Atelier Van Lieshout dans l’espace public : une confrontation lisible et adéquate avec l’époque qui pose question à l’échelle urbaine

L’utopie réaliste

d'Lëtzebuerger Land du 10.11.2023

Le parcours de sculptures dans l’espace public Art Walk dans le cadre de la Luxembourg Art Week à Atelier Van Lieshout. L’ensemble de six œuvres, appelé Rebellion, a trouvé un écho favorable auprès des administrations – la Ville de Luxembourg, l’Administration des bâtiments publics et l’évêché, en charge des différents sites, certains plus connus que d’autres (une carte les situant est disponible sur luxembourgartweek.lu).

L’environnement boisé du Centre Jean XXIII, qui accueille Waterwagon, excentré et en pleine nature, a justement été choisi pour ces caractéristiques par Joep Van Lieshout. Sculpteur néerlandais, né en 1963, il a créé Atelier Van Lieshout en 1995. Ce nom de petite entreprise, est une déclaration d’intention à l’encontre du créateur solitaire et génial – on dit aujourd’hui star. Trente années de créations, entre art, design et architecture, utopies revendiquées. Ainsi, avec AVL-City en (2001), Atelier Van Lieshout met en place une enclave d’État libre dans le port de Rotterdam, dont la charte reposait sur un minimum de règles, un maximum de libertés et la plus grande autarcie possible. L’antithèse fut Slave City (2005-2008), présentée pour la première fois au Folkwang Museum, où le rêve de communauté égalitaire vire au système autoritaire.

Waterwagon en représente un des éléments. Des êtres humains esclaves tirent la citerne nécessaire en approvisionnement d’eau, puisque la machine étant bannie Dans Slave City, ils n’ont que leur bras comme moyen de traction. Tout système parfait est voué à l’impasse et il semblerait que l’humanité soit arrivée à la fin d’un cycle « contre-nature ». La citerne d’eau Waterwagon avec ses charroyeurs prend dès lors la signification écologique bien réelle d’un futur proche où l’eau sera un bien précieux, objet de trafics et de guerres.

Positionner Last Supper (2020) sur le parvis de la cathédrale de Luxembourg, c’est annoncer le sacrifice et la mort. Au-delà de l’expression formelle neutre du Christ et des apôtres sous forme de corps abstraits, surgit immédiatement à l’esprit La Cène de Léonard de Vinci. Atelier Van Lieshout inscrit ici sans ambiguïté la symbolique biblique dans l’évolution des arts plastiques contemporains : Last Supper peut être un tableau 3D géant, avec son encadrement des figures du dernier repas ou un sanctuaire portatif de procession, sujet de suppliques et de quête de grâce.

Le blanc de ces deux œuvres nous semble le garant d’une attitude de neutralité par rapport à ces lieux consacrés et plutôt une expression activiste, vu la fin programmée de la vie terrestre au stade des problématiques environnementales et écologiques actuelles. Franchi le Pont Adolphe, on passe à la couleur patinée vert-de-gris traditionnelle du cuivre et à la sculpture sur socle (ici en béton banché). L’œuvre en trois parties, qui s’appelle The Monument reprend – ou imite – en effet l’art monumental traditionnel mais son sujet, au lieu de glorifier tel héros à cheval qui a remporté une victoire par la bravoure de ses troupes sous son commandement, représente les horreurs de la torture et les victimes de la guerre (The Equestrian, Mother with Child, Old Man).

C’est difficilement soutenable dans la situation actuelle des guerres à l’est de l’Europe et au Proche-Orient. La cruauté des rapports entre les peuples vous saute à la figure. Si l’actualité mondiale tragique a été plus vite que le choix du lieu d’installation de Joep Van Lieshout, le placement devant l’architecture de château néo-gothisant de la Caisse d’Epargne, The Monument est donc aussi un pied-de-nez à la stabilité du Luxembourg moderne.

Volvo est une vraie automobile réduite en miettes en 2020 par la Drop Hammer House d’Atelier Van Lieshout. Érigée en sculpture verticale, voici un des symboles phalliques favoris des Luxembourgeois et des accessoires de luxe des Luxembourgeoises. L’objet de consommation est écrasé mécaniquement dans une casse de voitures une fois passé de mode. On pourrait résumer en quelques mots le passage visionnaire à la réalité dans le travail d’Atelier Van Lieshout devant le tramway qui passe en arrière-plan : le grand recyclage des habitudes est en marche.

Dans la lutte entre la baleine The Wale et le capitaine Achab (Moby Dick, Hermann Melville, 1851), le héros fatigué trouve refuge comme Jonas dans le ventre du cétacé devant le Musée Dräi Eechelen, qui retrace l’histoire militaire de et du Luxembourg. Longtemps créateur de polémiques tant au sens formel que du contenu politique, l’évolution de l’expression plastique de la sculpture, dans des situations urbaines adéquates fait que le sens des oeuvres d’Atelier Van Lieshout est compréhensible par tous.

Mais au vu de la disproportion d’échelle entre la Place de Metz et The Monument, du Rond-Point Schuman avec Volvo, ce qui frappe, c’est l’inadéquation et le manque de sens de ces non-lieux. Bien qu’ils jouent du fait de leur fonction (place, carrefour), le rôle de coulisse pour les œuvres, ils apparaissent comme des friches urbaines à repenser d’urgence.

The Rebellion by Atelier Van Lieshout, est à voir dans l’espace public de Luxembourg jusqu’au 23 novembre

Marianne Brausch
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