Au premier étage du hall omnisports, dans le quartier Gare à Luxembourg, une arche de ballons est installée pour un anniversaire. On cherche vainement une affiche qui nous guiderait jusqu’au Championnat amateur de muay-thaï. En fait, il suffisait de suivre la musique. Au deuxième étage résonne le phleng muay, une musique traditionnelle aux sonorités entêtantes qui accompagne le ballet des combats. Plus connu sous le nom de boxe thaïlandaise, le muay-thaï est un style de boxe pieds-poings où les coups de genoux, de coudes et les projections sont autorisés.
On imaginait le public saturé de jeunes hommes surexcités, en mode Gladiateurs. On en trouve pas mal sur les chaises disposées autour du ring, ils sont surtout là pour encourager leurs amies. Denis, dont les rugissements dominent la musique, est venu supporter les boxeurs du Fighting club Luxembourg. « J’aurais dû combattre aujourd’hui mais je me suis cassé l’orteil, se désole-t-il. Le muay-thaï je trouve ça beau, il y a la tension entre les deux boxeurs... et aussi beaucoup de respect ». Parmi les spectateurs on trouve également les conjoints, les familles, jusqu’aux grands-parents. Après le combat de leur fils, les parents d’Eliott ont l’air un peu chamboulés. « C’est la première fois qu’on vient le voir, on ne connaissait pas du tout cet univers, confient-ils. C’est un peu spécial de le regarder se faire taper dessus, mais on est contents qu’il ait voulu partager cela avec nous. Et puis on a pu constater que c’était bien encadré ».
Samir et Ilyass, deux arbitres chargés de compter les points et de surveiller les rencontres, confirment : « On est très vigilants. Il y a quelques années, on parlait de sport de sauvages parce que c’était nouveau et méconnu. Le temps a fait son œuvre. Aujourd’hui, c’est le MMA qui a cette réputation ». Tout comme le Mixed Martial Arts (où les coups et les prises au sol sont de mise), le muay-thaï reste une discipline assez confidentielle au Luxembourg. « Nous sommes une jeune fédération, mais le niveau monte et on est rigoureux. Pas question de faire s’affronter deux boxeurs qui ne sont pas dans la même catégorie, comme ça a pu m’arriver » explique Yannick Schalz, organisateur et président de la section au sein de la Fédération Luxembourgeoise d’Arts Martiaux. Également coach du Rising Phoenix de Bertrange, il décrit le monde du muay-thaï comme « une grande famille. C’est un sport qui est parfois perçu comme un refuge pour jeunes qu’on considère à problèmes... En tout cas, j’ai entraîné beaucoup de jeunes qui en sont sortis transformés. Et j’ai aussi des cadres et des avocats ».
Plusieurs nak muays (les pratiquants du muay-thaï) arborent le mongkon, le serre-tête traditionnel, ou des écharpes de fleurs artificielles dont le retrait, tout comme les saluts au public, font l’objet de rituels précis. Certains des participants du jour, souvent débutants, ont effectué le voyage en Thaïlande pour des stages. C’est le cas de Nils, qui témoigne à sa descente du ring. « Là-bas, les entraînements sont intensifs, mais les locaux font très attention entre eux : blesser un camarade peut le priver de son gagne-pain, explique-t-il. Je pratique plusieurs sports de combat mais je préfère le muay-thaï, c’est le plus tactique ; c’est comme les échecs ! ». Je déconseille toutefois aux joueurs d’échecs de s’y essayer sans un peu de préparation : les coups claquent sur les protections, et l’engagement est indéniable. Thomas et Jonathan sont venus de Metz afin d’assister pour la première fois à un tournoi de muay-thaï. « Je n’avais vu ça que dans les films. C’est plus impressionnant en vrai ! » commente Thomas.
Les finales approchent, les boxeurs malheureux viennent enlacer leur entourage tandis qu’une petite blondinette de deux ans escalade une barrière de sécurité à quelques mètres d’un combat, qui ne semble pas l’émouvoir outre-mesure. « Je l’ai toujours emmenée assister à des combats, et elle était dans mon ventre pendant mes entraînements : elle a l’habitude ! » explique sa maman. Tandis que les champions lèvent le poing, côté vestiaire, on relativise. Erduan est quand même fier de lui, ça faisait des années qu’il n’avait pas pratiqué et il a réussi à perdre vingt kilos pendant sa préparation. « Il y a toujours eu quelqu’un pour me tirer vers le haut : c’est grâce à ça que tu te dépasses » explique-t-il. Pouvoir compter sur le soutien de sa famille vaut bien quelques contusions.