Le développement du prêt-à-porter luxembourgeois

Des pieds à la tête

d'Lëtzebuerger Land du 14.12.2018

Un babyfoot Hermès trône au beau milieu d’un couloir et nargue les passants. Dans une pièce adjacente, des photographies d’Edward Steichen sont accrochées aux murs et font face à des chaises design et à des céramiques. Plus loin, une marionnette, des sculptures, des bijoux et autres créations hautement esthétiques qui se mélangent et forment un tout foutraque et étonnamment cohérent. Au 19 avenue de la Liberté, l’exposition De mains de maîtres bat son plein. Au beau milieu d’une salle est exposée une élégante robe rouge signée Ezri Kahn, à gauche une robe plus excentrique signée Jennifer Lopes Santos et à droite, un costume signé Caroline Koener. Là-bas encore, des chapeaux confectionnés par Sandy Kahlich. En observant ces vêtements, on pense à leurs créatrices et créateurs originaires du Luxembourg. Puis on vient à se demander à quel point le vêtement, en tant que tel, a son importance dans le pays.

On pense à Eva Ferranti et à ses costumes sur mesure, puis à Modes Nita et à ses chapeaux que l’on s’arrache chaque veille de Te Deum de la fête nationale. On pense encore aux artisanes et artisans du textile qui en vivent, plus ou moins, mais souvent moins, et on ne peut que leur rendre hommage. À côté de tous ceux-là, on trouve finalement des entrepreneuses et entrepreneurs qui ont décidé de se lancer dans l’ambitieuse aventure du prêt-à-porter luxembourgeois. Des pieds à la tête, des chaussures aux bonnets, des chaussettes aux casquettes, il est tout à fait possible de s’habiller luxembourgeois. Du vêtement haut de gamme féminin aux bonnets tricotés à la main, en passant par le streetwear puis par des chaussettes naturelles et chaussures véganes, le Grand-Duché offre des initiatives et à défaut de pouvoir être totalement exhaustif, il convient d’en faire un rapide tour d’horizon.

Il y a quelques années de ça à Sennigerberg, des showrooms étaient organisés dans le garage d’une maison familiale. Des rideaux, un tapis et du crémant, de quoi mettre à l’aise les premières clientes d’Yileste. Depuis, Yileste, c’est une boutique, côte d’Eich en plein centre-ville, mais surtout la première véritable marque de prêt-à-porter féminin designed in Luxembourg. Stéphanie Comes, la fondatrice, part chaque année à la recherche de nouveaux tissus, de nouvelles matières dont elle s’inspire et avec lesquelles elle confectionne deux collections annuelles. Le tissu est souvent italien, et les produits sont fabriqués principalement en Estonie ou en Lituanie. Les pièces sont plutôt chics, flexibles et Stéphanie Comes insiste sur ce point, intemporelles. De mauvaises expériences avec des revendeurs, notamment en France et en Belgique l’ont confortée dans l’idée de ne pas trop se dissiper et ses produits s’achètent donc en boutique ou bien en-ligne. Cette boutique justement, au style scandinave, est un concon. Aux murs, sont accrochées de manière temporaire de jolies photographies sur verre du duo Lanterne Magique, comprendre
Séverine Peiffer et Joël Nepper.

Depuis cette année, chez Yileste on trouve aussi des bonnets tricotés signés Hootli. Hootli c’est un peu la success story des accessoires de mode, totalement made in Luxembourg. Nicole Hansen a fondé l’entreprise en 2012 et ses produits faits main, via des collaboratrices freelances se sont exportés jusqu’en Corée. Plus loin au centre-ville, deux devantures, le nom de l’enseigne, Vol(t)age. Fondée par les sœurs Claudie et Stéphanie Grisius, la jeune entreprise de prêt-à-porter est arrivée comme un pavé dans une mare à grands coups de promotion et d’ouvertures de boutiques. Les collections proposées sont là encore chics mais plus décontractées, avec des hauts à message et une gamme de foulards fabriquées au grand-duché et qui ont obtenu à ce titre le label made in Luxembourg. Depuis 1984, ce label sert à identifier l’origine luxembourgeoise de produits et services proposés par les artisans, créateurs et entrepreneurs locaux. Dans le cas d’Yileste, ce ne sont pas les produits vendus qui l’ont obtenu mais le service proposé de conception et de design de prêt-à-porter. D’ailleurs sur la devanture de la boutique, l’inscription « designed in Luxembourg » est mise en avant, une formulation qui de fait n’est pas reconnue. Cette différence d’approche peut être questionnée.

Côte d’Eich encore, on trouve The Modu Shop, qui propose ces temps-ci des créations de deux jeunes entreprises luxembourgeoises qui font plutôt la paire. D’un côté, les chaussettes naturelles de Natural Vibes et de l’autre, les chaussures véganes de Blanlac. Guillermo et sa compagne Burcu
Onzeli ont acquis par la force des choses une certaine expérience dans l’industrie de la chaussette. Bien intégrés au Luxembourg, ils ont fondé cette entreprise qui privilégie le respect de l’environnement via des chaussettes colorées, design, fabriquées en Turquie et qui semblent particulièrement intéresser le marché allemand, friand de textiles naturels. Lydia Leu-Sarritzu a quant à elle lancé en avril dernier la marque Blanlac, de belles chaussures en cuir végan confectionnées artisanalement en Italie. Elle est finalement la première à proposer ce crédo du ethically in style, et a déjà prévu de renverser une partie des bénéfices engrangés pour la protection des animaux, un cercle vertueux donc. On ne parle pas seulement de business plan et de revenus, mais bien de redistribution et on ne peut que se féliciter de voir de telles initiatives fleurir au Grand-Duché. Un stand Blanlac est à retrouver demain et dimanche au Mudam dans le cadre du Marché des créateurs.

Une dernière catégorie de vêtements est évidemment à prendre en compte, le streetwear, qui, depuis quelques années, a dépassé son cadre de niche et s’est totalement popularisé. Le streetwear est devenu presque malgré lui tendance, son coût de fabrication reste peu élevé, encore faut-il avoir les bonnes idées. Le Rebounce Shop, avenue de la Gare, est un temple en la matière. On y trouve de nombreuses marques spécialisées et un mur entier de casquettes snapback. C’est Rui Miroto qui a ouvert la boutique il y’a presque dix ans de ça. Après avoir imprimé une série de t-shirts pour promouvoir l’enseigne, les retours positifs l’ont poussé à développer toute une marque à l’imagerie reconnaissable, notamment autour du ReboSkul, une tête de mort imaginée par l’artiste tatoueur Ziggy. La marque dure et certaines pièces antérieures se revendent aujourd’hui jusqu’à sept fois leur prix initial.

Charel Modert, Chris Molitor et Lou Consbruck ont quant à eux fondé Sentinel City, originairement une marque fictive lorsqu’ils étaient encore étudiants. Les premières ventes se font à la sortie de concerts de métal. Les retours étant bons, ils décident alors de créer une sàrl. afin d’assurer une présence en boutique à leurs produits et de professionnaliser le tout. Ils empruntent ainsi les 12 000 euros nécessaires à l’époque aux parents. Depuis, la marque a fait son chemin. Aujourd’hui encore, Charel Modert, en envoyant des colis, reste étonné en s’apercevant qu’il ne connait pas les destinataires. Preuve que son projet ne plaît plus qu’aux amis et connaissances, mais bien à des amateurs du genre.

Est-ce que le Luxembourg en tant que tel fait vendre à l’étranger ? Il semblerait que non. Lors des Marchés aux créateurs et autres foires internationales, ce n’est pas encore l’origine luxembourgeoise des produits qui attire les visiteurs et revendeurs potentiels, mais comme toujours, l’originalité, la qualité et le prix. Aussi, imaginer du prêt-à-porter ou des accessoires communs sur son ordinateur, en faire fabriquer à l’étranger à la va-vite et en faire la promotion sur un compte Instagram ne suffit assurément pas à construire quelque chose de durable. Peu de prétendantes et de prétendants, pour encore moins d’élu(e)s, l’histoire du vêtement luxembourgeoise est encore à tisser.

Kévin Kroczek
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