Aktioun roude Stiwwel » : Le long des routes, les jeunes paysans avaient installé 400 croix vertes avec des bottes rouges retournées, en signe de protestation contre la loi agraire du ministre socialiste, Claude Haagen.

Luc Emering a beau avoir grandi dans une ferme bio, qu’il a reprise à l’automne 2022, cela ne l’empêche pas d’adopter certains clichés anti-vert actuellement en vogue. Face au Wort, il se disait ainsi solidaire des actions de blocage des paysans allemands, qu’il opposait aux « Klimakleber », ces « junge Menschen die noch nicht mal ein Jahr in ihrem Leben gearbeitet haben und arbeitende Menschen auf dem Weg zur Arbeit blockieren. » À la tribune de la Chambre, il plaide régulièrement pour une plus grande « ouverture d’esprit » en matière de protection de l’environnement. Encore la semaine dernière, sur Radio 100,7, il a fustigé les « conditions, directives et idéologies » qui pousseraient les « grands groupes » à délocaliser leur production en-dehors de l’Europe. Ce ne serait pas à la politique de « dicter » aux gens « wéi si ze liewen hunn, wéi si ze schaffen hunn », expliquait-il. Et d’ajouter : « C’est ce que certains partis ont fait ces dernières années, et c’est ce que nous voulons changer ». Le libéral a-t-il cédé à la tentation, facile, du green bashing ? « Cette phrase ne visait pas directement Déi Gréng », dit Emering. « Mee wann Dir dat sou raushéiert… »

La protection du climat, des eaux et de la biodiversité l’aurait toujours « énormément intéressé » et serait « vraiment importante », assure-t-il. En tant que président des Jongbaueren, ses relations avec les deux ministres vertes de l’Environnement Carole Dieschbourg et Joëlle Welfring auraient été « immens gutt ». Sa rancune provient d’ailleurs : « Ce que je reproche aux Verts, c’est qu’ils ont donné du pouvoir à des gens qui ont pu laisser libre cours à leurs jalousies... Vill Leit kënnen et engem Bauer net vergonnen, datt en eppes an der Gréngzon dierf bauen. » Avec son reproche de « jalousie », Emering vise directement les fonctionnaires du service « Autorisations » à l’Administration de la nature. Au détour d’une phrase, il glisse en avoir personnellement fait l’expérience. Avant son entrée à la Chambre, il a soumis une demande de construction en zone verte, qui n’a pas reçu d’accord jusqu’à ce jour. « Mee ech schwätzen net fir mech », assure-t-il aussitôt.

Le problème serait général : Les refus seraient mal argumentés, voire arbitraires, s’indigne Emering. « Et gëtt net een zerwéiert wéi deen aneren. D’Leit ginn ze vill fir blöd gehalen » ; les jeunes agriculteurs auraient « wierklech, wierklech d’Flemm ». Or, ce discours victimisant est relativisé par le nouveau ministre de l’Environnement, Serge Wilmes (CSV). Dans sa réponse à une question parlementaire posée par Luc Emering et André Bauler, il explique que seulement cinq pour cent des demandes de construction en zone verte ont été refusées depuis 2018. (Une statistique qui inclut également les demandes pour des routes et les réseaux d’énergie.) Le sujet se trouve parmi les principales priorités politiques d’Emering. À l’une de ses premières réunions de la commission de l’Environnement, il a ainsi revendiqué que le ministre signe de nouveau lui-même les accords et les refus de construction en zone verte. Serge Wilmes semble avoir cédé aux pressions du secteur : de nombreuses décisions (mais pas toutes) portent désormais la signature ministérielle.

Pour la rentrée parlementaire, Emering va changer de siège au Krautmaart. Il prendra place entre l’ex-ministre socialiste Claude Haagen et la députée libérale Barbara Agostino. Celle-ci s’en réjouit d’avance : « Dat gëtt ganz funny ». Les deux viennent pourtant d’avoir un désaccord, dont ils ont discuté au cours d’un déjeuner. Fin juillet, Luc Emering a partagé sur Facebook son avis sur la pétition demandant d’« exclure les thématiques LGBT de l’éducation des mineurs ». Tout en défendant « eng ganzheetlech Opklärungsaarbecht », le jeune libéral trébuchait sur le vieux paradoxe de la tolérance. Il se demande s’il ne faudrait pas également se montrer tolérant envers ceux qui n’acceptent pas que leurs enfants soient confrontés à « ce sujet ». Quant aux enfants, ont-ils vraiment le choix de participer ou non aux lectures de la drag artist « Tatta Tom » ? Et de conclure par une analogie quelque peu bancale : « Et ass dach awer e bëssen esou wéi wa mer géife soen, et dierf all Schüler Mëttes an der Cantine iesse wat ee wëll, mee mir bidde just ee vegane Menu un… »

La publication Facebook provoqua un mini-shitstorm estival. Au bout de deux jours, Emering en a restreint l’audience, faisant passer le post de « public » à « amis ». Face au Land, il réitère sa position. Il ne faudrait pas stigmatiser l’ensemble des signataires de la pétition comme « domm, rietsradikal an homophob ». Les sujets LGBTQ devraient certes être abordés à l’école, mais par des enseignants et non pas par des externes ; il faudrait trouver « ee softe Wee ». Une position qui paraît tiède pour un libéral en 2024. Mais le milieu paysan, dont Emering est issu et qu’il prétend représenter, reste empreint d’un certain conservatisme. La Lëtzebuerger Landjugend a Jongbaueren reste ainsi proche de l’Église. Cela ne serait « pas une mauvais chose en soi », estime Emering, la présence d’un aumônier aiderait par exemple « datt d’Gemidder roueg bleiwen ».

Luc Emering avait été recruté au DP par Max Hahn, en amont des communales de 2017. « Je dois admettre que si Max avait été au CSV, je serais allé au CSV », dit-il aujourd’hui. Son style politique reste marqué par la politique communale, c’est-à-dire par la proximité et son corollaire, le clientélisme. (Emering s’affiche d’ailleurs comme un fervent partisan des doubles mandats.) De nombreux « Beruffskolleegen » le contacteraient en cas de problème. Le « rôle de base » d’un député consisterait à aider les entreprises et les personnes privées, disait Emering la semaine dernière sur Radio 100,7. Que faut-il entendre concrètement par-là ? Il pourrait par exemple toucher un mot aux fonctionnaires après les commissions parlementaires, répond Emering, notamment lorsque des administrés ne réussissent pas à décrocher un rendez-vous. « Ech kann an der Stad soen : Hei ass d’Mailadress – kuckt dat eppes geschitt. » Ce serait « dat Normaalst vum Normaalsten ».

Note de bas de page

Bernard Thomas
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