Ticker du 28 janvier 2022

d'Lëtzebuerger Land du 28.01.2022

Voilà qui a du PEPs

Dans une enquête parue la semaine passée, le collectif de journalistes OCCRP (Organized Crime and Corruption Reporting Project) lève le voile sur les actifs cachés de l’ancien président du Kazakhstan, Nursultan Nazarbaïev, qui exerce toujours une influence sur le régime autoritaire en place contre lequel se soulève une partie de la population. Huit milliards de dollars d’actifs appartenant au leader politique kazakh sont planqués derrière un réseau de fondations étendu sur plusieurs juridictions. Sans surprise, le Luxembourg apparaît dans l’enquête. En plus de la forte probabilité pour un centre financier international d’accueillir des fonds douteux, le gouvernement Bettel entretient des relations politiques avec ce riche État d’Asie centrale (d’Land, 11.09.2020). Le 28 octobre 2014 au World Islamic Forum à Dubaï, Xavier Bettel et Pierre Gramegna (DP) discutent avec Nursultan Nazarbayev, alors président, et Najib Razak, alors Premier ministre de Malaisie, et bénéficiaire du détournement du fonds souverain malaisien 1MDB (photo : ministère des Finances).

L’OCCRP explique ainsi qu’une banque propriété de la Nazarbayev Foundation a acquis en septembre 2021 des parts dans un opérateur télécom, KCell, via une « secretive entity » immatriculée au Luxembourg : Pioneer Technologies, elle-même détenue par une autre « mysterious Luxembourg entity » ; « Pioneer Horizon East », incorporée en société en commandite spéciale qui permet de masquer le bénéficiaire ultime derrière un prête-nom (ici un ressortissant russe). En bout de ligne, il y aurait Nursultan Nazarbayev, le pape des PEPs (politically exposed persons) selon le jargon de la lutte antiblanchiment. pso

Le roi secret du foncier,

ce serait donc Arend & Fischbach, c’est-à-dire son principal dirigeant, Nico Arend, 71 ans. (Son ancien associé Carlo Fischbach est décédé en 2017, le fils de ce-dernier, Laurent, a pris la relève.) Jusqu’ici, le promoteur avait presque réussi à passer inaperçu : Il ne s’affiche pas comme mécène de clubs de foot ou d’équipes cyclistes, il ne s’est pas lancé dans la construction de super-yachts, il ne donne pas d’interviews et ne préside pas de fédération patronale. Pourtant, c’est Nico Arend qui mène le classement que vient de publier le ministère du Logement, en « complément » à sa note 29 (d’Land, 3.12.2021). Parmi les cinq propriétaires dont la réserve en terrains constructibles pour l’habitat dépasse les cinquante hectares, Arend & Fischbach devance (par ordre décroissant) la Ville de Luxembourg, le Fonds du Logement, le Domaine de l’État et le groupe Felix Giorgetti.

Ce ranking a surpris un secteur immobilier qui imaginait à sa tête Giorgetti et Becca, dont les grands projets ont marqué (pour le meilleur et pour le pire) les paysages urbains de la Ville de Luxembourg. Cet angle mort s’explique par la discrétion du personnage : Dans la revue du SIP, qui recense une grande partie des articles de presse parus depuis 1999, le nom de Nico Arend n’apparaît qu’à dix reprises, contre 64 pour Marc Giorgetti, et 587 pour Flavio Becca. Il s’explique également par les dizaines de sociétés via lesquelles Arend détient ses participations : Longchamp (bénéfice net : 3,1 millions d’euros en 2020), Maisons Loginter (4,1 millions), Coprom (481 900 euros), Riverside 306 000), … Les deux holdings personnelles de Nico Arend, Acta Priv I et Acta Priv II, listent des participations dans seize sociétés. Dans la plupart des cas, il s’agit donc de co-détentions, souvent avec d’autres promoteurs locaux (CreaHouse, FMC Promotions, Tracol), parfois avec des notables du capitalisme luxembourgeois. En juillet 2020, Arend & Fischbach s’est ainsi allié avec Compagnie financière La Luxembourgeoise (dirigée par les cousins Pit Hentgen et François Pauly) pour acquérir quatre hectares au Kirchberg. Le tout pour la coquette somme de 180 millions d’euros.

Les grands promoteurs ont chacun leur rayon d’action déterminé. Arend & Fischbach se concentre principalement sur la région qui va de la capitale à Diekirch, avec la commune de Mersch comme centre névralgique et siège des opérations. Nico Arend y est solidement ancré dans le microcosme politique. Encarté au DP, il se faisait régulièrement élire dans le « comité de circonscription Centre » du parti libéral durant les années 2000. Il a également su bien s’entourer. À un moment, deux maires travaillaient pour Nico Arend. En 2001, celui-ci recruta Albert Henkel, qui deviendra, trois ans plus tard, bourgmestre de Mersch. Une « chose délicate » comme Henkel le concèdera à la veille de son départ en 2016 sur Radio 100,7 : « Fir ni en Interessekonflikt ze kréien, sinn déi Projete vun deem Promoteur wou ech schaffen, ëmmer ganz speziell ënnert d’Lupp geholl ginn. Ech konnt et mer net erlabe fir mer d’Fangeren ze verbrennen. » À quelques kilomètres de là, le maire de Lintgen (depuis 1994), Henri Wurth, dirigeait entre 1997 et 2017 Home Center Willy Putz, une société rachetée en 1991 par… Nico Arend. Face au Land Wurth explique ne jamais avoir signé une autorisation de bâtir pour des projets où Arend & Fischbach était impliqué. « Ech hunn mech do erausgehalen. Ces demandes sont toujours passées par la commission des bâtisses. Elles y ont été contrôlées quant à leur conformité avec le PAP et le PAG, puis signées par un des échevins. »

En septembre dernier, sur RTL-Radio, le directeur de la Fedil, René Winkin, fustigeait les recherches du Liser sur la concentration foncière comme « simplistes, contradictoires et incomplètes ». Or, il se trouve que son épouse, Sylvie Hansen-Winkin, est la principale lieutenante de Nico Arend, siégeant dans quasiment toutes les sociétés contrôlées par lui. « Le problème principal, ce sont les procédures officielles et des délais » explique René Winkin au Land. « C’est cela la critique à la Fedil… indépendamment de nos épouses ». Et de rappeler que les principales firmes de construction sont membres de l’organisation patronale : « Giorgetti siège dans notre CA ».

À l’inverse des frères Giorgetti, d’Eric Lux ou de Flavio Becca, qui ont su compter sur un héritage foncier transmis par leurs pères, Nico Arend peut revendiquer le qualificatif de self-made man. Né dans une famille de petits paysans de la commune de Wincrange (canton de Clervaux), il a commencé sa carrière comme comptable dans deux entreprises de construction, avant d’ouvrir sa propre fiduciaire. En 1989, il s’allie avec l’agent immobilier Carlo Fischbach. À côté de terrains fonciers, Nico Arend détient aussi des participations dans des hôtels et restaurants ainsi que dans le Kikuoka Golf & Spa à Canach. bt

Addendum

Le complément à la note 29 (publié suite à la pression des médias), donne à voir une image contrastée du secteur de la promotion. Le poids des acteurs locaux historiques s’y précise. À ne considérer que les promoteurs privés, le ranking est le suivant : Arend & Fischbach et Giorgetti (plus de cinquante hectares), Tracol, Stugalux et Promobe (entre 25 et 50 hectares), Thomas & Piron, Wickler Frères, FMC Promotions, Iko Real Estate (entre 10 et 25 hectares). Ce tableau montre que le marché reste dominé par les acteurs autochtones. Un seul acteur international (Thomas & Piron) a réussi sa percée, grâce notamment au rachat de petits promoteurs en difficulté. Flavio Becca semble avoir décroché dans la course au foncier, tout comme Eric Lux. Or, les terrains amassés par leurs pères (à Gasperich pour le premier, à Howald pour le second) valent de l’or. Ils gagneront encore en valeur une fois le tracé du tram terminé. Le tableau du ministère du Logement comporte deux lacunes. Primo : il prend exclusivement en compte la surface brute (sans préciser combien de mètres carrés pourront y être réalisés), et non la valeur. Or, un hectare au Kirchberg ne vaut pas un hectare à Clervaux. Secundo : il ne considère que les terrains destinés à l’habitat. Les firmes également actives dans la construction de bureaux (comme Giorgetti et Promobe) y sont donc moins bien représentées que celles exclusivement spécialisées dans le logement (comme Arend & Fischbach). bt

Inculpation et mise au point

L’ancien directeur d’Edmond de Rothschild, Marc Ambroisien, a été inculpé la semaine passée dans le cadre de l’instruction du volet luxembourgeois du détournement du fonds souverain malaisien 1MDB, une information relayée en premier par Reporter. Le banquier français, 59 ans, a été entendu trois jours durant par la juge d’instruction. Il est notamment poursuivi pour défaut dans ses obligations de vigilance en matière de lutte contre le blanchiment d’argent. Marc Ambroisien était la personne de contact de Khadem Al Qubaisi, patron du fonds souverain d’Abou Dhabi (Ipic), quand celui-ci était client de l’établissement bancaire et quand il a été soupçonné d’avoir détourné plusieurs centaines de millions de dollars aux dépens du fonds 1MDB. Des enquêtes journalistiques avaient fait état de 472,5 millions de dollars d’actifs bookés entre 2012 et 2013 dans les comptes de sociétés gérées par Marc Ambroisien pour le compte de son PEP (politically exposed person) de client, normalement soumis à des rapports à plusieurs niveaux de la banque et même au dehors (chez l’auditeur PwC par exemple). Dans un entretien accordé au Wort en septembre 2016, l’ancien directeur de l’établissement se déclarait « le fusible » de la baronne Ariane de Rothschild qui dirige le groupe bancaire suisse. Il en était parti en août 2015 sous les louanges de la direction pour « son exceptionnelle contribution au développement de Edmond de Rothschild », avait écrit la patronne. Quelques mois plus tard, le 27 avril 2016, la justice luxembourgeoise ouvrait une instruction portant principalement sur l’entrée de ces fonds. « Étant visé depuis 2016 par ces enquêtes, c’est une sorte de soulagement », confie François Prum, l’avocat de Marc Ambroisien, à propos de l’inculpation. Me Prum se félicite en outre d’avoir accès au dossier, toute une armoire, « pour organiser la défense ».

Dans une prise de position peu commune faisant écho à la « lenteur » de la procédure évoquée dans la presse, le parquet a rappelé mercredi la complexité de l’enquête et son extension « en vertu de réquisitoires complémentaires ». « Le parquet de Luxembourg tient à préciser que le dossier ne présente aucune lenteur dans le cadre de l’enquête qui soit imputable directement ou indirectement au juge d’instruction ou à la police judiciaire, qui mènent une enquête à charge et à décharge. La durée de la procédure s’est cependant inévitablement allongée en raison des nombreux recours formulés par l’une des personnes visées par l’information judiciaire », écrivent les porte-parole de l’administration judiciaire dans une communication où chaque mot est pesé pour ne pas briser le secret de l’instruction. Selon les informations du Land, la banque, inculpée voilà un an dans cette affaire, a multiplié les recours pour limiter le périmètre de l’enquête. Celle-ci est encore en cours et est constamment alimentée par l’étude d’emails et de documents saisis, notamment dans les ordinateurs de la banque lors d’une perquisition à 90 inspecteurs le 29 juin 2016. Des commissions rogatoires internationales ont également été diligentées dans ce dossier aux ramifications globales. Pour rappel, les États-Unis avaient saisi dès juillet 2016 un milliard de dollars d’actifs (des villas de luxe et des œuvres d’art) des quatre milliards détournés. La justice luxembourgeoise a également mis la main sur de l’argent et des biens immobiliers achetés par KAQ avec les fonds supposément mal acquis. Khadem Al Qubaisi a été condamné en 2019 à quinze ans de prison aux Émirats (d’Land, 10.01.2020) et serait assigné à domicile.

La Commission de surveillance du secteur financier a condamné Edmond de Rothschild en juin 2017 à une amende record de neuf millions d’euros. En mars 2020, la CSSF a retiré l’honorabilité professionnelle de Marc Ambroisien pour une période de dix ans. Cette décision (anonymisée un an après sur le site de la CSSF selon les dispositions de la directive CRD IV encadrant la protection des données) est contestée devant les juridictions administratives. L’affaire sera plaidée le 22 mars. Les personnes inculpées sont présumées innocentes. pso

Jugé en Suisse, déjà condamné ici

« Comment un golden boy français a volé soixante millions et coulé la plus vieille banque suisse » titre Le Matin dans sa dernière édition dominicale. Le procès de Fabien Gaglio, un Français de 49 ans, est annoncé en mars. Cet ancien banquier chez Hottinger & Partners (banque helvétique fondée en 1786) est poursuivi pour avoir détourné soixante millions d’euros appartenant à ses clients dont neuf pour lui-même et son épouse… une fraude qui avait scellé le sort de l’établissement déjà en proie à des difficultés. Au Luxembourg, Fabien Gaglio a été condamné à quatre ans de prison (dont deux avec sursis) en appel en 2017 pour avoir détourné presque sept millions d’euros des comptes de ses clients auprès de la filiale luxembourgeoise, H CTG, de la banque suisse. Il a passé un an sous les barreaux en préventive. La CSSF lui a retiré son honorabilité en 2019 pour douze années. Fabien Gaglio, originaire de Nice, s’est reconverti dans la vente de produits bio à Londres. pso

Pierre Sorlut, Bernard Thomas
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