Economie circulaire :
un baromètre des ambitions écologiques des partis

Les paroles et les actes

d'Lëtzebuerger Land du 06.10.2023

Le 12 septembre dernier, le gouvernement présentait un projet pilote en économie circulaire : la reconversion, la déconstruction et le réemploi du Lycée Michel Lucius. C’est un bon exemple d’économie circulaire, c’est-à-dire du système dans lequel, idéalement, il n’y a plus ni prélèvement sur la nature en amont ni productions négatives en aval, puisque les déchets deviennent les ressources utilisées pour de nouveaux produits. Ainsi présentée, l’économie circulaire peut sembler une solution miraculeuse et il faut s’attendre à ce que, introduite par la coalition en place il y a plusieurs années, elle se retrouve dans tous les programmes électoraux. La réalité est plus nuancée. C’est ce que relève la consultation des programmes, plus ou moins détaillés, des principaux partis politiques.

Parmi les partis traditionnels du Luxembourg, le CSV est celui qui fait le moins de place à l’économie circulaire ; il indique sa volonté de la promouvoir, mais ne mentionne concrètement que les centres de ressources et les boutiques de recyclage. Le DP veut lancer des offensives d’investissements durables dans le logement, la mobilité, la transition énergétique et la santé, ce qui peut favoriser l’économie circulaire. Celle-ci est par ailleurs directement citée dans la politique du logement, avec la planification de nouveaux quartiers selon les principes de durabilité et de l’économie circulaire. Cette orientation reste toutefois superficielle. Le parti libéral préfère ainsi mettre l’accent sur la disparition des gobelets et assiettes jetables, ce qui en dit long sur les ambitions réelles du parti.

Le LSAP est le parti traditionnel dont le programme thématise l’économie circulaire de manière la plus explicite, comme une de ses stratégies économiques, au même titre que l’adoption de critères de neutralité carbone à tous les niveaux de politiques publiques, ou l’introduction d’un indicateur de bien-être, incontestablement innovant. Outre le détail des mesures de soutien à l’économie circulaire, il faut noter le lien établi entre celle-ci et l’économie du partage, qui se voit promettre un cadre législatif, ou encore l’économie sociale et solidaire. Tout ceci demeure toutefois dans le cadre de la croissance.

Déi Lénk envisagent l’économie circulaire dans l’optique d’engager la transition vers une économie écologique et sociale. Il faut relever dans ce programme une analyse critique des solutions faussement labellisées comme « vertes » ou d’une externalisation des coûts environnementaux et sociaux. Ceci est à mettre en parallèle avec l’appel à une recommunalisation des services de gestion des déchets et à un contrôle public accru sur les prestataires privés. (Les Pirates mettent, eux, un accent particulier sur la forêt et la filière du bois, mais c’est surtout un localisme, et ils ne manifestent pas une réflexion approfondie.)

Déi Gréng présentent le programme le plus détaillé, technique et précis sur l’économie circulaire. Le parti insiste notamment sur les secteurs de la construction et des déchets, avec une attention particulière portée à la formation. Le soutien aux initiatives locales est clairement affiché, tout en établissant un lien, sérieusement pensé, avec l’économie sociale et solidaire qui n’est pas réduite, comme elle l’est souvent aujourd’hui, à l’aide aux personnes vulnérables. Les règles d’aide à l’investissement devraient également être revues dans le domaine de la protection de l’environnement et de la durabilité, ainsi que de nouvelles aides adoptées en faveur de l’économie circulaire. Cette orientation s’inscrit dans la mise en avant du Green New Deal qui devrait devenir une priorité absolue lors de la fixation du budget pluriannuel de l’État. Le programme franchit même un pas intéressant puisqu’il ne se réfère pas une seule fois à la croissance économique. Il n’est en revanche pas certain que cette voie soit suivie jusqu’à son terme.

Le Green New Deal, utilement évocateur de la dynamique impulsée par l’État aux États-Unis en réponse à la crise de 1929, renvoie aussi à la « green economy » de l’Union européenne, dont les risques de « green washing » sont bien connus. Le programme des Verts évoque en outre le découplage pour dissocier la consommation des ressources, alors que ce découplage est précisément mis en cause par les économistes : Il est illusoire de croire qu’on pourrait maintenir la consommation tout en évitant les effets néfastes sur l’environnement. D’abord, tous les déchets ne sont jamais entièrement recyclés et la production de nouveaux produits requiert bien souvent des ressources additionnelles pour le recyclage. Ensuite, tout ce processus dévore de l’énergie. Or, d’une manière ou d’une autre, la production, le transport et le stockage de cette énergie crée des pollutions et nécessite des ressources naturelles. Il y a finalement l’effet rebond qui consiste en une augmentation de la consommation. Bref, l’économie circulaire prise au sérieux exige un changement de modèle, dont les prémisses se trouvent dans certains des programmes évoqués même si ceux-ci n’en tirent pas encore toutes les conséquences. L’approfondissement de la notion d’économie circulaire permet de mieux le comprendre.

L’économie circulaire est un concept qui présente l’avantage d’être facile à expliquer et à comprendre. Dans le même temps, elle est susceptible de significations glissantes entre lesquelles peuvent apparaître des divergences fondamentales comme des simples nuances. Le système extractiviste est vicieux puisqu’il soustrait un nombre croissant de minerais de toute nature et déverse en retour un nombre proportionnel de déchets. Par opposition, le cercle proposé par l’économie circulaire est vertueux puisqu’il transforme les déchets en ressource et réduit donc identiquement la ponction des ressources et la production d’effets négatifs.

Symboliquement, le cercle est aussi une image subversive puisqu’il renvoie au temps cyclique des anciens, là où, avec le christianisme et ensuite les Lumières, la ligne du futur est devenue le symbole du progrès continu. Or l’abandon du modèle capitaliste exige une rupture dans cette ligne du temps. Le cercle offre une référence alternative qui permet d’échapper à la fois au progrès sans fin, considéré par un nombre croissant de personnes comme un mythe, et à un retour en arrière dont personne ne veut. Pourtant, le Luxembourg a adopté une stratégie économie circulaire il y a plusieurs années et ses effets n’ont pas encore dépassé l’action du colibri. Ce n’est pas à la hauteur d’une ambition nationale, fût-ce celle d’un petit pays.

Une littérature, aussi bien institutionnelle que scientifique, commence à se développer autour de l’économie circulaire, en sorte que les contours de celle-ci sont à peu près balisés. De façon pédagogique, on y distingue sept piliers : approvisionnement durable (achat responsable), éco-conception (prise en compte de tout le cycle écologique dès la conception), écologie industrielle et territoriale (création d’îlots industriels pour faciliter les mutualisations et les utilisations de déchets comme ressources), économie de la fonctionnalité (priorité de l’usage sur la possession), consommation responsable (prise en compte d’impacts sociaux et environnementaux pour tout acte de consommation), allongement de la durée d’usage, recyclage (en fin de vie d’un produit). De la même manière, à propos de la fin de vie qui retient encore trop l’attention par rapport aux autres stades de chaque produit, on met en avant une pyramide des « 5 R » du Zéro Déchet, que l’on dit inversé car il convient de prioriser la première solution pour réduire à rien la dernière qui est la plus mauvaise : Refuser, réduire, réutiliser, recycler et rendre à la terre. Ces divers aspects sont essentiels et nous les reprenons volontiers à notre compte, mais ils se situent à un niveau micro et ne suffisent pas à élaborer une réflexion systémique et à fournir les orientations d’une politique publique.

A ce niveau de réflexion plus élevé, deux exemples montrent deux versions opposées de l’économie circulaire. D’un côté, le site du ministère français de l’Écologie, qui indique : « L’économie circulaire consiste à produire des biens et des services de manière durable en limitant la consommation et le gaspillage des ressources et la production des déchets. Il s’agit de passer d’une société du tout jetable à un modèle économique plus circulaire. » La circularité est ici limitée, il n’est pas question de créer un système clos qui n’utiliserait plus d’intrants mais seulement de réduire les excès. De l’autre côté, Dominic Bourg et Christian Arnsperger affirment dans leur livre Écologie intégrale Pour une société permacirculaire : « L’objectif de l’économie circulaire – dans son entière acception – est la préservation de la biosphère afin d’en maintenir la viabilité, pour l’espèce humaine au premier chef ».

Tandis que la première définition, modeste, se contente d’initier un effort, la seconde prend pour base le résultat à obtenir, ce qui en fait une entreprise autrement exigeante. Dans la première version, les efforts sont satisfaisants et il est permis d’espérer que, petit à petit, ils produiront les effets escomptés ; dans la seconde version, l’imminence du danger et l’urgence des mesures nécessaires sont considérées telles que le résultat doit être atteint, quoiqu’il en coûte. Dès lors qu’il y va de la survie de notre espèce et de la vie, il n’est pas irrationnel de préférer la seconde approche.

Le Luxembourg est apparemment plus avancé que la France dans cette voie. Dès le milieu des années 2010, le gouvernement s’est penché sur la troisième révolution industrielle, en partenariat avec Jeremy Rifkin, de sorte que ses prises de position sont plus encourageantes. C’est ainsi que Luxembourg Stratégie du ministère de l’Économie évoque dans sa stratégie générale le choix à opérer entre « croissance exponentielle et sobriété ». Les termes du débat sont clairement posés, sans faux-semblant. Pourtant, le diable est dans les détails, et le qualificatif « exponentiel » de la croissance laisse croire qu’il existerait une bonne croissance, non exponentielle. Mais il y a pire : derrière l’unité gouvernementale, la composition tripartite réapparaît et, à travers ses ministères, chacun des partis de la coalition joue sa propre partition : pour le DP le Klima-Biergerrot, pour le LSAP Luxembourg Strategy, et pour Déi Gréng Luxembourg in transition. Les trois initiatives ne sont pas contradictoires et reflètent une commune orientation mais elles sont aussi le tremplin pour des agendas distincts et avec des sensibilités différentes. Et force est de constater que les milieux économiques ont aussi leur vision, avec notamment la Chambre de commerce qui présente l’économie circulaire comme « une solide alternative pour relancer une croissance ».

Toutes ces initiatives ne sont pas sans effet et chacune peut se prévaloir de réalisations. Le problème est qu’il ne s’agit toujours que d’actes isolés, sur la base des bonnes volontés. Des communes s’engagent également dans une démarche plus systématique, avec comme exemples sans doute les plus avancés Beckerich et Wiltz, voire Esch-sur-Alzette et Sanem. Mais il n’existe aucune mesure contraignante au niveau national et le Luxembourg s’abrite derrière la réglementation européenne, alors que celle-ci tarde à venir. En l’état donc, on peut reconnaître au Luxembourg une prise de conscience au plus haut niveau et l’affirmation de bonnes intentions, mais celles-ci ne se traduisent que dans des initiatives sporadiques et partielles. Certes, les changements à opérer sont radicaux et il est compréhensible que les politiques publiques soient d’abord incitatives plus que contraignantes, mais face aux urgences environnementales, le prix d’une absence de contrainte raisonnée aujourd’hui pourrait bien être une contrainte beaucoup plus brutale, injuste et difficile à gérer à l’avenir.

David Hiez est professeur de droit privé à l’Université du Luxembourg

David Hiez
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