Dans la solitude des champs de coton

Koltès organique

d'Lëtzebuerger Land du 27.06.2002

Deux comédiens fins, presque osseux emmitouflés dans leurs costumes noirs amples, un metteur en scène très propre sur lui, qui ne paye pas de mine. Une répétition incroyable, Frank Hoffmann, le Luxembourgeois a décidé il y a quelques mois de ça de s'attarder, le temps d'une mise en scène, dans l'univers de Bernard-Marie Koltès.

Beaucoup d'autres ont déjà été tenté en France et en Allemagne d'approcher l'énigme koltésienne, surtout ces trois dernières années, et surtout depuis les dix ans de la mort de Koltès (1989) atteint du sida et depuis que la France théâtrale tout entière se soit dit « tiens il faudrait ressortir un bon auteur... ». Du grand Patrice Chéreau au moins grand mais non moins intéressant Michel Dydim, du Roberto Zucco à Sallinger en passant par La nuit juste avant les forêts et en s'arrêtant un long moment sur Dans la solitude des champs de coton tout a été touché voire même tellement malaxé, si bien que parfois on ne sait plus qui était le gracieux koltès, quels étaient ses combats, comment il nous est resté ? 

C'est cette dernière pièce Dans la solitude des champs de coton datée de 1986 qui va apparaître dès samedi prochain (29 juin) à la Rotonde de Bonnevoie, cette bâtisse étrangement située (juste derrière la gare) et qui correspond bien à la géographie hangardeuse de l'auteur français. Tout ceci accompagné de deux véritables bêtes du théâtre, dans le sens où tous deux y croient vraiment et se vouent à ce métier dangereux, j'ai nommé Serge Merlin et Denis Lavant. Pour tous ceux un tant soit peu enveloppés par le théâtre européen, il est inutile de présenter ces deux véritables hommes, mais pour les autres sachez que l'un est apparu dans nombreuses pièces et films du répertoire mondial et ce depuis les années cinquante : Serge Merlin a même travaillé avec Andrzej Wajda (Sanson, 1959) et Andrzej Zulawski et l'autre encore plus fou - en apparence acteur principal de Léo Carrax. Souvenez-vous des Amants du Pont Neuf où Denis Lavant apparaît dans une épopée tristement romantique aux côtés de Juliette Binoche.

Que révéler de cette création luxembourgeoise hautement attendue car intrigante et de toute évidence intelligente, sans trop lever le voile de la mise en scène ?

« (...)Si vous marchez dehors, à cette heure et en ce lieu c'est que vous désirez quelque chose que vous n'avez pas et cette chose, moi, je peux vous la fournir (...) ». Ceci peut-être pourra éclairer légèrement cette histoire froide de loin et chaleureusement humaine de près, de ces deux hommes, chacun cherchant, se cherchant : un client et un dealer sur les quais d'une grande ville. Mais nous ne connaîtrons jamais cette chose, nous saurons seulement, dans la mélancolie, l'attente ou la rage, qu'un autre pourrait nous fournir cette chose qui nous manque, nous en faire don ou nous l'échanger contre un regard, un corps tout entier, un mot, un objet des plus rares ou des plus communs. Prenons-y tous garde le plus dangereux n'est pas celui qu'on croit.

Serge Merlin, Denis Lavant d'une part et Frank Hoffmann d'autre part, préparent ce travail scénique ensemble. Il y a déjà eu des grandes mises en scène de ce texte introverti et toujours, à chaque lecture palpable différemment, la mise en scène de Patrice Chéreau semble celle qui fut la plus significative. Aux côtés de Pascal Greggory, les deux hommes ont incarné le client et le dealer de manière froide, distante, doucement cruelle comme l'est le contexte vital de ce Koltès torturé par les choses humaines. Le texte semble aujourd'hui, dans la compréhension de Frank Hoffmann et des deux grands messieurs du théâtre, revêtir l'autre aspect de la vision - Koltès : une vaste chaleur humaine, organique, est transmise à l'aide du texte vers le futur public. Mardi après-midi, une semaine et demie avant la première : une répétition douloureuse, où les trois hommes cherchent, affinent et se saignent face à un décor froid, reflétant néanmoins les choses de la nature. Après les discussions, les échanges, la tension retombe et monsieur Merlin, tout de grâce mature revêtu évoque humblement certains moments de comédie et le moins âgé Denis Lavant, les cheveux ébouriffés jongle en parlant du « duende » espagnol, celui de Lorca, cette présence démoniaque liée à l'inspiration créatrice. Frank Hoffmann quant à lui convient que toute cette rencontre lui a été essentielle, Koltès, Merlin, Lavant et René Nuss (auteur de la bande son de la pièce empreinte de guimbarde et de piano). « Une très bonne rencontre de poésie et de lucidité du langage » dira-t-il. Nous attendons demain... impatiemment.

 

Dans la solitude des champs de coton, mise en scène de Frank Hoffmann avec Serge Merlin et Denis Lavant par le Théâtre National du Luxembourg se jouera le 29 juin à 21h30 ainsi que les 3, 4, 5, 6, 7 juillet à 21h30 dans la Rotonde des CFL à Bonnevoie. Pour tous renseignements et réservations tél : 26 45 88 70.

 

Karolina Markiewicz
© 2024 d’Lëtzebuerger Land