« Trouble Makers »

d'Lëtzebuerger Land du 20.06.2025

Lundi, le ministre des Affaires étrangères, Xavier Bettel (DP), se rendra à Bruxelles pour un conseil avec ses homologues européen. La Haute Représentante pour les Affaires étrangères, Kaja Kallas, y présentera un rapport sur d’éventuels manquements d’Israël à son engagement de respecter les droits de l’Homme pris à l’article 2 de l’accord d’association avec l’UE, son principal partenaire commercial. Cette « review » a été demandée le 6 mai par le gouvernement néerlandais. L’initiative a été soutenue le 20 mai par 17 pays (sur 27). Le 28 mai, Kaja Kallas avait annoncé vouloir présenter les conclusions au conseil de juin. Selon une porte-parole du Conseil, un document sera soumis à l’étude des délégations des États membres, mais on s’attend surtout à une discussion, pas forcément à une décision. Une suspension totale de l’accord requiert l’unanimité, mais la suspension d’arrangements commerciaux n’exige que la majorité qualifiée.

Cette évaluation ferait pression sur le gouvernement israélien, comme l’a encore prétendu le ministre Bettel sur RTL Télé mardi. Le libéral a fustigé « le reliquat de la Deuxième Guerre mondiale » qu’est le conseil de sécurité des Nations unies où siègent une poignée de « trouble makers » mais, au niveau national, Bettel n’a pris aucune décision politique ciblant le gouvernement israélien ou contrecarrant son objectif d’enterrer la solution à deux États. Cette évaluation semble une énième démarche pour gagner du temps et continuer de ne pas contrarier le Premier ministre israélien. La Commission dispose depuis un an d’un document recensant les atteintes aux droits de l’Homme dans la région depuis le 7 octobre 2023. Préparé par le représentant spécial de l’UE pour les droits de l’Homme, il a été présenté aux ministres européens le 22 juillet 2024. Une version mise à jour a encore été produite le 18 novembre pour le dernier conseil sous la houlette du Haut Représentant Josep Borrell. L’ancien chef de politique étrangère de l’UE proposait que l’accord d’association soit suspendu.

Le rapport se base sur des documents produits par les plus hautes instances judiciaires internationales. Il brosse le droit international mais se garde de qualifier lui-même les actions israéliennes ou l’inaction européenne. La Commission et le service d’action extérieure refusent de communiquer au Land ce rapport sur lequel se fonde la politique européenne. Une copie a néanmoins été mise en ligne par le média français Blast. Ce rapport, de 35 pages, recense d’abord les violations du droit international humanitaire par le Hamas avec au premier rang les attaques du 7 octobre et la prise d’otages israéliens. Sont ensuite (très longuement) énumérées les atteintes aux droits humains d’Israël à Gaza. Le représentant spécial rappelle que les bombardements aveugles, la destruction volontaire des infrastructures médicales et les innombrables morts de civils qui en découlent, notamment des femmes et des enfants, ont été qualifiés de crimes de guerre et de crime contre l’humanité par la Cour internationale de justice ou encore le procureur de la Cour pénale internationale. L’utilisation de la faim comme arme de guerre est aussi identifiée comme parmi les « atrocity crimes ». En Cisjordanie, le représentant spécial aux droits de l’Homme se réfère aux politiques ségrégationnistes d’Israël, les détentions arbitraires et les punitions collectives, également désignées comme crimes de guerre. Sont même évoquées les actions d’Israël au Liban, par exemple l’attaque des pagers qui, en septembre 2024, a tué 42 personnes (dont des enfants) et mutilé 3 500 autres

Enfin, le rapport rappelle les obligations des États tiers, « including not to aid or assist violations ». Est notamment mentionnée l’impossibilité pour des États de vendre des armes ou des technologies qui pourraient être utilisées pour commettre des atteintes sérieuses au droit international humanitaire, comme c’est précisément le cas ici. Mercredi, des militants pour les droits de l’Homme manifestaient à la Cloche d’or devant l’une des adresses des filiales luxembourgeoises du groupe israélien NSO, sanctionné par les États-Unis. L’éditeur du logiciel espion Pegasus est notamment au service de l’armée israélienne. Xavier Bettel se rend lundi à Bruxelles à contre-cœur. Il avait demandé à ce que soit décalée cette réunion organisée un jour de fête nationale. Sa demande a été recalée. Devait également se tenir le même jour dans la capitale européenne un sommet de la politique de voisinage Sud en présence de ministres des pays du pourtour méditerranéen, dont Israël et la Palestine. Mais l’agression de l’État hébreu sur l’Iran a contraint au report de ce sommet.

Pierre Sorlut
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