Alors que le pays se prépare aux vacances, le gouvernement et le Parlement tentent de rappeler que l’insouciance et l’oubli des gestes-barrières ont comme prix une flambée du virus

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Paulette Lenert (LSAP), Xavier Bettel (DP)
Photo: Sven Becker
d'Lëtzebuerger Land du 10.07.2020

„There is no return to normal, the new ‚normal‘ will have to be constructed on the ruins of our old lives, or we will find ourselves in a new barbarism whose signs are already clearly discernible.“ Slavoj Zizek, Pandemic

Bière sans alcool S’il fallait décrire le moment bizarre que nous vivons, expliquer ses ressorts et ses contradictions, ce serait avec les événements qu’organise la Ville de Luxembourg durant l’été pour remplacer la grande Schueberfouer : pour à la fois sauver les forains de la banqueroute et les citoyens de la morosité de vacances annulées, la Ville organise des fêtes de quartier décentralisées – où la consommation d’alcool est interdite afin d’éviter que les gens oublient les gestes barrières. « Ce qui s’est passé ces deux dernières semaines au Luxembourg est très inquiétant », affirme Lydie Polfer (DP) mercredi (lors de la présentation de la saison 2020/21 des Théâtres de la Ville). « Ce qui s’est passé », ce sont 288 nouvelles infections au Covid-19 en une semaine, là où cela avait baissé à 54 nouveaux cas il y a trois semaines. Après que la réouverture des chantiers, puis des commerces et des écoles se sont relativement bien passées, c’est la fin de l’état de crise et l’impression de « retour à la normale » dans le privé, les fêtes familiales, les raves improvisées... bref, l’insouciance qui règne depuis lors dans la population qui expliquent les pics de nouvelles infections à une cinquantaine par jour. Ce vendredi après-midi, la ministre de la Santé Paulette Lenert (LSAP), va présenter le nouveau Flash-Covid, une fiche mensuelle détaillée élaborée avec le Statec et qui reprendra les données essentielles concernant l’évolution du virus au Luxembourg.

Name & shame Alors que début juin, le Luxembourg se fit couvrir d’éloges dans la presse internationale (« Comment le Luxembourg est devenu un laboratoire d’une gestion efficace du coronavirus », Le Monde du 9 juin) pour sa bonne gestion du Covid-19, combinant achat de matériel de protection, distribution de masques, secteur de santé hyper-réactif et solidaire avec la France et campagne de tests à grande échelle (un quart de million de tests effectués depuis le début de la crise), il se retrouve désormais sur la liste des pays à risques, compliquant le passage de certaines frontières intra-européennes. Si la recrudescence du virus est due à des fêtes privées ou à des cafetiers qui ne respectent pas les limitations imposées (fermeture à minuit, pas de service aux clients qui ne sont pas assis), faut-il faire du name & shame, comme le suggéra Claude Marx, le directeur de la CSSF dans un tweet le week-end ? Soit mettre au pilori ceux qui, par leur insouciance, représentent un risque pour la santé publique. La délation et la méfiance envers une catégorie socio-professionnelle, nationale ou d’âge de gens est justement ce que le gouvernement veut éviter. « Je ne veux pas vivre dans un pays de délateurs », aime à répéter Xavier Bettel.

Dentellerie S’érigeant en défenseur à la fois de la santé et des libertés publiques, le duo Bettel/Lenert a promis ce mercredi, lors d’une déclaration « à l’égard de la situation actuelle de la pandémie du Covid-19 », que le travail de traçage des contacts des malades se fera toujours de manière analogue, soit par les équipes de la Santé, chaque contact récent de chaque nouveau malade étant méticuleusement suivi, les personnes contactées, averties et isolées. À défaut d’une application fiable et qui respecte les règles de la protection des données – les premières tentatives grandeur nature dans les pays voisins furent un échec –, cette méthode fastidieuse qui ressemble au travail d’un inspecteur de police, la nécessité de rapidité en plus (selon l’expérience, une personne infectée a eu des contacts avec entre vingt et cinquante personnes), continuera donc à être appliquée. Elle est reprise dans le projet de loi
n° 7622 sur la continuation des mesures de lutte contre la pandémie que le gouvernement a déposé le 2 juillet et qui doit être adopté jeudi prochain, 16 juillet. L’article 5 de cette loi permettra entre autres d’élargir le cercle de personnes pouvant réaliser ce traçage à des fonctionnaires et employés qui ne sont pas des professionnels de santé (condition très contraignante imposée par le Conseil d’État pour la loi actuelle).

Nouvelle vague La solennité dans l’annonce d’une déclaration du gouvernement devant le Parlement faisait craindre – après les déclarations alarmistes des ministres et des chercheurs sur l’inquiétante recrudescence du virus dans la population, prouvée non seulement par les résultats des tests, mais aussi par la présence du virus dans les eaux usées sur tout le territoire du pays – un nouveau lockdown pour faire face à ce qui peut désormais être désigné comme une deuxième vague. Il n’en fut rien. En cinquante minutes d’un discours emphatique, durant lequel Xavier Bettel plia de nombreuses fois les mains devant le torse afin d’implorer les députés, et par eux leurs électeurs d’être responsables, solidaires et de prendre conscience que « la précaution reste le principe le plus important », le Premier ministre revint sur sa gestion de la crise – et s’offrit un satisfecit : « Nous avons fait le maximum ! ». Pourtant, en ce qui concerne la sortie de crise, c’est encore le pilotage à vue total : le gouvernement ignore notamment les conséquences économiques du confinement, en termes d’aides directes versées (dont le plus gros poste est le chômage partiel), mais aussi de conséquences sur l’activité économique, en termes de décroissance de l’économie, de baisse d’impôts et d’augmentation du chômage (qui s’établit désormais à un taux de sept pour cent). La déclaration sur l’état de la Nation, traditionnellement fixée au printemps, est reportée à l’automne et donnera un premier aperçu de la politique du gouvernement pour gérer la crise économique. La dernière tentative d’économies, les Spuerpak du début de Gambia I, en 2013/14, lui avait coûté sa popularité. « Nous n’allons en aucun cas arrêter d’investir », promit Bettel à la Chambre des députés. Il faut rétablir la confiance afin de stimuler la consommation et donc la croissance, martèlent les syndicats. La réforme fiscale de Pierre Gramegna (DP) est devenue l’Arlésienne de cette législature, le ministre des Finances étant pris par sa campagne électorale pour la présidence de l’Eurogroupe.

Responsabilisation La nouvelle loi, qui devra entrer en vigueur dès publication, au plus tard lors de l’expiration de l’actuelle, le 24 juillet, aura une durée de deux mois (jusqu’à fin septembre). Elle doit réintroduire ces limitations dans le privé que le Conseil d’État, allergique à toute intrusion publique dans la sphère privée, avait contestées dans le texte actuel. Le port du masque deviendra obligatoire pour tout rassemblement de plus de vingt personnes, si ces personnes ne peuvent être socialement distancées (deux mètres) et assis. Les règles pour la restauration (dix personnes par tablée ; fermeture à minuit) sont confirmées. Face à une inquiétante flambée du Covid-19 dans le monde, notamment sur les continents africain et américain, le directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus implore les gouvernements de ne « pas seulement tester. Pas seulement appliquer les mesures de distanciation physique. Pas seulement rechercher les contacts. Pas seulement porter un masque. Faites tout ! » C’est l’approche du gouvernement luxembourgeois, qui combine action publique et responsabilisation du public via des campagnes de sensibilisation et des appels à la raison.

Pas de panacée La déclaration jointe de mercredi fut aussi une occasion pour la ministre de la Santé Paulette Lenert de tirer un bilan de l’évolution du virus ces cinq derniers mois et de l’approche adoptée et toujours adaptée pour y faire face, de saluer l’engagement hors pair des professionnels de la santé, l’enthousiasme sans faille des volontaires et la solidarité dans la population. Pour la deuxième vague, dont les conséquences sur les hospitalisations arrivent toujours avec quinze jours de décalage, « on est prêts » promit la ministre : les Centres de soins avancés peuvent rapidement être redéployés, la majorité des volontaires contactés la semaine dernière ont fait part de leur disponibilité à s’engager à nouveau, l’organisation de la réserve sanitaire est prête et le matériel est là. « Personne n’a encore trouvé la panacée pour lutter contre le virus », affirma la ministre. Il se pourrait que la vraie deuxième vague arrive surtout avec la rentrée des résidents de leurs vacances estivales, en automne. D’où cet appel à la responsabilité individuelle dans le respect des gestes-barrières et de la distanciation sociale. « Il faut se souvenir du confinement et des frontières fermées d’il y a trois mois pour se rendre à l’évidence que ce que nous demandons aux gens pour revenir à la ‘quasi-normalité’, ce n’est pas la fin du monde ! ».

josée hansen
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