Les artistes de A à Z

d'Lëtzebuerger Land du 13.10.2023

Un soir de janvier 2016, Xavier Bettel, alors qu’il était ministre de la Culture, lançait au débotté et à la surprise générale, l’idée de créer une « Galerie nationale d’art luxembourgeois ». Entre soulagement des artistes du cru qui trouvent difficilement leur place dans les institutions et craintes de « ghettoïsation » de ceux qui tutoient la scène internationale, les réactions furent vives. En l’état, le projet a fait long feu. Mais il a accouché de deux bébés dont la gestation fut longue et qui viennent de voir le jour : le Lëtzebuerger Konschtarchiv et le Lëtzebuerger Konschtlexikon, tous deux chapeautés par le Musée national d’archéologie, d’histoire et d’art (MNAHA).

En décembre 2021, le Lëtzebuerger Konschtarchiv était institué par règlement grand-ducal. Jamie Armstrong était nommée responsable quelques mois plus tard. Le but de ce centre de recherche est de rassembler, conserver, analyser et valoriser les archives et documents qui concernent les artistes luxembourgeois. Force est de constater en effet que les sources et documents sur les artistes luxembourgeois sont rares, dispersés et méconnus. La recherche scientifique, la connaissance du patrimoine et plus globalement de l’histoire de l’art devraient largement bénéficier de ces nouvelles archives. Deux volets composent ce fonds en construction. D’une part les archives historiques privées des différentes personnes ou organisations du secteur artistique. Il ne s’agit pas d’œuvres d’art, mais de documents personnels, de correspondance, de notes et croquis, de photos ou encore d’informations publiées (dossiers d’exposition, articles…) par et autour des artistes. Ces fonds historiques d’archives font d’abord l’objet d’un processus d’évaluation pour en attester l’intérêt pour l’histoire de l’art et pour en mesurer l’état de conservation. Le comité d’acquisition du MNAHA accorde ou refuse l’acquisition du fonds. Suit un traitement physique pour garantir sa conservation : Les documents sont nettoyés (y compris traitement contre les insectes et les moisissures), dépoussiérés, démétallisés et reconditionnés. Comme pour toute archive, les documents sont répertoriés, avec un logiciel d’archivage. L’ensemble de la collection est numérisé et les documents entreposés dans le magasin d’archives. À ce jour, trois fonds d’artistes luxembourgeois ont été collectés et en partie traités : Misch Da Leiden, Alexis Wagner et Théo Kerg.

D’autre part, on retrouve une documentation actuelle qui se compose d’une revue des médias ainsi que d’une collection des documents produits dans le cadre d’événements artistiques (cartons d’invitation, flyers, catalogues…). Une personne est chargée spécifiquement de cette collecte : Joël Ferron a archivé et indexé plus de 300 articles de presse et répertorié 200 publications audiovisuelles. En 2023, il a aussi traité plus de cent cartons d’invitation, qu’ils soient physiques ou numériques. (Un vernissage ou un événement tous les trois jours, il y a de quoi avoir le tournis !) Les informations rassemblées autour des artistes, collectivités et événements sont progressivement intégrées dans le Lëtzebuerger Konschtlexikon.

Ce dictionnaire en ligne bilingue (français et anglais) est le deuxième projet autour des artistes luxembourgeois que poursuit la même équipe. L’idée de base s’inspire du Dictionnaire des auteurs luxembourgeois, lancé par le Centre national de littéraire en 2007 sous forme de livre et mis en ligne dès 2011. Plus de 1 400 auteurs y sont répertoriés avec leur bio- et bibliographies, les prix reçus, les traductions ou adaptations audiovisuelles… Puisqu’il est nouveau et bénéficie des dernières avancées technologiques le Lëtzebuerger Konschtlexikon va plus loin. Il n’est pas seulement un dictionnaire biographique mais comprend une base de données intégrée qui met en relation les acteurs et actrices du secteur des arts visuels luxembourgeois (artistes, commissaires d’exposition, critiques d’art, galeristes etc.) avec des informations connexes sur les organisations, les institutions artistiques, les distinctions et les expositions.

Dans un pays où la distinction entre amateur et professionnel reste difficile à faire ou à admettre et où presque chaque deuxième personne se dit artiste, la tâche des responsables sera surtout de sélectionner qui peut entrer dans le dictionnaire ou pas. « Pour chaque personne répondant aux critères d’admission, une entrée dans la base de données est créée », indique le site konschtlexikon.mnaha.lu. Et les principaux critères sont on ne peut plus large : être (ou avoir été) actif dans le secteur des arts plastiques et avoir (ou avoir eu) un lien avéré avec le Luxembourg. Pour chaque catégorie (artiste, historien de l’art, commissaire d’exposition, critique d’art, galeriste, collectionneur, institution ou encore association) des précisions et définitions sont données. On lit par exemple : « Sont considéré·e·s les artistes qui ont participé à des expositions individuelles ou collectives à l’étranger et/ou au Luxembourg dans des lieux exclusivement dédiés ou revendiqués à des expositions ou encore des artistes ayant au moins une œuvre d’art dans une collection publique luxembourgeoise. » Cela pourrait calmer certaines ardeurs, même si les critères d’acquisition de certaines communes n’ont pas grand chose à voir avec ceux de collections muséales.

Actuellement, quinze artistes voient leur biographies publiées de manière complète : Roger Bertemes, Pierre Blanc, Robert Brandy, Berthe Brincour, Claus Cito, Feipel & Bechameil, Tina Gillen, Albert Hames, Berthe Lutgen, Gast Michels, Marc-Henri Reckinger, Yola Reding, Michel Stoffel, Jos Sünnen et Su-Mei Tse. Un mélange assez politiquement correct d’hommes et de femmes, de contemporains et d’anciens, de grands noms et de quasi inconnus, de tenants de différents médias et supports. Outre le texte biographique, chaque fiche renseigne de manière (très) détaillée sur la vie de l’artiste, sa formation, ses expositions, ses distinctions, les publications qui le concerne, les œuvres dans les collections… Des reproduction d’œuvres, de la signature de l’article ou une carte des lieux qui le concernent ajoutent encore des informations. Un système à quatre niveaux, inspiré du système du dictionnaire suisse Sikart, se base d’une part sur la réception critique et la représentation publique des personnes et d’autre part sur des points de vue d’histoire de l’art. Selon les niveaux, la longueur du texte de présentation sera différente.
Le travail des archivistes et historiens de l’art, sous la houlette de Malgorzata Nowara, est de longue haleine en raison de la quantité exponentielle de métadonnées. Les quinze biographies ont engendré 6 233 entrées (les personnes associées, les expositions, les prix et bourses, les collectivités, institutions et organisations liées…). Soit une moyenne de 4,25 connexions par entrée. Cette perspective est assez impressionnante pour ne pas dire vertigineuse. Avec son corollaire de risque d’erreurs et de frustration quant à la durée pour mettre en ligne plus de fiches. « Les données du dictionnaire sont continuellement mises à jour, c’est un ouvrage en constante évolution, dans un effort d’exactitude et d’exhaustivité », précisent les promoteurs. Ils invitent le public à contribuer avec des informations complémentaires ou à signaler les fautes.

Selon les dires de Michel Polfer, directeur du MNAHA, le Lëtzebuerger Konschtlexikon va « ratisser large » et englober un grand nombre de personnes « même si elles ont eu peu d’influence ». Il espère « maintenir un équilibre » entre les courants artistiques, les genres, les époques, les origines et entre « les artistes hautement acclamés et ceux qui ne font pas (encore) partie du canon ». Il y a du pain sur la planche !

France Clarinval
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