Photographie

Dazibao

Reza Kianpour
Photo: Sven Becker
d'Lëtzebuerger Land du 10.07.2020

À l’ère de la novlangue, où, pour être « modernes » et se couler dans le moule des demandes d’aides financières, tous les projets culturels se formulent en business plan, en break-even, en clickbait et QR-Code, Reza Kianpour fait figure d’ovni. En veste de bleu de travail (que porte la branchitude internationale en ce moment), allure décontractée, il sourit largement, comme un chenapan quand on lui demande « mais c’est qui, les partners ? » du nom de sa boîte, Kianpour & Partners. « Et ben, y’en a pas ! ». Enfin, si, il y en avait un, mais il est parti. Nous sommes dans un appartement du rez-de-chaussée d’un building de la fin du XXe comme il y en a plein au début de l’avenue Guillaume à Luxembourg-Ville. Reza y a ses bureaux où il officie donc désormais seul. À côté de l’entrée : une grosse imprimante, en face d’une table-basse design (« un prototype que j’ai créé »), des étagères pleines de livres, un bureau et une table de réunion. Il s’y est installé en indépendant en 2008, en revenant de ses études en communication visuelle et en design mobilier à Bruxelles. « C’est très dur d’être indépendant au Luxembourg », confie-t-il en souriant moins. S’établir à son propre compte était un choix qu’il a dû faire en pleine crise financière et alors que le secteur de la communication était complètement saturé. Douze ans après, le confinement et la crise économique lui portent un nouveau coup dur.

En guise de contrepoint, Reza (36 ans) se consacre désormais beaucoup à son projet éditorial. Cahier d’images est une série de petites publications papiers en format A5, seize pages, léger et ludique. Le projet remonte à 2017 et était alors conçu pour publier ses propres photos, « même souvent prises au portable » remarque-t-il. Comme tous ses confrères et consœurs graphistes, Kianpour absorbe des centaines, des milliers d’images sur les réseaux, en quête de références et d’inspirations pour son travail de graphiste – professionnellement, il met en pages des catalogues d’exposition (Casino, Rotondes…), conçoit des logos ou des identités visuelles. Mais ces images immatérielles passent souvent aussi vite qu’elles ont apparu – tout le monde connaît ce moment où son portable ou son ordinateur crashe, emportant des archives entières d’images stockées dans le trou noir de la mémoire perdue. D’où son désir de leur donner une matérialité, de les éterniser en quelque sorte sur des sorties papier, dans des booklets proche du fanzine.

Reza a commencé avec des séries de ses propres photos, publiées par associations thématiques ou esthétiques. Comme dans son travail de graphiste, il y va franchement, n’hésite pas à recadrer, à varier les formats, à procéder même par strates d’éléments superposés (on pense forcément au Livre d’images de Godard [2018], mais ce serait un peu trop lourd comme référence, encore qu’ils partagent aussi l’approche d’artisan). Après ses propres photos, Reza Kianpour demande des images à des artistes dont il apprécie le travail, qu’ils soient du Luxembourg, comme Gilles Kayser (avec une série chinoise), Sven Becker (le photographe du Land, avec essentiellement des portraits en noir et blanc) et Mike Bourscheid, qui propose ses dessins, ou à l’étranger, comme l’Égyptienne Hana Gamal, l’Argentine Milena Pazos et la Canadienne Vanessa Brown. « Ce qui m’intéresse, dit Reza, c’est de dialoguer avec leurs images. » Les artistes lui envoient une cinquantaine de photos, il en sélectionne autant que bon lui semble et imprime, « entre une vingtaine et une cinquantaine d’exemplaires par numéro », qu’il vendra dans un prochain temps chez Hans Fellner, « à un prix qui doit rester abordable, pas plus de huit euros ». Le Cahier d’images se soustrait ainsi à toute logique commerciale ou productiviste. « Ça doit être professionnel, oui, affirme Reza. Mais je veux que ça reste cool pour moi ». Et il sourit.

Le 25 juillet aura lieu, durant l’après-midi, le vernissage d’une exposition de présentation du Cahier d’images chez Fellner Louvigny, 12, rue Louvigny à Luxembourg. Plus d’informations sur le Cahier d’images sur le site kianpourandpartners.com ou sur Instagram (@cahierdimages).

josée hansen
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