Portrait

Du Sportlycée au Theaterpräis

Un début de carrière bien rempli pour Timo Wagner
Photo: Sven Becker
d'Lëtzebuerger Land du 13.10.2023

Timo Wagner aurait pu être joueur de tennis de table, ou gymnaste, mais il en a décidé autrement, à l’image de ce qu’il confiait au journal du Sportlycée en 2014, « je ne peux pas imaginer exercer un autre métier » que celui de comédien. Pour lui, il n’y a jamais eu de plan B, et son pari s’est avéré payant : À trente ans, Timo Wagner vient de recevoir le prix « Nowuesstalent » aux derniers Theaterpräis, un prix qui le consacre en tant que jeune artiste, et scelle son destin qui ne se jouera plus dans un gymnase, mais dans les salles obscures qu’elles soient avec des rideaux ou des écrans.

Que faire ? Dès sa tendre jeunesse, Timo Wagner connaît un parcours de sportif de haut niveau, notamment intégré à l’équipe nationale de tennis de table junior du Luxembourg avec laquelle il a été champion national cadet, puis, dans le saut à la perche. Bombardé d’entraînements, jusqu’à deux fois par jour sur la fin, en 2014, il est finalement diplômé du SportLycée de Luxembourg. Pourtant, son véritable rêve de gosse, était d’être réalisateur, « à un moment donné, je me suis demandé ce que je voulais faire de ma vie. Je me voyais réalisateur de film, car j’adorais le cinéma. Et puis, je me suis dit qu’un bon réalisateur devait comprendre ses acteurs, dès lors j’ai pris cette direction », explique le luxembourgeois. Le cinéma hollywoodien semble avoir été un catalyseur pour celui qui n’hésite pas à citer pour référence la prestation hors norme de Heath Ledger dans The Dark Knight, réalisé par Christopher Nolan. « J’étais fasciné par ce rôle. Je voulais comprendre comment il en était arrivé là. Ça a été un moment clé dans mon chemin en tant qu’acteur. C’était la première fois que j’analysais la performance d’un acteur. J’avais une touche d’arrogance d’adolescent, en pensant que, moi aussi, je serais capable de jouer avec la même puissance », rembobine-t-il.

S’il se souvient de ses heures de gloire en tant que clown de la classe, il n’arrive pas à expliquer d’où lui vient cette fascination pour l’acting. Mais il sait que sa personnalité a changé, un jour, sans qu’il puisse l’expliquer précisément. « J’ai toujours été convaincu que j’étais un enfant extraverti, pourtant, un de mes anciens entraîneurs m’a offert une clé USB avec des vidéos de moi. C’est enfant est le contraire absolu de ce que je m’imaginais être ». L’énergie du sport s’est transformée, à un certain moment, en une énergie créatrice, celle qui émane de la scène, et à jamais elle l’occupera. Alors, en parallèle à ses questionnements intérieurs, Timo Wagner visite le conservatoire et saute le pas. « J’ai dû prendre une décision. C’était très difficile de combiner le sport et cette éducation au conservatoire. Quelques années plus tard, j’ai totalement arrêté le sport et je me suis concentré sur mon futur. Et mon futur, je le voyais en tant que comédien ».

Faire ses armes En parallèle au conservatoire, il fait ses armes dans trois courts métrages Someday de Christophe Hubert et Vito Labalestra, Lucy in the sky with diamonds de Ken D’Antonio et Daniel Di Vincenzo et enfin, Adieu, Katja, Bonjour Tristesse de Oliver Waldbillig. Des premiers projets, aussi modestes et maladroits soient-ils, qui auront été déterminant dans la suite de son parcours artistique et constituent des jalons pour la scène cinématographique luxembourgeoise de cette génération-là. « Ces films ont été fait avec des personnes, et amis, qui travaillent aujourd’hui presque tous et toutes dans le cinéma. Sur Someday, j’ai rencontré Hana Sofia Lopes, avec qui je n’ai jamais rejoué depuis… Sur Lucy in the sky with diamonds, il y avait Roxanne Peguet et Sven Ulmerich, et les réalisateurs Ken D’Antonio et Daniel Di Vincenzo qui ont monté Dividante, leur boîte de production ». Ce film tourné il y a dix ans, est un incubateur des professionnels du cinéma d’aujourd’hui, « un peu comme les projets que montent le jeune réalisateur Lukas Grevis, qui me rappelle beaucoup nous à l’époque ».

En 2014, après avoir tenté le casting de Mammejong, Timo Wagner tient son premier rôle à la scène en tant qu’Andreas dans Vollmondbetrachtungen de l’auteur luxembourgeois Jean-Paul Maes, attaché au Kaleidoskop Theater. Il retrouvera d’ailleurs ce dernier régulièrement durant sa carrière, en tant que comédien, mais aussi comme assistant, lui qui l’avait déjà dirigé au conservatoire de la Ville d’Esch-sur-Alzette. « Jean-Paul Maes a eu un rôle essentiel dans mon parcours. Je l’ai vu récemment, après la première de Läif a Séil, et je l’ai remercié, parce que sans lui je n’en serais pas là aujourd’hui. C’est le premier qui a cru en moi. Il a été un véritable mentor pour moi », exprime avec émotion le jeune comédien.

Aussi, des préceptes de son mentor qui le pousse à jouer avec ce qu’il est, et donc dans une forme de « physicalité », lui qui, adolescent briguait une école de cinéma à Los Angeles, finit par se former au jeu à l’école des Cours Florent de Paris. Un second choix, malgré son horreur des plans B. « Je suis rentré au cours Florent, après deux ans à passer de nombreux concours dans des écoles allemandes ou anglaises, tout en travaillant sur les scènes luxembourgeoises à côté, entre 2013 et 2016. J’ai finalement pris cette décision pour améliorer mon français, bien que je n’ai joué en français pour la première fois que des années plus tard sur Songe d’une Nuit… mis en scène par Myriam Muller ».

Et en effet, Timo Wagner, ces dix dernières années, a tenu de nombreux rôles sur les planches et notamment pour clamer les tirades d’auteurs et d’autrices du cru, entres Jean-Paul Maes donc, Jeff Schincker, Tullio Forgiarini, Charel Meder, Samuel Hamen, Mändy Thiery, ou encore Serge Wolfsperger… Un facteur pas vraiment conscient : « Je n’ai pas de préférence. J’ai fait ces pièces parce qu’on me les a proposées. Et c’est amusant, car aujourd’hui j’ai vraiment envie de jouer en luxembourgeois. Depuis mon travail avec Loïc Tanson sur Läif a Séil, Je me rends compte à quel point c’est important de jouer dans cette langue pour la normaliser artistiquement ». Au pays, le français comme l’allemand résonnent comme des langues « habituelles », quand beaucoup s’efforcent de situer le luxembourgeois au même niveau, à l’image du travail colossal d’adaptation de la langue luxembourgeoise en un dialecte compréhensible et interprétable dans le film de Tanson.

Faire œuvre Fin septembre dernier, Timo Wagner a donc été récompensé en tant que talent émergent au Theaterpräis pour son interprétation de Puck dans le Songe d’une Nuit…. Cette pièce aura été une charnière dans son parcours à bien des niveaux. « J’étais très nerveux à l’idée de jouer en français. Ce qui m’a réconforté c’était de savoir que Konstantin Rommelfangen et Rosalie Maes venaient aussi du théâtre allemand ». Travailler cette langue shakespearienne en français se révèle être un certain défi pour lui, tant physique qu’oral. « Myriam Muller avait fait son adaptation de l’œuvre mais nous avait demandé de construire notre propre partition à partir de traductions qui nous parlaient. C’était la première fois que je travaillais aussi proche d’un texte ». Timo Wagner se livre à une appropriation complète du Shakespeare et s’en voit récompensé par ses pairs, ceux et celles qu’il admire. « Je n’ai jamais fait ce travail dans le sens des récompenses. Le but a toujours été de faire des rencontres et de travailler avec des personnes qui m’intéressent. J’étais déjà très heureux d’être nommé et puis, quand je me suis retrouvé dans cette salle, entouré des gens du milieu, je me suis rendu compte à quel point c’était un honneur d’être là ». Lui qui rêve de jouer Hamlet avant d’être trop vieux, est récompensé pour son Puck grimpeur et évanescent, Shakespeare comme un symbole.

Et puis, si 2023 lui est une année de lauriers, déjà l’année dernière, Timo Wagner a eu la chance de se retrouver au casting d’Hinterland, un film très original, à l’esthétique expressionniste, dans lequel tu tiens le rôle de Krainer, plongé dans les années 1920, et l’atmosphère particulière que déroule le réalisateur autrichien Stefan Ruzowitzky, oscarisé en 2008 pour son film Les Faussaires. Après de nombreux court-métrages et quelques productions locales, il se retrouve ici au cœur d’une production d’importance et réitère l’expérience sur Läif a Séil de Loïc Tanson donc, produit en grande pompe par Samsa Film. Il y interprète Jon avec virtuosité, l’un des rôles clés, aux côtés de Sophie Mousel. « J’ai rencontré Loïc pour la première fois lors du casting, et tout de suite il m’a mis à l’aise. Il met un point d’honneur à construire les personnages par de la recherche et nous pousse à lui envoyer des choses, des idées, des suggestions, etc. », narre avec passion Timo Wagner. Dans cet étonnant Läif a Séil, Wagner incarne Jon, un personnage ô combien complexe se déclinant dès le début dans un handicap fort et une personnalité de l’ordre de la fantasmagorie, « Jusqu’au dernier moment on a cherché. Jon n’avait plus de mystère pour moi », explique l’acteur qui a créé une vie intérieure et extérieure à son personnage pour le rendre réel, le faire exister.

De cette grande complicité trouvée avec Loïc Tanson, le jeune comédien se réjouit de suites très stimulantes, « on prépare une série qui va se tourner, si les financements suivent, entre mars et mai prochain. Ça s’appellera Marginal, et ça racontera de vrais crimes luxembourgeois qui se sont déroulés au début du vingtième siècle. J’y tiendrai un rôle important au côté de Jules Werner dans le rôle principal ». À tout juste trente ans, Timo Wagner connaît une carrière déjà bien remplie. Son rêve de gosse assouvi, le voilà en prononcer d’autres et espérer dans dix ans, être encore plus proche des étoiles. « Il y a quelques jours, je me suis demandé si j’étais au top de ma carrière… Je ne suis pas du genre à me dire fier de moi, mais si j’avais la possibilité de revoir le jeune moi, je lui dirais de s’entourer de personnes inspirantes, comme l’est pour moi Loïc Tanson, une personne très humaine, qui est devenu quelqu’un des très important dans ma vie ».

Godefroy Gordet
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