Gestion discrétionnaire

Échange panaméenne contre OPC

d'Lëtzebuerger Land du 11.11.2010

Ce n’est un secret pour personne que les banquiers, sous l’emballage prestigieux du mandat de gestion discrétionnaire, œuvrent parfois davantage dans le cadre de la gestion collective que privée pour des clients dont la fortune se situe sous un certain seuil de fortune personnelle (500 000 euros). Outre les avantages écono-miques que les établissements retirent de cette pratique et la satis-faction personnelle que les clients, de leur côté, ont de se savoir en gestion privée, il y a aussi bien d’autres intérêts en jeu. On peut en effet se demander pourquoi passer par l’étape obligée du mandat de gestion pour souscrire un simple fonds d’investissement alors que des milliers de ces véhicules s’offrent à la souscription du public, avec de plus une liquidité assurée, dans n’importe quel guichet de banque. Pourquoi placer ses économies dans un fonds relevant de la partie II de la loi luxembourgeoise sur les OPC qui ne sont pas soumis à la retenue à la source sur les revenus des capitaux en Europe ? La réponse est là : les OPC partie II ne paient pas la retenue tandis que les fonds de la partie I, à quelques exceptions près, n’y échappent pas.

De fait, la « technique » proposant au public européen des fonds partie II uniquement dans le cadre d’un mandat de gestion discrétionnaire ne relève-t-il pas d’un ordre de souscription déguisé ? Sans doute, mais pour compliquée – et peu loyale – qu’elle soit, la pratique n’a rien d’illégal. La question est d’en connaître l’étendue et de savoir, si, à trop tirer sur la corde, le filon ne vas pas s’épuiser de lui-même. D’autant que désormais des documents montrent que cette pratique s’est relativement bien établie en Suisse et probablement aussi au Luxembourg, quelles que soient les dénégations des opérateurs financiers.

Ce n’est d’ailleurs pas tous les jours que des informations (révélées par Marianne, mais dont le Land a aussi eu connaissance) très précises filtrent, renseignant explicitement de ces pra-tiques qui permettent à des clients européens, plaçant leur argent ailleurs que dans leur pays de résidence, de contourner le précompte de vingt pour cent actuellement. Les montages que la filiale suisse de BNP Paribas a mis en place montrent bel et bien que des OPC de droit luxembourgeois, et entre autres la Sicav Luxumbrella, rele-vant de la partie II de la loi (les fonds qui ne disposent pas d’un passeport européen pour être commercialisés dans l’UE et qui sont en principe réservés à des investisseurs institutionnels et soumis à des restrictions pour pouvoir être distribués dans le public) sont utilisés pour échapper à la taxation. Et surtout, bien qu’une porte-parole de la banque contactée par le Land le conteste, qu’il s’agit d’un argument commercial assez fort pour inciter les clients, et pas seulement ceux de gros calibre, puisque les « contrats » ainsi proposés démarrent à partir d’une mise de 100 000 euros.

Il faut toutefois préciser qu’échapper à la directive sur la fiscalité de l’épargne ne signifie pas qu’aucun impôt n’est dû dans son pays d’origine. Libre d’ailleurs au client de mentionner l’existence d’avoirs détenus à l’étranger dans sa déclaration fiscale. La banque, qui n’est pas un agent au service du fisc, n’est pas tenue pour responsable d’une omission de la part du contribuable.

Comment la procédure fonctionne-t-elle concrétement ? La banque propose à son client de signer une convention patrimoniale avec un mandat de gestion discrétionnaire baptisé mandat First en Suisse et mandat Optima au Luxembourg et modulé en fonction du profil de l’investisseur et de son aversion ou non au risque. La convention signée entre le client et la banque prévoit que celle-ci agit « de sa propre initiative », sans que le client puisse passer des ordres. Il s’agit donc d’un rapport entre mandant (client) et mandataire (banque). Le mandat offre ainsi à la banque de se dégager de toute responsabilité, au cas par exemple où le client ne déclarerait pas les revenus de son épargne. La « parade » permettrait ainsi de contourner l’impossibilité de principe de promouvoir en direct au public un fonds d’investissement qui ne dispose pas du passeport européen. Ce serait bien plus économique, du point de vue des clients, que de s’acheter une société des BVI ou de s’offrir une « panaméenne ».

Reste à savoir si cette pratique est conforme à la directive rela-tive aux marchés d’instruments financiers (Mifid), qui dispose, entre autres, que le client doit être protégé de manière optimale, notamment contre lui-même? La question ne se pose pas en Suisse où cette directive n’a pas de cours légal.

Véronique Poujol
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