Revoir son éducation

d'Lëtzebuerger Land du 17.07.2020

C’est mon amie institutrice qui me l’a fait remarquer, alors que je venais de reprendre mon enfant, avec une de ces phrases si caractéristiques des mamans un peu pénibles dites souvent par automatisme, de ce ton trop moralisateur que j’essaie pourtant si fort de ne pas adopter. J’étais donc au beau milieu d’un parc, en train de sermonner mon fils, tout en haut du toboggan, lui criant de ne pas le remonter à l’envers, lorsque celui-ci, feignant de ne pas m’entendre, m’a hurlé en retour un « Quoiiiiiii ? » plein d’indifférence, voire d’insolence. Un « quoi » auquel j’ai répliqué – et nous y sommes – par ce sempiternel « On ne dit pas quoi, on dit pardon » de maman bien gavante.

C’est en retournant auprès de mon Aperol Spritz et de mon amie que cette dernière m’a demandé, de son ton de maîtresse d’école bien gavant lui aussi : « Pourquoi pardon ? Pourquoi lui demander de s’excuser sous prétexte qu’il ne t’a pas entendu ? ». Ah ben oui, vu comme ça… Mince alors. C’est vrai ça, le pardon c’est pour se repentir d’une grosse bêtise, pour dire les regrets, pour demander la rémission d’une faute. Et voilà. Trois ans que je lui demande dire « pardon » pour rien. Trois ans d’éducation à refaire. Et ce n’est pas faute d’avoir lu et relu « Les cinq piliers de l’éducation positive » et le très prometteur « Cools parents make happy kids » pendant ma grossesse. Imaginez donc ma culpabilité de faire ainsi culpabiliser mon enfant pour rien, culpabilité renforcée par l’arrivée de notre seconde tournée de boissons orangées à table, à l’heure où le soleil était selon moi encore un peu trop haut dans le ciel pour ça.

Bref, cette phrase m’a travaillée. Parce que si l’on y réfléchit, force est de constater que « pardon » est davantage devenu un tic langagier qu’une sincère forme de regret. Des excuses, on en distribue à tire-larigot. « Excusez-moi de vous déranger » quand on veut parler à quelqu’un au téléphone, « Excusez-moi est-ce que je pourrais commander » quand on est au restaurant, « pardon » mais je n’ai que ma carte pour payer, « pardon » je suis trop fatiguée pour sortir ce soir, « désolée » mais je voudrais poser des congés et j’en passe... Ces situations justifient-elles l’usage d’excuses ? Non. La majeure partie du temps, très peu de circonstances réelles ne requièrent le besoin d’être pardonné. Parmi ces emplois excessifs du pardon, on distinguera ainsi l’excuse réfléchie, destinée à anticiper un éventuel mécontentement, l’excuse qui impose un état de fait, qui ne se discute pas, l’excuse sarcastique qui n’excuse en réalité rien du tout et qui aurait plutôt tendance à jeter de l’huile sur le feu…

Et puis finalement, tout en bout de course, les véritables excuses. Les seules qui devraient être. Celles que l’on exprime du fond du cœur, quand on a pris conscience d’avoir réellement blessé quelqu’un. Celles que l’on dit parce qu’on ne peut rien effacer mais qu’on voudrait consoler. Celles que l’on formule parce qu’on réalise les conséquences de nos actes sur les sentiments de l’autre, et que l’autre nous importe. Celles qui sont destinées à apaiser et aussi un peu à nous soulager. Celles qui se finissent par une accolade rassurante ou par un câlin torride. Celles qui sont belles parce qu’elles sont rares, élégantes et fondées. Ces vraies excuses qui ne sont pas synonymes de faiblesse, mais qui prouvent que l’on valorise davantage l’autre que notre ego. J’en ai conclu que c’était plutôt cet usage-là du pardon que j’avais envie d’inculquer à mon fils.

Depuis cet épisode du parc, je lui ai donc expliqué qu’on allait garder ce joli mot pour de vraies occasions. Et j’en ai profité pour revoir mes principes d’éducation. S’il ne dira désormais plus « Quoiii ? », mais « Comment ? », il pourra aussi remonter le toboggan à l’envers cet été, au grand dam de toutes ces mamans qui vont râler. Car moi j’ai décidé qu’il était temps d’arrêter de me, et de le, gaver. Parce que remonter le toboggan à l’envers, c’est comme boire des Spritz avant l’heure autorisée : ça fait du bien et basta. Alors stop à la culpabilité quotidienne et inutile qu’on s’impose tous, stop aux pardons qui ne veulent rien dire, aux règles toutes faites et à tous ces principes de vie sortis de je ne sais où que l’on ne remet jamais en question. Après tout, c’est les vacances, et peu importe les menaces qui planent sur cet été, moi, désolée, mais j’ai vraiment décidé d’en profiter.

Salomé Jeko
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